C'est un moment bien étrange que celui où nous allons discuter de la situation dans le Sahel alors que tout est déjà décidé sans que nous ayons eu l'échange qu'il était normal que, dans une démocratie, un Parlement puisse attendre du Premier ministre. Celui-ci aurait pu nous dire si, dans la phase qui a précédé l'événement inacceptable et insupportable qu'a été la reconnaissance des deux républiques du Donbass par la Russie, puis l'entrée militaire de cette dernière sur le terrain, le chef de l'État russe a manipulé notre président de la République en lui faisant croire des choses qui n'étaient pas, mais qu'il se faisait un devoir de nous dire, ou bien si nous n'avons été coupables que de naïveté. Mais puisque nous n'aurons pas ce débat, comme cela nous a été confirmé ce matin en conférence des présidents, voyons où nous en sommes.
J'ai dit à de nombreuses reprises, au nom des Insoumis, que l'opération militaire au Mali avait d'abord été justifiée par des circonstances obligeant à une action soudaine. En effet, une colonne ayant entrepris de se diriger vers la capitale de ce pays, les militaires français ont fait ce qu'ils avaient à faire : conformément à l'accord de défense que nous avons avec le Mali et à la demande du gouvernement alors en place, nous sommes intervenus et avons détruit la colonne d'invasion.
Nous nous sommes alors trouvés au pied du mur, comme il est de tradition en pareil cas : on peut soit se laisser emporter, soit formuler un plan politique dont on connaît la lettre A et la lettre Z, c'est-à-dire qu'il prévoit qu'après être intervenu, on se retirera si certaines conditions sont réunies. Bien entendu, ce n'est pas à nous de fixer ces conditions, car nous ne sommes pas chez nous : nous sommes au Mali, chez les Maliens, et c'était donc dans le cadre de discussions avec ces derniers qu'il fallait établir les conditions dans lesquelles les Français se retireraient. Peut-être aurions-nous pu toutefois en ajouter une : que des élections normales et démocratiques aient lieu, à l'organisation desquelles nous aurions pu apporter notre appui. En effet, si nous sommes capables d'organiser une opération aussi complexe qu'une intervention militaire à des milliers de kilomètres de chez nous, peut-être sommes-nous également capables, une fois que nous y sommes, d'aider à organiser des élections dignes de ce nom, et non pas la tricherie habituelle qu'on observe dans tant de ces pays.
Dès le départ, les militaires français ont indiqué qu'il ne pouvait pas y avoir de victoire militaire s'il n'y avait pas d'objectifs politiques, mais sur ce point il ne leur a jamais été apporté de réponse. Depuis, on a entendu dire que l'objectif militaire et politique était de vaincre le terrorisme, or il est impossible de vaincre le terrorisme : personne n'a jamais vaincu un concept. On vainc des armées en commençant par désigner des adversaires, en disant qui ils sont, qui les finance, et comment on compte en venir à bout. Cela, nous ne l'avons jamais fait, si bien qu'une cohue confuse de djihadistes profitant de l'effondrement de l'État malien, de trafiquants de cigarettes et de marchands de drogue a pu conspirer continuellement, créant un désordre dont la France n'avait aucune chance de venir à bout sans recourir aux grands moyens, ceux de la démocratie et du développement – ce que nous ne pouvions faire et n'avons pas fait.
À de nombreuses reprises, j'ai dit au nom de mes amis que si ces conditions politiques n'étaient pas fixées, alors par la force des choses, conformément aux enseignements de notre histoire et à l'examen des circonstances qui évoluent sur tout le continent, cela tournerait mal et finirait même par un désastre. Je ne suis pas si grand stratège que j'aie une autorité dans ce domaine, mais je sais lire les livres d'histoire et je connais le récit traditionnel des guerres asymétriques. Quand les États-Unis d'Amérique, après être restés vingt ans en Afghanistan et après y avoir jeté un matériel considérable, dont la plus grosse bombe conventionnelle de l'histoire, partent d'Afghanistan comme ils l'ont fait, pourquoi voudriez-vous que nous ayons meilleur succès au Mali contre l'adversaire que nous affrontions, un adversaire d'une nature quasiment identique sur le plan de l'idéologie, et très comparable pour ce qui est des méthodes de combat ?
Je veux profiter de ma présence à cette tribune pour m'adresser, au nom de l'histoire qui lie les mouvements progressistes français à ceux de toute l'Afrique, en particulier à ceux du Mali, et au nom de la binationalité qui unit tant de nos familles, à tous ceux qui peuvent m'entendre au Mali, notamment à ceux qui se disent mes amis. Je veux leur dire qu'il faut se rappeler qui nous sommes, pourquoi nous sommes là et comment nous y avons été.
La France n'a pas envahi le Mali ,