Intervention de Valérie Rabault

Séance en hémicycle du mardi 22 février 2022 à 15h00
Déclaration du gouvernement relative à l'engagement de la france au sahel

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaValérie Rabault :

Alors que la Russie est aux portes de l'Ukraine, nous débattons du retrait militaire de la France au Mali. Cela peut sembler quelque peu décalé au premier abord, mais à bien y réfléchir, les mécanismes à l'œuvre sont d'une similitude glaçante : l'après-guerre froide a rebattu les cartes ; de nouvelles puissances cherchent à s'imposer et déploient des stratégies de plus en plus offensives. C'est le cas de la Russie de Poutine, qui se déploie à la fois en Afrique et aux portes de l'Europe. À cela, il ne peut y avoir qu'une réponse : le rapport de force. L'Europe doit adopter le mode du rapport de force pour défendre ses idéaux et ses principes. Sinon, elle sera faible, et la faiblesse est le terreau favori des régimes autoritaires. Les peuples européens ont déjà subi la lâcheté des accords de Munich en 1938, et l'Europe ne doit jamais la réitérer : c'est bien pour cela qu'elle a été créée.

L'engagement de la France au Mali pose trois grandes questions. Tout d'abord, l'intervention au Mali était-elle nécessaire ? La réponse est oui. Le Président de la République, François Hollande a eu raison d'engager la France, en janvier 2013, dans une des plus grandes opérations militaires depuis le conflit algérien – vous l'avez souligné, monsieur le Premier ministre. Cette opération a été lancée à la demande des autorités maliennes, pour contrer une offensive djihadiste sans précédent qui menaçait directement la souveraineté territoriale du Mali, alors que des groupes terroristes épars avaient pris le contrôle du nord du pays et qu'ils menaçaient à courte échéance la capitale, Bamako. L'intervention s'est déroulée dans le strict cadre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité des Nations unies. Il faut donc le dire clairement et sans détour : sans l'engagement de la France, le Mali aurait basculé sous le joug terroriste, entraînant d'autres pays à sa suite. Les opérations Serval dans un premier temps, puis Barkhane à partir d'août 2014, ont permis aux forces françaises d'engranger de précieux succès militaires et de neutraliser de nombreuses têtes de pont de la mouvance djihadiste. Oui, la France a pris la bonne décision. Oui, les soldats français qui ont combattu au Mali sont notre fierté et méritent toute notre admiration. Oui, ils sont des héros. Les cinquante-neuf militaires qui ont perdu la vie ont notre éternelle reconnaissance, et les blessés doivent bénéficier de tout notre soutien.

J'en viens à la deuxième question : fallait-il rester aussi longtemps dans une forme de statu quo ? La réponse est non. Après quelque neuf ans de conflit, la situation semble enlisée. Les victoires militaires des premiers mois ont laissé place à un exercice difficile ; si la victoire militaire est indéniable, ce type de combat asymétrique, aux contours moins palpables, peut donner un sentiment d'échec aux opinions publiques, locales ou internationales, qui ne saisissent pas forcément tous les enjeux des opérations. Surtout, la France a été confrontée à la défaillance du gouvernement malien, à l'absence d'institutions solides et à une corruption abyssale. Ces défaillances ont conduit au coup d'État de l'armée du 18 août 2020, qui a renversé le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta. La première moitié de la période de transition a révélé des tensions au sein de la junte militaire et avec les acteurs civils membres du gouvernement. La tentative de remaniement de mai 2021, visant à sortir le gouvernement de sa paralysie et à élargir sa base civile, sociale et politique, a entraîné un second coup d'État, le 24 mai 2021, qui s'est traduit par un accroissement de la mainmise des militaires.

Nous en arrivons à la troisième question : comment partir maintenant ? Partir peut donner l'impression que nous subissons les menaces du groupe Wagner, que nous cédons face à des mercenaires cupides dont l'objectif n'est ni la stabilité, ni la sécurité de la région, mais la prédation des ressources et le contrôle cupide de territoires. Dans cette guerre hybride, nous ne pouvons être dupes de la présence en clair-obscur de la Russie derrière ces mercenaires. En Ukraine comme au Mali, les combattants sont des pions dans une guerre de position, dans laquelle la France doit reprendre le rôle qui fut le sien : porter une voix au service des peuples, pouvoir dire stop et œuvrer au rétablissement de la paix. Si nous partons – et nous partons –, il faut le faire de manière coordonnée et ordonnée. Notre présence au Sahel s'inscrit dans des opérations de lutte antiterroriste sur un territoire aussi vaste que l'Union européenne. L'enjeu est de redéfinir notre mission, en coopération avec les forces locales et avec nos partenaires européens, qui doivent eux aussi accepter cette mobilisation. Ce n'est qu'à cette condition qu'un retrait est possible, sans doute pas avant : la situation est encore bien trop fragile face à la menace djihadiste.

Enfin, si la réponse militaire était et demeure indispensable, elle ne saurait suffire. Il faut accompagner l'ensemble des pays pour contribuer au développement de ces régions.

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