Intervention de Étienne de Poncins

Réunion du mercredi 4 mai 2022 à 15h00
Commission des affaires étrangères

Étienne de Poncins, ambassadeur de France en Ukraine :

En effet, c'est un élément très important. Les Russes ne font rien du territoire du Donbass conquis en 2014, ou en tout cas ils le laissent dans une très mauvaise situation économique. C'est d'ailleurs ce qui explique le refus de la région de Kharkiv, par exemple, de tomber de nouveau dans l'escarcelle russe. En 2014, la ville, qui est d'ailleurs d'une taille comparable à celle de Donetsk, avait failli devenir la troisième des « Républiques populaires » et le drapeau ukrainien qui se trouvait sur le bâtiment du gouvernorat avait failli être mis à bas. Mais depuis, les habitants de Kharkiv ont bien vu l'intérêt de rester du côté de l'Ukraine. La ville s'est énormément développée, notamment dans le domaine des nouvelles technologies, les jeunes sont tournés vers le monde européen et anglo-américain. Le Donbass est devenu un repoussoir et l'échec des Russes devant Kharkiv tient aussi à cela, à cette désolation qu'apportent les Russes. Il en est de même pour Marioupol.

S'agissant de cette dernière ville, la France faisait déjà beaucoup avant la guerre. Quelques jours à peine avant le conflit, le 18 février, je recevais dans mon bureau le maire de la ville, avec lequel nous avions noué des liens très étroits. Nous étions sur le point de financer, à travers un prêt du Trésor, la réparation d'une usine de traitement des eaux. Le maire de Marioupol venait également me présenter des projets de rénovation du front de mer, que nous aurions probablement financés. Cela montre d'ailleurs, outre ces liens privilégiés, que le maire de la ville lui-même ne s'attendait pas à une attaque. Bref, depuis deux ou trois ans, nous avions engagé, à notre initiative, des coopérations très étroites avec l'Ukraine, notamment dans le domaine économique. Nous avions fourni, à travers des prêts du Trésor, 50 hélicoptères Airbus. Nous avions également un projet important concernant la fourniture de 130 locomotives Alstom.

En ce qui concerne la cobelligérance, les choses sont très claires : est considéré comme cobelligérant un pays qui envoie des soldats en appui sur le territoire d'un autre État. La fourniture d'armements en tant que telle ne nous conduit pas à être cobelligérants. Du reste, la charte des Nations unies nous impose d'aider un pays subissant une agression. Lors de la guerre des Malouines, c'est un missile français – un Exocet – qui avait coulé le Sheffield ; les Britanniques ne nous ont jamais considérés pour autant comme des cobelligérants.

Je connais le discours que tiennent les Russes à ce propos, mais il n'y a aucun soldat français sur le sol ukrainien. Nous considérons donc que nous ne sommes pas cobelligérants, et que les armements que nous fournissons ne nous conduisent pas à l'être.

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