Je souhaiterais apporter des précisions sur un point essentiel de la réflexion et du travail que nous avons conduits dans le cadre du plan de transformation stratégique Gend 20.24. Nous avons largement évoqué l'approche par la manœuvre. Pour manœuvrer, il faut des troupes. Nous avons aussi parlé de capacités, c'est-à-dire de moyens et de savoir-faire, ainsi que des femmes et des hommes qui servent cet ensemble. Le deuxième pilier du plan de transformation stratégique Gend 20.24 est intitulé « Mieux progresser en s'engageant ensemble et en confiance ». Ce pilier est consacré uniquement à la problématique du gendarme. Le directeur des personnels militaires a abordé ce matin le statut, l'application de la directive européenne sur le temps de travail et les contentieux soulevés en la matière.
Notre réflexion s'appuie sur les notions de robustesse du gendarme, son fondement militaire et dans le contexte actuel sa capacité à faire face à un « durcissement » de sa mission. Il doit en effet surmonter plusieurs épreuves. La première est la banalisation. Être gendarme n'est pas un métier mais un état. Le gendarme doit accepter, voire revendiquer de n'être pas un agent public comme un autre, en écho avec les réflexions militaires sur la militarité. Il doit également surmonter le doute, parce qu'agir pour la protection des Français et de la Nation contre les menaces et le délitement du lien social se fait parfois aussi contre le gré même de la population. Le gendarme doit par conséquent être convaincu des raisons qui fondent son action et identifier un sens clair à ce qu'il entreprend. Il doit aussi surmonter les diverses insécurités attachées à sa mission, avec des risques physiques et psychologiques, mais également une éventuelle forme d'insécurité juridique. Il lui faut enfin surmonter les épreuves que lui impose son quotidien de gendarme, c'est-à-dire la confrontation à la souffrance et à la mort. Le gendarme est parfois comparé à un médecin généraliste de la société. En effet, il doit gérer un certain nombre d'injonctions contradictoires sans se départir de son sens de l'analyse et de sa réactivité pour pouvoir décider et agir.
Notre réflexion sur la robustesse et la densification du gendarme a beaucoup porté sur la force psychologique et morale, et l'endurance physique. Elle comporte également une forme de socle métaphysique, ce petit quelque chose auquel le gendarme est prêt à tout sacrifier. C'est la mission et la Nation mais également une forme d'éthique, de valeur du bien et du mal.
Nous avons construit un travail conceptuel et pratique autour d'un triptyque : le chef, le gendarme et le groupe. Cette réflexion s'est traduite de manière concrète, en matière de formation, de gestion RH et de chaîne de commandement. Une philosophie sous-tend ce triptyque : le chef doit maîtriser les fondamentaux de l'exercice du commandement militaire et représenter une autorité affirmée, affermie, exemplaire, mais aussi bienveillante, agile et éclairée. Le principe du commandement décrit par le général Bonneau suppose que, quelle que soit la taille de l'unité engagée, un chef soit toujours présent. Sans chef, le système ne fonctionne pas. Les chefs doivent être psychologiquement et professionnellement armés, par la formation des cadres, pour commander et décider dans toutes les situations, même les plus complexes et incertaines.
Ce triptyque s'est en outre traduit dans la formation de nos cadres mais aussi dans la publication de documents socles diffusés à l'ensemble de la gendarmerie. Le gendarme doit être conforté dans le « pourquoi » de son état de gendarme. Il doit faire preuve d'une forme d'aguerrissement moral pour consolider son éthique et sa résistance psychologique. Il doit également être consolidé dans le « comment » de son action, par un aguerrissement professionnel, clarifiant ce qui est attendu de lui. Un travail de fond est mené à ce sujet dans le cadre des formations initiales et continues, notamment en insistant sur les fondamentaux militaires, tel que les savoir-faire issus du combat, le rôle des chefs de contact, le renforcement du contrôle interne, l'éthique de l'action et la déontologie au quotidien.
Enfin, le travail sur le groupe repose sur le fait que l'intérêt collectif n'est pas la somme des intérêts individuels. La capacité collective d'un groupe, d'une unité militaire à faire face n'est pas la simple adjonction des capacités individuelles. Il y faut en réalité un liant, qui est l'engagement, l'esprit de corps, la cohésion, la fraternité d'armes. Ce liant est l'adhésion aux mêmes valeurs. La synthèse du chef et du gendarme aboutit à un groupe doté d'un cap, d'une volonté commune, qui est plus que la somme de ses individualités et qui doit pouvoir réussir sa mission même dans les circonstances les plus incertaines. Le travail sur ce point recouvre un retour à certaines traditions et à certains rites qui contribuent à la fortification de l'esprit de corps et de la cohésion des unités.
Fortifier un gendarme dans son état et sa vocation militaires, c'est consolider la gendarmerie comme force armée. La gendarmerie est une force armée parce que c'est une force humaine, avec un esprit où l'humain est au cœur du fonctionnement et de la mission, puisque la mission du gendarme est la protection des Français et des plus vulnérables. Être gendarme, c'est aimer les gens et aimer les aider. La gendarmerie, en tant que force armée, est aussi une force contenue : le gendarme maîtrise en toute circonstance l'emploi de la force légitime. Notre particularité dans le milieu militaire tient au fait que le gendarme ne détruit pas son ennemi. Il neutralise son adversaire en conservant le plus bas niveau de violence afin d'assurer le retour à la normale. Enfin, la gendarmerie est une force armée, parce qu'elle a une vocation de service du public, ce qui conduit à la réflexion sur l'exigence de redevabilité qu'a évoquée le général Bonneau. Nous devons des comptes aux Français et aux élus et nous devons leur demander également ce qu'ils attendent de la gendarmerie.