Intervention de le général de brigade Christophe Daniel

Réunion du mardi 1er février 2022 à 17h35
Commission de la défense nationale et des forces armées

le général de brigade Christophe Daniel, chargé de mission auprès du directeur des opérations et de l'emploi :

Merci Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, c'est un honneur pour nous de nous exprimer devant la représentation nationale. Il m'est demandé de vous présenter la gendarmerie mobile. De nombreux éléments ont d'ores et déjà été présentés par notre directeur général et mon supérieur direct, le directeur des opérations et de l'emploi, lors de leurs auditions la semaine passée. J'essayerai de vous apporter quelques précisions sur notre approche de l'ordre public. Comme évoqué, nous devons faire face à un enchaînement de crises de nature différente. Nous vivons une époque de grands bouleversements : pandémie mondiale, menaces terroristes, catastrophes écologiques, crises économiques et sociales, cycles d'affrontements réguliers lors des mouvements de contestation ou d'ordre public ou lors de grands rassemblements même festifs (événements sportifs). Il s'agit pour nous de proposer les moyens pour gérer les problématiques d'ordre public, de manière quasi continue et en tous points du pays, parfois pendant de longues périodes. Vous avez évoqué la longue séquence des gilets jaunes. Par son engagement quotidien dans les opérations de maintien et de rétablissement de l'ordre, la gendarmerie mobile constitue un acteur majeur de la gestion de crise au cœur des territoires et des agglomérations, en métropole comme en outre-mer. Mon propos s'articulera en quatre points : une présentation sommaire de la gendarmerie mobile ; un éclairage sur son rythme d'emploi ; sa formation et quelques perspectives.

En 2021, nous avons fêté le centenaire de la gendarmerie mobile créée en 1921. Nous disposons d'une longue inscription dans la gestion de l'ordre public. La décision, qui fut alors prise de confier la mission de gérer l'ordre public à une autre force que l'armée, est importante. En effet, elle marque une rupture et la prise en compte de l'ordre public par le pouvoir politique. Ce dernier entrevoit clairement le bénéfice de disposer d'unités spécialisées pour conduire les opérations d'ordre public. L'expression d'unité spécialisée est toujours évoquée et rappelée dans le schéma national du maintien de l'ordre (SNMO). Nous n'avons eu ensuite de cesse de nous adapter, de faire évoluer notre organisation, de fournir des capacités en mesure de répondre aux enjeux fixés et aux contextes d'engagement de nos forces.

La gendarmerie nationale comprend 100 000 hommes et femmes. La gendarmerie mobile compte 13 790 hommes et femmes répartis au sein de 109 escadrons de gendarmerie mobile. Il s'agit de notre pion de manœuvre. Ces 109 escadrons sont répartis sur l'intégralité du territoire. Ils sont encadrés par 17 groupements de gendarmeries mobiles. Il existe un groupement particulier, le groupement blindé de la gendarmerie mobile (GBGM) qui se trouve à Versailles-Satory. Ces escadrons sont organisés en quatre pelotons de marche. Un cinquième peloton organise le commandement, le soutien et la vie courante. Ils sont engagés sur le terrain à trois ou quatre pelotons selon l'appréciation de la situation et les contraintes du commandant d'unité. Quelques-uns de ces escadrons sont spécialisés : le groupement blindé de la gendarmerie mobile (GBGM) ; les escadrons dits « montagne » avec des formations et des qualifications adaptées pour les gendarmes qui y servent.

La féminisation des escadrons est récente et désormais, tous les postes sont désormais ouverts aux femmes. Auparavant, seuls les postes d'officier leur étaient accessibles. Depuis 2016, les femmes peuvent également servir en tant que sous-officiers. C'est cette ouverture tardive qui explique un très faible taux de féminisation dans nos unités : 5,77 %. Ce taux atteint 20 % en ce qui concerne la gendarmerie nationale. 679 femmes servent dans la gendarmerie mobile parmi lesquelles 20 officiers commandants de peloton ou commandants d'unité. Ce chiffre ne pourra qu'augmenter. À ce jour, un seul escadron sur les 109 n'est pas féminisé. Par ailleurs, la gendarmerie mobile connaît un turn over assez important. Le rythme d'emploi des escadrons et les missions imposent un certain roulement et la nécessité de maintenir des capacités de robustesse. La gendarmerie mobile est idéale pour un jeune gendarme en sortie d'école, en début de carrière. Ils y sont affectés massivement. Entre 2017 et 2021, nous dénombrons 6 543 affectations d'élèves gendarmes en gendarmerie mobile. La durée moyenne de présence d'un gendarme en escadron est de cinq ans, trois mois et onze jours. La subdivision de la gendarmerie mobile est relativement jeune, la moyenne d'âge étant de 28-29 ans. Il s'agit essentiellement des sous-officiers (95 %).

La gendarmerie mobile est une force spécialisée dans le maintien de l'ordre. Néanmoins, sa polyvalence lui permet d'assurer de nombreuses missions. Ainsi, elle peut être appelée à renforcer les unités de sécurité publique pour des missions de sécurisation ou en appui aux opérations de police judiciaire ; elle assure des missions de protection sensibles (les gardes, les escortes, les transports nucléaires) ; elle participe aux opérations définies dans le cadre de plans gouvernementaux (Vigipirate, lutte contre l'immigration irrégulière et contrôle des flux). Nous l'utilisons comme capacité d'appui et de renfort aux unités territoriales lors des grands épisodes de bascule de la population, en période estivale ou hivernale, au travers de dispositifs spécifiques. Nous l'employons également comme force pour faire face à des enjeux particuliers. C'est le cas actuellement avec le déroulement du procès des attentats du 13 novembre 2015, trois escadrons étant déployés pour assurer la sécurisation du palais de l'île de la Cité. Vous trouverez des gendarmes mobiles sur tous les territoires, engagés dans de nombreuses missions. Ils se trouvent également aux abords des ambassades des États-Unis, de Grande-Bretagne ou encore d'Israël. Ils participent à des missions de sécurisation dans les gares parisiennes et à chaque maintien de l'ordre.

