Intervention de le général de corps d'armée Hubert Bonneau

Réunion du mercredi 26 janvier 2022 à 11h10
Commission de la défense nationale et des forces armées

le général de corps d'armée Hubert Bonneau, directeur des opérations et de l'emploi :

Concernant le continuum compétition, contestation, affrontement, il s'agit de la vision stratégique des armées, dans le contexte d'une définition des enjeux de puissance et d'analyse des fragilités et des faiblesses.

La compétition constitue le mode normal de l'expression de la puissance. Quels sont donc nos compétiteurs au niveau des forces de sécurité intérieure ? Il s'agit de toutes les personnes qui sont susceptibles de mener une action sur l'ordre public. L'enjeu pour nous est ici de définir les risques. À quel moment une personne se trouvant dans cet esprit de compétition bascule-t-elle dans la contestation ?

La contestation désigne ceux qui transgressent les règles pour faire valoir leurs propres intérêts. Il s'agit de personnes entrant dans la transgression des règles, les trafics, les contestations politiques violentes, les mouvements extrémistes. Notre enjeu est de bien connaître l'adversaire, de maîtriser les territoires, afin d'identifier les signaux faibles et de pouvoir réagir dans une capacité) conduire les opérations en réactivité.

Enfin, l'affrontement renvoie au moment du glissement. Lorsque la contestation persiste, un cycle d'actions violentes récurrentes accompagné du recours à des moyens illicites dans la durée peut s'observer. Ces actions peuvent entraîner une déstabilisation de l'État par des groupes extrémistes ou criminels. Nous devons alors être capables de nous engager dans la durée et de planifier des opérations sur le long terme, avec des moyens complémentaires.

Dans ce continuum, le rôle de la gendarmerie nationale consiste d'abord essentiellement à protéger la population et le territoire national. Pour faire face à ces défis, nous disposons de capacités d'anticipation, de réaction, de conduite et de planification. Ces termes militaires correspondent à l'essence même de ce que nous sommes. La complémentarité des différents échelons du commandement est également l'un de nos atouts. La subsidiarité d'initiative car l'intelligence doit être locale. Les capacités d'innovation et de développement de certains matériels nous aident aussi à faire face à ces situations.

En préambule, je voudrais rappeler le contexte dans lequel nous agissons. Dans notre action au quotidien, nous sommes confrontés à des menaces endogènes et exogènes sur le territoire national. La première d'entre elles est celle du terrorisme. Il s'agit d'une menace installée, qui peut s'exprimer de façon différente (des frappes isolées individuelles ou des actions plus conséquentes). La Coupe du monde de rugby de 2023 ou les Jeux olympiques de 2024 constituent à cet égard une formidable opportunité de passage à l'acte pour les terroristes. Cette menace est ancrée, permanente.

Une des menaces auxquelles nous faisons face a trait également à la fracturation de la société et à l'expression de plus en plus marquée des radicalités et des extrémismes violents. Dans le cadre de la crise des gilets jaunes, un certain décalage entre les territoires et les métropoles a pu s'observer. Une souffrance des territoires périphériques est apparue.

Depuis 2015, nous vivons au quotidien une forme d'enchaînement des crises perpétuelles, à la fois terroristes, sociales, sanitaires et une crise dans la crise. Dans ces crises, le recours à la violence s'exerce de plus en plus contre les gendarmes, mais aussi contre les représentants de l'État. Nous constatons également une montée des extrémismes, notamment dans la crise des gilets jaunes avec des atteintes graves aux infrastructures de l'État. Des attentats à répétition, des sabotages sur les antennes 4G ont eu lieu. Les radicalités sont en augmentation. Je parle souvent de « isme » et de « iste ». Le survivalisme, le complotisme, l'écoterrorisme apparaissent, montent en tension rapidement et entraînent une flambée des violences lors du passage à l'acte.

Il existe également des problématiques liées à des conflits communautaires sur le territoire national. L'expédition punitive de la communauté géorgienne à Dijon en 2020 a laissé un triste souvenir. Ces affrontements sont particulièrement violents.

Un autre sujet de menace concerne les atteintes à l'environnement, dans un contexte d'urgence écologique avec des liens possibles avec la santé publique.

