Intervention de Karine Lebon

Séance en hémicycle du mardi 22 février 2022 à 21h45
Contrôle parental de l'accès à internet — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaKarine Lebon :

La crise du covid-19 a mis en lumière les dégâts liés à l'abus d'écrans chez les enfants. Le constat est inquiétant ; il appelle des réponses fortes, tant des pouvoirs publics que des familles. Selon une étude de l'Observatoire national de l'activité physique et de la sédentarité, 93 % des enfants et des adolescents dépassent largement les recommandations en la matière. Alors que le temps qu'ils consacrent aux écrans devrait être limité à deux heures par jour, ils y passent en moyenne quatre heures par jour. Le confinement a amplifié ces chiffres déjà alarmants, puisque 62 % des enfants et 69 % des adolescents ont augmenté leur temps d'écran durant cette période.

Nous connaissons tous les effets délétères de ce phénomène sur la vie et la santé des plus jeunes : mauvaises postures prolongées à l'origine de douleurs, déséquilibres alimentaires, difficultés de concentration, manque d'activité physique, troubles du sommeil, fatigue visuelle… L'augmentation du temps d'écran électronique a également été associée à des problèmes de santé mentale : pendant la pandémie de covid-19, on a constaté des troubles plus graves chez les enfants qui faisaient une forte consommation d'écran que chez ceux qui en avaient un usage plus modéré. La corrélation entre le temps d'exposition aux écrans et la santé mentale des enfants demande à être mesurée avec précision.

Ces conséquences sont de plus en plus documentées. Elles témoignent d'un phénomène massif qui, loin de s'autoréguler, ne fera que s'amplifier en l'absence de mesures volontaristes. La possibilité pour les parents de contrôler les contenus consultés par leur enfant constitue une pièce maîtresse de la politique de prévention que nous appelons de nos vœux pour éviter un usage abusif des écrans. Dispositif de proximité par excellence, le contrôle parental doit être pensé, sous peine d'inefficacité, de manière proportionnelle et mesurée. L'article 1er de la proposition de loi vise à imposer aux fabricants l'obligation d'installer un système de contrôle parental et d'en proposer l'activation dès la première mise en service de l'appareil. Je le réaffirme : nous partageons le souci de ne pas rendre le contrôle parental automatique. Comme tout autre logiciel de filtrage, il ne déroge pas à la règle d'un contrôle complet par l'utilisateur, qui doit garder la liberté de l'activer ou de le désactiver. Nous regrettons que la proposition de loi reste silencieuse sur les dérives de certains dispositifs de contrôle parental, en particulier de fonctionnalités pouvant être intrusives. La recommandation de la CNIL du 9 juin 2021 rappelle à ce sujet que « certaines fonctionnalités assez intrusives tendent à transformer le contrôle parental en une forme de surveillance qui comporte certains risques : le risque d'altérer la relation de confiance entre les parents et le mineur […] ; le risque d'entraver le processus d'autonomisation du mineur […] ; le risque d'habituer le mineur à être sous surveillance constante » – ce qui normaliserait les pratiques liberticides. La CNIL invite à prioriser les dispositifs de contrôle parental respectant un principe de proportionnalité, un principe de transparence à l'égard de l'enfant, et enfin un principe de sécurité des données du mineur, afin de s'assurer que des tiers n'ont pas accès à des informations sur celui-ci.

Le texte ne dit d'ailleurs rien de la protection des données des enfants. Selon de nombreux chercheurs, une majorité de dispositifs de contrôle parental partagent des informations personnelles avec des tiers, en plus d'être vulnérables aux attaques informatiques. Certaines de ces applications transmettent volontairement des données à des tiers inconnus de l'utilisateur, à des fins de marketing et de monétisation. Cela nourrit le ciblage publicitaire des enfants. Ces dix dernières années, les dépenses de publicité digitale visant les enfants ont été multipliées par dix à l'échelle mondiale ; or, on le sait, ceux-ci sont potentiellement plus vulnérables et influençables, donc plus perméables aux publicités qui leur sont destinées. Un tel matraquage publicitaire aggrave les dégâts liés à une exposition trop importante aux écrans. Face à ce danger, la France accumule un retard important. Aucune mesure efficace n'est prise pour lutter contre ce phénomène, contrairement à ce qui existe dans de nombreux pays. En dépit des silences de la proposition de loi, et malgré ses propres réserves, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera le texte.

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