L'envoi de certaines armes est présenté par les autorités russes comme un acte de belligérance, justifiant une « montée aux extrêmes » de la guerre, comme dirait Clausewitz, extrêmement préoccupante. La question du type d'armes envoyées devient donc tout à fait cruciale. Comment la distinction entre les armes de soutien et les autres est-elle pensée par les autorités ukrainiennes et par nous sur le terrain ?
Cette conception évolue-t-elle ? L'envoi d'armes de soutien permettant aux Ukrainiens de défendre leur territoire est fondamentalement justifié, ne serait-ce que par le mémorandum de Budapest de 1994, qui garantit les frontières du pays : dès lors que l'Ukraine est attaquée, il est normal que nous l'aidions à se défendre.
À titre d'illustration, le missile sol-mer qui a détruit le croiseur amiral de la flotte russe n'était pas d'origine britannique mais ukrainienne – heureusement, selon certains experts, car les Russes, qui ont déjà vécu cet événement comme une grande humiliation, auraient pu y voir un acte délibéré d'un pays membre de l'OTAN.
Par ailleurs, quand les Russes conquièrent du terrain, c'est la désolation, le désert complet. Dans le Donbass, par exemple, il n'y a presque plus personne et tout semble détruit. On n'y voit plus que des personnes âgées n'ayant pas pu quitter les lieux, qui errent dans les décombres et s'efforcent de survivre. Mon camarade Bruno Racine, grand latiniste devant l'éternel, m'avait rappelé ces mots que Tacite, dans la Vie d'Agricola, prêtait aux Germains à propos des destructions menées dans leur pays par les Romains : « Ubi solitudinem faciunt, pacem appellant » – « Partout où ils sèment la désolation, ils appellent cela la paix ». Les Russes font la même chose. C'est plus qu'un génocide : le territoire lui aussi est détruit. C'est tout à fait terrifiant.