L'implantation en France de mafias étrangères et de groupes criminels forme, quant à elle, une menace à la fois exogène et endogène. Je vous citerai quelques exemples, notamment autour de la criminalité russophone de type « vor v zakone », que l'on peut traduire par « les voleurs dans la loi ». Des communautés implantées organisent des trafics de basse intensité, des cambriolages à répétition, des fraudes, des trafics de cigarettes en générant beaucoup de profits, puis repartent, notamment vers la Géorgie. Ces groupes criminels sur des modèles de mafia sont aujourd'hui fortement implantés en France et en Europe. Il peut également s'agir de criminalités organisées par des ressortissants albanais, roumains, lettons. Je pense par exemple au trafic de moteurs de bateaux volés sur le littoral de la Manche Atlantique, qui se chiffre en centaines de millions d'euros. Des problématiques liées au narcotrafic sont également identifiées. Nous avons ces dernières années pu remonter grâce à une enquête dite Encrochat jusqu'à des groupes criminels qui agissent au niveau européen, et nous avons alors constaté leur emprise sur certains secteurs, notamment sur les territoires portuaires, pour l'introduction de stupéfiants sur le territoire européen.

À ces sujets, je voudrais ajouter deux défis.

Le premier est le défi migratoire. Le Royaume-Uni étant le pays de destination des migrants originaires du Pakistan, d'Afghanistan, d'Iran et de Syrie, le Nord de la France est voué à rester une zone d'attente, ce qui induit la consommation de ressources sécuritaires qui pourront faire défaut ailleurs. Néanmoins, le principal défi identifié tient à l'installation de criminalités organisées spécialisées dans le trafic d'êtres humains sur ces territoires. Le ministère de l'Intérieur a par conséquent pris la décision de créer un office dédié à ces problématiques.

Le second défi est structurel. Il est lié aux nouvelles technologies et au cyberespace. Dans ce territoire immatériel se développe une véritable criminalité, parfois organisée, autour des trafics de stupéfiants, d'êtres humains et d'armes. Ce qui se produit sur le territoire matériel se retrouve ainsi sur le territoire immatériel. Le cyberespace est aujourd'hui un lieu d'échange et de fourniture de tels moyens. C'est un lieu où on fournit des services aux groupes criminels.

Pour faire face à ces défis, la gendarmerie s'organise, en s'appuyant sur ses caractéristiques militaires. Il faut être capable de gérer des crises de haute et de basse intensité, parfois sur la durée. Cette gestion de crise s'articule autour de quatre principes, organisés « en boucle ». Pour bien gérer une crise, il faut ainsi l'anticiper, s'y préparer, être en mesure d'agir, puis tirer l'expérience de cette action.

L'anticipation renvoie à la stratégie, la vision, développée par la gendarmerie. Hier, notre directeur général a dû évoquer avec vous Gend 20.24 et ses différents piliers. Le premier consiste à offrir une meilleure protection à nos concitoyens, une offre de protection sur-mesure. Nous devons être présents partout, sur tous les territoires et augmenter les contacts et la proximité avec les élus et la population afin de permettre une meilleure compréhension des problèmes et des territoires physiques et numériques. L'anticipation nécessite de définir les besoins et un contrat opérationnel.

La préparation, elle, est essentiellement tournée vers le capacitaire, à la fois dans le domaine matériel et dans celui des hommes et des femmes qui contribuent à nos missions. Concernant les matériels, nous ne disposons pas au sein de la gendarmerie d'une direction générale de l'armement. Depuis l'année dernière, nous avons mis en place un pôle capacitaire au sein de la direction des opérations afin de nous doter d'une vision transverse de tous les besoins de la gendarmerie en matière capacitaire. Un pôle piloté par un général de division intègre des officiers de cohérence opérationnelle. Chacun pilote un domaine particulier, comme la mobilité, les drones, les hélicoptères, les fichiers ou les applications autour du numérique. Ces officiers de cohérence opérationnelle travaillent avec des directeurs de programmes répartis dans les sous-directions de la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN). Ce pôle stratégie capacitaire présente l'avantage de jouer le rôle d'agrégateur de tous les besoins. Lorsque nous faisons face à un besoin capacitaire, nous travaillons de manière transversale avec les différentes directions de la gendarmerie nationale – c'est-à-dire la direction des opérations, la direction des soutiens et des finances et la direction des personnels militaires – pour monter ces programmes. Ce mode très militaire nous permet d'avancer rapidement sur les sujets capacitaires. En moins d'une année, nous avons traité par exemple la problématique du renouvellement des blindés au sein de la gendarmerie nationale. De son côté, la préparation des femmes et des hommes relève de la formation, et de ce que l'on attend en termes de compétences pour les gendarmes qui serviront en Gendarmerie départementale, en Gendarmerie mobile. Sur cette formation, on doit définir des attendus, on doit se baser sur nos fondamentaux militaires. Pour faire face à ce que j'ai décrit, on prépare la densification du gendarme.

