Force est de constater que l'intervention militaire menée au Mali par les forces françaises était dans l'impasse. La situation humanitaire, sociale et démocratique du Mali relève de la tragédie pour les civils et pour nos soldats, nos journalistes et nos humanitaires qui y ont perdu la vie, et dont je tiens à honorer la mémoire.
Face aux organisations terroristes, l'action de nos forces armées s'est révélée inefficace : rien qu'en 2021, près de 2 000 civils ont été tués dans la zone des trois frontières, les deux-tiers l'ayant été par des groupes armés liés à Al-Qaïda et à l'État islamique, c'est-à-dire aux groupes terroristes que nous avions initialement vocation à neutraliser.
Le terrorisme est une menace plus que jamais préoccupante en Afrique de l'Ouest, en particulier à cause de la progression de l'État islamique, lequel, s'il n'a plus de califat, est loin d'avoir été neutralisé. Une vague récente de coups d'État a secoué la zone : au Tchad et en Guinée, en avril 2021, au Mali en 2020 et en 2021, au Burkina Faso en janvier dernier. C'est un fait, la zone est déstabilisée, et la France doit revoir son rôle en Afrique, surtout à l'heure où la junte entend repousser de cinq ans la transition démocratique.
Alors quel était le sens de cette intervention ? À quoi a-t-elle servi in fine ? Dans le meilleur des cas, elle a pu être utile à court terme, quand les Maliens nous l'ont demandé, mais le maintien de nos forces a été parasité par le sentiment anti-Français alimenté par la junte. Et c'est en ce sens que notre présence est rejetée : oui, l'action de la France a été rejetée brutalement par la junte militaire, qui a expulsé notre ambassadeur du pays, ce qui constitue, quand on parle le langage diplomatique, un affront à nos forces.
Je suis, moi aussi, favorable à ce retrait parce que je crois dans la croissance d'une Afrique émancipée, et plus que postcoloniale, une Afrique libre. Si la France part du Mali, elle ne doit pas oublier ses responsabilités. Je refuse de croire qu'en 2022 la France ait adopté une position condescendante voire infantilisante à l'égard de l'Afrique de l'Ouest, d'autant que les liens entre la France et le Mali sont étroits. En 2019, celui-ci était le premier bénéficiaire des subventions versées par l'Agence française de développement (AFD), avec un total de 96,5 millions d'euros. La France est également le premier employeur direct privé sur le territoire malien. Et c'est pour cette raison qu'en 2013, à la demande du Mali, la France s'est investie dans la lutte contre le terrorisme dans ce pays.
Alors quel engagement pour la France au Mali ? Cela fait un an, depuis le G5 Sahel, que le Président de la République nous dit qu'il souhaite concentrer les efforts de la France sur un sursaut de la société civile, mais rien ne bouge, alors que les civils souffrent. À ce titre, je souhaite, comme mon collègue Nadot à l'instant, avoir une pensée pour les dix-neuf civils décédés en janvier 2021 dans les frappes de Bounti. Nous avons pris des vies qui n'auraient pas dû être prises, nous devons donc rendre des comptes.
Sur le plan humanitaire, la France ne doit pas reproduire les erreurs que nous avons commises par le passé. Nous avons envoyé des armes en Libye, lesquelles servent aux groupes de l'État islamique pour attaquer des civils et des ressortissants ; je ne parle même pas du Yémen, qui connaît l'une des plus graves crises humanitaires du siècle, causée par les multiples attaques que l'Arabie Saoudite mène avec nos armes. Est-ce ce que nous voulons pour le Mali, à l'heure où la junte s'éloigne explicitement de la démocratie ?
Il est grand temps que la France et l'Europe traitent en égaux les pays d'Afrique. Seuls 48 % des besoins humanitaires du Mali sont financés, alors que 15 millions de ses habitants dépendent de l'aide humanitaire, que 2,5 millions d'entre eux ont dû fuir leur maison et que 700 000 enfants manquent de nourriture. La France a consacré 28 millions d'euros à l'aide humanitaire au Sahel en 2020 ; la même année, 880 millions d'euros, soit presque trente fois plus, étaient consacrés aux dépenses militaires. Le contraste est frappant. Nous ne mettrons pas fin à cette instabilité par les armes, les obus et les Gazelle. Maintenant que notre action militaire va être redéployée, ne pourrait-on pas rediriger certains de ces crédits vers l'aide humanitaire ?
S'il était évident que notre combat militaire devait cesser, notre action doit être plus politique, plus diplomatique et, surtout, plus humanitaire. Nous avons la responsabilité d'aider les Maliens à s'émanciper, et la meilleure arme pour cela, c'est l'éducation comme le dit Malala Yousafzai. Comme vous l'avez expliqué, monsieur le Premier ministre, la guerre contre le terrorisme en Afrique ne sera gagnée que par les Africains eux-mêmes. Il revient aux Maliens de décider de leur avenir et à la France d'assumer ses responsabilités. Je ne suis pas malien, je suis français et européen, et j'estime que la France a déjà fait assez de mal en Afrique dans un passé pas si lointain pour qu'elle ne se dispense pas de rendre des comptes ni de participer à la réparation des fautes qu'elle y a commises aux dépens des civils.
Vous l'aurez compris, chers collègues, je suis favorable à ce retrait mais pas à une fuite de nos responsabilités face à notre désastreux bilan militaire au Sahel.