Néanmoins, nous assumons de grandes divergences avec vous. Aurions-nous fait mieux ? La question peut sembler présomptueuse, pourtant on peut y répondre par l'affirmative. Certes, nous saluons l'action dans le domaine social et dans le domaine économique, notamment en faveur des entreprises, avec l'instauration du prêt garanti par l'État (PGE) et du chômage partiel. Mais il faut souligner que la facture tombera à un moment ou à un autre, et qu'il faudra bien rendre des comptes, dans tous les sens du terme. Je me méfie du « y'a qu'à, faut qu'on », aussi le dis-je avec humilité : dans certains domaines, je pense que nous aurions fait mieux.
C'est le cas s'agissant des masques, dont on nous a dit au début de la crise qu'ils étaient parfaitement inutiles ; vous n'avez pas su gérer les stocks, ni la distribution. Il en va de même pour le gel hydroalcoolique.
Nous aurions également fait mieux concernant la relation avec les élus et les collectivités territoriales, qui se sont trouvés au premier rang : vous les avez trop longtemps relégués, avec méfiance, car sans doute ils ne vous semblaient pas dignes. Vous n'avez pas su animer le réseau des collectivités locales, pourtant à la pointe de l'action, par leur situation de proximité. Le couple formé du préfet et du maire, dont vous avez vanté les mérites, plutôt que de former le duo espéré, a longtemps été en position de duel, et c'est bien dommage. Vous avez trop longtemps refusé la territorialisation de certaines mesures, alors que cela aurait permis de s'adapter aux besoins et aux réalités locales.
Bien sûr, vous avez fait au mieux, de façon proportionnée, avez-vous dit. Cependant, contrairement à ce que vous avez affirmé dans votre intervention, l'État de droit a bien été bousculé. Je n'ai pas dit que la France n'était plus un État de droit ; je n'ai jamais dit que nous étions en dictature, que le Président de la République s'était arrogé des pouvoirs qui ne lui revenaient pas. Nos propos n'ont jamais atteint une telle outrance, d'ailleurs la situation actuelle ferait paraître de telles affirmations exagérées et surréalistes.
Nous sommes républicains : nous n'avons jamais contesté la légitimité du Président, du Gouvernement, de la majorité. Toutefois, contrairement à ce qu'affirmait le Premier ministre hier, l'État de droit a bien été bousculé ; le Gouvernement a certes gouverné, mais le Parlement n'a pas pu légiférer pleinement, comme il aurait dû le faire, ni totalement contrôler et évaluer l'action du Gouvernement, malgré les nombreuses auditions. En effet, il ne suffit pas d'auditionner pour contrôler, il faut aussi tirer les conséquences des auditions, ce qui fut rarement possible.
Vous évoquez des milliers d'amendements déposés et débattus. Mais combien ont été adoptés ? Quasiment aucun. Alors oui, j'affirme à nouveau que notre démocratie, depuis deux ans, a fonctionné, pour le moins, en mode dégradé, voire, pendant de longs mois, particulièrement dégradé.
Avec le régime de sortie de l'état d'urgence sanitaire, qui s'appliquera jusqu'au milieu de l'été 2022, nous vivons encore dans une forme de droit un peu exorbitant. La société, comme nous, s'est sans doute habituée à la banalisation de l'état d'exception. Le déséquilibre est trop grand entre les exigences sanitaires, certes importantes, et le respect des libertés publiques et individuelles. Ainsi, c'est la justice qui a rétabli la liberté de culte, et le Conseil constitutionnel a déclaré non conforme à la Constitution certaines des dispositions prévues dans les différents textes que nous avons adoptés.
Que dire – ma collègue Josiane Corneloup l'évoquera – de la situation de nos anciens dans les EHPAD ? À plusieurs reprises, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a tiré la sonnette d'alarme. Que dire des débats sur le caractère essentiel des commerces ? N'oublions pas ces aspects !
Les rendez-vous avec le Parlement ont souvent été arrachés plus que négociés. Vous les avez trop fréquemment renvoyés au lendemain, à l'exception des auditions, nombreuses, il est vrai. Vous avez systématiquement refusé les clauses de revoyure que nous vous avons proposées, alors que le Conseil d'État, dans son étude annuelle, avait suggéré qu'elles étaient nécessaires. Pourquoi retarder ces rendez-vous, susceptibles de renforcer l'unité nationale ?
Pour finir, venons-en à la situation des dernières semaines. Début janvier, vous avez fait voter l'instauration du passe vaccinal, qui est, faut-il le rappeler, une obligation vaccinale quelque peu déguisée, comme vous-même l'avez reconnu dans une interview accordée à Brut un peu avant Noël. Vous le savez, je suis constant, j'assume mon désaccord avec une partie de mon groupe à ce sujet.