Vient ensuite l'action. Être performant dans l'action nécessite de disposer des bons outils, qui nous permettent d'être plus performants. Je reviendrai tout à l'heure sur le centre national des opérations qui est un outil qui nous permet de monter en puissance rapidement grâce à la concentration des moyens. L'action repose également sur l'entretien des compétences. Là aussi, la militarité présente des avantages, tels que la place du chef ou la robustesse. Dans l'action, nous mettons en avant notre capacité en tant que militaires à obéir aux ordres, la discipline, l'esprit de sacrifice, l'aguerrissement, mais aussi la capacité à manœuvrer à tous les échelons. Pour vous donner un exemple, une patrouille sur le terrain, qu'elle compte deux, trois ou quatre gendarmes, a toujours un chef, dont le rôle est de commander l'opération, de rendre compte et d'avoir les moyens qui s'agrègent. La capacité d'initiative et l'intelligence locale sont également importantes dans la phase d'action. Pour développer cette initiative locale, tous nos gendarmes doivent s'inscrire dans une relation de confiance vis-à-vis du système, de leur arme et de leur chef. C'est une caractéristique de l'état militaire.

Enfin, le quatrième item est le retour d'expérience. Il est souvent difficile à mettre en œuvre. Il suppose en effet de relever ce qui ne s'est pas très bien passé dans la gestion des opérations. Un chef doit être capable d'entendre les difficultés notées par un subordonné. Le retour d'expérience est donc marqué par la capacité à se faire confiance, à agir ensemble, ce qui est une volonté forte de notre directeur général, développée dans son plan stratégique.

Concernant les outils dont nous disposons aujourd'hui pour mieux traiter les crises, je reviendrai sur le centre national des opérations de la gendarmerie et ses déclinaisons locales. Une crise peut être nationale, régionale, zonale, départementale. À chaque échelon, nous mettons en place des centres de gestion de crise. Au niveau départemental, il s'agit des centres d'opérations et de renseignement de la gendarmerie (CORG). Au niveau zonal, nous développons les centres zonaux des opérations. Au niveau national, une supervision de l'ensemble des opérations de la gendarmerie est menée par un centre national des opérations.

La gendarmerie est donc une force armée traitant des menaces grâce à son organisation militaire. Nous avons réorganisé le dispositif CNO en tirant les conséquences de la succession de crises de nature, d'intensité et de durée variables que nous vivons depuis 2015. Autant de crises de qui se superposent, voire s'imbriquent. Le CNO a été construit sur le modèle du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO). La déclinaison de ce modèle s'effectue au niveau zonal et au niveau départemental. Aujourd'hui, le CNO nous garantit une capacité à conduire les opérations de façon plus performante. Nous sommes organisés sur le modèle de l'OTAN avec des J, allant de J1 à J9, pour pouvoir instantanément générer des forces, les concentrer, les projeter, notamment en ce qui concerne les moyens rares, comme le GIGN, les blindés, les hélicoptères. Par exemple, l'an dernier, une crise relativement sévère est survenue à Blois. Le préfet y a fait appel à la gendarmerie pour renforcer le dispositif de police. En l'espace de deux heures, le CNO a permis de mobiliser plus de 250 gendarmes en mesure d'intervenir auprès de nos collègues policiers dans Blois, une force de Gendarmerie mobile avec une antenne du GIGN, des hélicoptères et des moyens complémentaires. Le CNO est aussi l'organe à la manœuvre au niveau national pour la gestion des TRAC. Le CNO est un démultiplicateur capable de générer des forces très rapidement, d'engager pour les préfets pour des gestions de crises.

