Je voudrais poser trois questions et faire une suggestion. La première de mes interrogations concerne les deux mois qui viennent de s'écouler. C'est en effet depuis la période de Noël que nous avons eu connaissance de la présence de mercenaires du groupe Wagner au Mali. Alors que nous avions nettement indiqué que ce point constituait pour nous une ligne rouge, pourquoi n'avons-nous pas tiré la seule conclusion qui s'imposait en annonçant immédiatement notre départ ? Ce déni de réalité est aussi incompréhensible que coupable. En refusant de nous rendre à l'évidence, nous avons sapé notre crédibilité. Un départ pris à notre initiative n'était-il pas plus acceptable que celui qui se dessine aujourd'hui sous pression de la junte malienne ?
Le Gouvernement ne nous a jamais expliqué son étrange comportement qui relève, je le crains, de la politique de l'autruche. Or cette absence de réactivité nous place dans une situation extrêmement critique tant pour la sécurité de nos militaires que pour la poursuite des opérations. C'est le sens de mes deux autres questionnements.
À court terme, il est avéré que de multiples acteurs vont tout faire pour compliquer notre retrait car tel est leur intérêt. Dans ces conditions, est-il prudent de se donner quatre à six mois ? N'est-ce pas, au contraire, accroître les risques ? Le défi logistique est déjà redoutable. Désormais, il se double d'une menace qui pèse sur la sécurité de nos troupes. Chaque jour qui passe, le piège va se refermer. Quelles précautions allons-nous prendre ? Et qu'est-il prévu en cas d'incident grave ?
À moyen terme, comment concevez-vous la poursuite de notre engagement ? Selon toute vraisemblance, le Mali va se transformer en zone de tous les dangers, avec les risques de contamination que cela comporte. Souhaitons-nous continuer à intervenir sur ces futurs foyers d'instabilité ? Par ailleurs, envisageons-nous de participer à la sécurisation des frontières des pays voisins ? Si oui, de quelle manière ?
À ce stade, nous sommes malheureusement condamnés à rester sur la défensive et il ne peut s'agir que de limiter les dégâts. Reprendre la main sera encore une autre affaire, beaucoup plus exigeante. Elle nous demandera de mener une réflexion en profondeur afin de redéfinir nos modes d'intervention en Afrique et pas seulement sur le plan militaire. C'est un exercice aussi nécessaire que difficile, toujours annoncé et jamais réalisé. Nous devons d'abord préciser nos objectifs, car la lutte contre le terrorisme n'est qu'un aspect du sujet. En passant de Serval à Barkhane, cela semble nous avoir échappé.
De plus, comme nous l'éprouvons aujourd'hui, rien ne peut se faire sans le soutien de l'opinion publique. Avons-nous une stratégie dans ce domaine ? Afin de nous engager dans cette nouvelle approche, nous devons mener une évaluation globale des politiques présentes et passées qui porte autant sur nos modes d'actions militaires et diplomatiques que sur nos outils de coopération et de renseignement.
En matière de coopération, il y a longtemps que les résultats ne sont pas satisfaisants, ce que nous semblons avoir accepté comme une fatalité. Il est urgent d'examiner sans complaisance les causes de cet échec.
La question du renseignement se pose, elle, à plusieurs niveaux. Comment avons-nous pu être surpris par les coups d'État successifs qui se sont déroulés pour ainsi dire sous notre nez ? Autre sujet d'étonnement : est-il possible que les menées russes soient passées sous nos radars alors que le précédent de la Centrafrique aurait dû nous alerter ? En un mot, nos services sont-ils aveugles, nos généraux sont-ils muets ou bien l'exécutif est-il sourd ? Y a-t-il eu un problème de transmission de l'information ? Si c'est le cas, à quel niveau le renseignement a-t-il été bloqué ?
Bref, pour répondre à ces questions, nous devons engager un travail de vérité auquel nous sommes peu accoutumés et qu'un gouvernement rechigne toujours à entreprendre. Il y a en effet trop de choses à dire qui ne feront pas plaisir à entendre. Ce moment de vérité est indispensable car sans lui, tout indique que nous continuerons à nous laisser abuser par nos propres éléments de langage. Or, ces fausses habiletés diplomatiques ne trompent personne et ne définissent aucune stratégie crédible. Ainsi en est-il de nos efforts pour impliquer les Européens. Nous avons obtenu de très modestes avancées mais, au total, les bénéfices sont maigres. En outre, ces démarches ralentissent nos décisions.
Comme il est certain qu'aucun gouvernement n'aura l'audace d'engager le travail lucide qui nous manque, je suggère que cette mission soit accomplie par le Parlement. Certes, celui-ci ne décide pas mais il lui incombe de dire ce qui ne va pas. Dans le domaine qui nous occupe aujourd'hui, ce serait déjà une avancée très précieuse ! En aurons-nous collectivement le courage ?