Le 29 janvier 1957, Léopold Sédar Senghor s'exprimait dans cet hémicycle sur le nouveau cadre juridique relatif aux 7 millions de kilomètres carrés – soit dix fois la superficie de la métropole – alors connus sous les dénominations d'Afrique occidentale française et d'Afrique équatoriale française, auxquelles s'ajoutaient le Togo et le Cameroun, anciennes colonies allemandes placées en partie sous tutelle française par la Société des Nations.
S'inquiétant de la volonté manifeste du pouvoir central parisien de – déjà – « balkaniser » l'Afrique noire et de régler assez mal « la nature des liens » qui devaient « unir les peuples d'Afrique au peuple de France », Léopold Sédar Senghor terminait néanmoins son discours par une note d'espoir : « Je vous dis que la France est un arbre vivant ; ce n'est pas du bois mort promis à la cognée ».
La récente gifle infligée par le Mali au Gouvernement français nous dit autre chose. En vous présentant bien trop tardivement devant le Parlement, parce qu'il est trop tard, vous vous êtes privés de l'avis éclairé du peuple de France, qui vous aurait dit il y a déjà fort longtemps que c'en est assez de cette guerre. Le Mali, pays souverain, nous demande de partir. Notre seule solution est donc d'obtempérer. Mais le mal est fait.
La gifle du Mali, c'est le joli discours du président Macron à Ouagadougou, en 2018, qui se fracasse sur les réalités. Comment peut-on disserter une heure durant sur la relation entre la France et l'Afrique en feignant d'ignorer que la France en Afrique, c'est d'abord et avant tout des militaires, des fusils, des drones et des bombes ?
La gifle du Mali, c'est la réponse au cynisme, à l'arrogance et à l'exploitation rapace made in France : voilà les valeurs françaises que l'on mesure au quotidien quand on vit au Sahel. Et que réserve-t-on aux migrants qui viennent en France ? La maltraitance d'État, car ils ne sont pas assez riches ou trop noirs. Nous affirmons combattre chez eux le terrorisme, mais nous leur refusons des titres de séjour au motif qu'ils viennent d'un pays sûr : c'est incroyable !
La gifle du Mali s'adresse à la pensée libérale interventionniste, teigneuse et belliqueuse de la France ; celle qui ne drague que le dictateur africain et son potentiel militaire. La gifle du Mali s'adresse à l'État français, qui a privatisé sa politique étrangère pour l'intérêt de quelques capitaines d'industrie arrogants, alors que le peuple de France, lui, n'en bénéficie plus.
La gifle du Mali est également destinée à notre système médiatico-politique. Ministres et parlementaires godillots célèbrent leurs mensonges sur les plateaux de France 24, de RFI ou de La Chaîne parlementaire dans une connivence coupable et nous expliquent que certains troisièmes mandats sont bons et d'autres pas, et que certains putschistes défendent la liberté aux côtés de la France, mais d'autres pas. Ils ont la com' pour seule boussole.
Les réseaux sociaux ont balayé la propagande française cachée derrière ce marketing ridicule de pays des droits de l'homme et de la démocratie : nous sommes en réalité le troisième vendeur mondial d'engins de la mort.
La gifle du Mali, c'est le réveil d'une conscience nationale malheureusement cimentée sur un sentiment anti-Français que vous avez continué de laisser prospérer. Être continuateur de l'erreur, c'est la commettre en l'aggravant.
La gifle du Mali, c'est le signal donné à tous les autres pays pour faire de même. Tchad, Niger, Burkina Faso, Mauritanie, Sénégal, Cameroun, Côte d'Ivoire, Gabon, ou encore République du Congo se détourneront à leur tour de la France. Mais pourra-t-on leur donner tort ?
Notre mauvaise malice en Afrique a une histoire, coloniale, prédatrice et clientéliste. En voici un seul exemple : en 1963, le président du Togo, Sylvanus Olympio, avait eu l'audace de déclarer à l'AFP « Je vais faire mon possible pour que mon pays se passe de la France » ; peu de temps après, il était assassiné. Depuis, la France exerce une pression très violente et constante sur le Togo ; elle se place toujours dans le camp du dictateur, toujours avec l'oppresseur, toujours contre le peuple togolais. Rien d'étonnant à cela : plus la France s'adresse à un petit pays, plus sa prédation est immense.
La gifle du Mali, c'est aussi la seule réponse possible d'un pays digne face à la tragique erreur française du 3 janvier 2021, cette frappe aérienne conduite par l'armée française qui a tué dix-neuf civils réunis pour un mariage à Bounti. Ce sont les enquêteurs de la MINUSMA et de la police scientifique des Nations unies, après de minutieuses investigations, qui l'affirment, pas moi.