Nous faisons également le lien avec le dispositif d'intervention augmentée de la Gendarmerie (DIAG), dispositif conceptualisé à la suite de l'affaire de Dijon. Pour traiter des crises de haute intensité qui impliquent des tirs d'armes à feu, la problématique est non seulement judiciaire, car il faut faire cesser l'infraction et arrêter les auteurs, mais il s'agit également de rétablir l'ordre. Nous avons mis en place un concept d'intervention comportant des escadrons de gendarmerie mobile d'alerte qui, à la demande des préfets, peuvent se projeter en urgence sur ce type de situation. Des moyens complémentaires sont agrégés à ces escadrons, tels que des hélicoptères avoir une vision en éclair du dispositif. Nous pouvons en outre agir sous blindage. 90 véhicules blindés de maintien de l'ordre de nouvelle génération arriveront en gendarmerie entre 2022 et 2024. Nous sommes en mesure de travailler avec des éléments spécialisés qui viennent compléter le dispositif, comme le GIGN. Nous sommes donc en mesure de mener des opérations de police judiciaire de l'avant, d'interpeller des individus, y compris qui utilisent de l'armement, mais également de rétablir tout de suite la situation. Un DIAG peut être aussi employé sous très court préavis pour faire face à des situations d'urgence, par exemple en outre-mer. Les DIAG ont été engagés lors des crises récentes aux Antilles, en Guadeloupe et en Martinique. Ils peuvent être engagés dans certains dispositifs importants de la Gendarmerie, tels que les TRAC. Les TRACS ont été engagés suite à des faits graves commis par des personnes survivalistes et en perte de repères, sur-armés, qui ont tué des personnes. Il a fallu mettre en place des dispositifs pour protéger les gendarmes et permettant d'avoir une action large et dans la profondeur. Cela comprend des hélicoptères, des blindés, des gendarmes mobiles pour le ratissage de zones et des experts du GIGN pour procéder aux interpellations Les concepts de ces opérations s'appuient réellement sur des caractéristiques militaires.

Je souhaitais également aborder le sujet du COMCyberGEND. Il désigne une manœuvre de la gendarmerie adaptée au cyberespace. Le commandement de la gendarmerie dans le cyberespace permet de structurer nos capacités pour faire face à toutes les menaces technologiques qui nous frappent aujourd'hui. Le directeur général rappelle souvent que la prochaine crise majeure sera numérique. On voit les impacts que cela pourrait avoir sur la coupe du monde de rugby de 2023 et sur les Jeux olympiques de 2024.

Enfin, je souhaitais aborder la rénovation amorcée l'an dernier de la chaîne d'intervention spécialisée de la gendarmerie. Le GIGN est aujourd'hui un GIGN de troisième génération. Il y a 40 ans, le GIGN regroupait 30 personnels à Maisons-Alfort. Le GIGN a ensuite connu une première évolution en 2007 avec le regroupement de toutes les unités d'intervention de la gendarmerie, l'escadron parachutiste d'intervention, le groupe de sécurité de la présidence de la république (GSPR). Le GIGN est devenu une unité capable de gérer les prises d'otage de masse en 2007. Il est alors passé à 400 personnels. Aujourd'hui, le GIGN englobe plus de 1 000 personnes, avec une base centrale à Satory et 14 antennes réparties sur le territoire métropolitain et ultramarin. Il y a une formation commune de tous les personnels avec des degrés divers de technicité, Satory étant le socle avec les plus grandes technicités (tirs, parachutistes, tirs, explosifs et moyens spéciaux). À présent, le GIGN est beaucoup plus impliqué dans les problématiques de gestion de crise de basse intensité, par exemple dans les DIAG, car nous faisons face à une société de plus en plus violente. Les gendarmes subissent parfois des tirs, et il faut des personnels particulièrement aguerris, capables d'agir sous protection et blindage, pour aider nos camarades sur le terrain à résoudre ces situations. Le GIGN, plus souple et plus agile, intervient donc sur un spectre beaucoup plus large que le très haut niveau de crise, dont il est toujours capable, et il est capable de s'intégrer parfaitement aux dispositifs territoriaux mis en place par la gendarmerie.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.