En outre-mer, une vingtaine d'escadrons sont engagés et déployés en permanence. Les missions durent trois mois en moyenne. Cette mission outre-mer revient tous les douze à quinze mois pour chaque escadron. L'année 2021 a été l'occasion d'un engagement massif dans les outre-mer avec un renfort conséquent en Nouvelle-Calédonie pour assurer la sécurisation du référendum ; et un déploiement en urgence dans les Antilles, en Guadeloupe et en Martinique en fin d'année dernière.

L'emploi des unités se caractérise par la notion de déplacement sur le territoire métropolitain, outre-mer et sur des terrains étrangers, lorsque nous sommes engagés dans le cadre d'une opération extérieure. Il en résulte un régime d'emploi spécifique selon les missions dévolues. Au quotidien, nous engageons environ 68 escadrons dans différentes missions. Un escadron se déplace environ 175 jours par an. Lors des pics, tels que les séquences des gilets jaunes ou bien au début de la pandémie, nous avons dépassé ce seuil puisque nous avons engagé quotidiennement à l'emploi jusqu'à plus de 100 escadrons, dont 80 en mission de maintien de l'ordre. Ces situations sont difficilement tenables sur le temps long, car cela a des conséquences sur les droits aux repos et aux permissions de nos gendarmes.

Pour répondre aux demandes urgentes, nous disposons d'un dispositif d'alerte dédié, nommé PUMA pour l'alerte métropole ou SERVAL pour les outre-mer. En 24 heures, après une décision politique prise un vendredi, nous projetions des renforts en Guadeloupe avec des escadrons et une partie du GIGN. Les réserves disponibles au quotidien sont très faibles, au regard du taux d'emploi conséquent. Cela nous pose des difficultés lors d'événements impromptus ou de fortes sollicitations. Nous effectuons alors, après validation du cabinet du ministre de l'Intérieur, des bascules de mission. Il s'agit de supprimer une mission pour pouvoir réaliser du maintien de l'ordre. Nous pouvons également rapidement rappeler nos unités. Nos escadrons sont logés en caserne. Ce mode de vie permet de regrouper rapidement une unité et de la déployer sur une mission donnée.

Nous disposons de 109 escadrons, dont 108 manœuvrables. L'escadron de Brest est fixé pour la protection de l'île Longue. Nous disposons de 60 CRS, soit la réserve générale du Gouvernement. La doctrine d'emploi, commune, date du 29 décembre 2015. Ce texte réaffirme le rôle de l'unité de coordination des forces mobiles chargée de prendre les commandes de tous les préfets de zone, puis de ventiler les forces. Cette unité de coordination est placée sous l'autorité des deux directeurs généraux. Elle doit tempérer certaines demandes et équilibrer la ventilation, pour que nous puissions répondre à toutes les expressions de besoin. En cas de difficultés, une procédure d'arbitrage est mise en place par le directeur de cabinet du ministre de l'Intérieur ou le directeur de cabinet adjoint qui tranche en dernier lieu. En 2021, 8 628 unités de force mobile (UFM) ont été demandées, 5 324 ont été allouées par l'unité de coordination des forces mobiles (UCFM) soit un taux de satisfaction de 61 % des demandes. Le rôle de l'UCFM est majeur, car il permet de répartir les moyens, chaque zone souhaitant bénéficier du maximum d'unités pendant les situations de crise. Le maintien de l'ordre est également assuré par des unités non spécialisées, notamment pour soutenir la police nationale. Ainsi, la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) dispose d'unités de maintien de l'ordre en bas de spectre ou en situation plus tendue.

En 2019, la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), la direction générale de la police nationale (DGPN) et la préfecture de police de Paris se sont réunies au cabinet du ministre de l'Intérieur pour collaborer à l'élaboration du SNMO, notamment suite au retour d'expérience après les mouvements des gilets jaunes. Une première parution a eu lieu en octobre 2020, une seconde l'année dernière suite aux décisions du Conseil d'État. Nous avons participé activement à son élaboration autour des points clés suivants : la place confirmée des journalistes, la communication avec les manifestants, la rénovation des sommations, un travail sur une plus grande réactivité de nos unités, enfin a été réaffirmée la priorité de l'intervention face aux auteurs de violences. Ce document constitue une référence pour l'exercice du maintien de l'ordre dans notre pays. Il permet de concilier les deux objectifs prioritaires : permettre à chacun de s'exprimer librement dans les formes prévues par la loi et d'empêcher tout acte violent contre les personnes et les biens, à l'occasion des manifestations.

La formation de nos escadrons se décline à travers un parcours long, de la formation initiale jusqu'aux formations continues qu'elles soient individuelles ou collectives. Elle est centralisée au centre de Saint-Astier ou effectuée au sein même des unités. Chacun de nos militaires est préparé à la gestion de l'ordre public, en école de formation pour les élèves gendarmes et officiers et également au centre national d'entraînement des forces de gendarmerie (CNEFG) de Saint-Astier en Dordogne. Ce processus permet de délivrer un bloc de formations et une doctrine homogène afin que tous s'approprient les mêmes process d'analyse et des modes tactiques identiques. Un gendarme mobile, qui souhaite rester au sein de la gendarmerie mobile et effectuer une carrière de gradé, suivra une formation de plus de quatorze mois sur les fondamentaux militaires, le combat à l'école de commandement et la tactique au maintien de l'ordre. Le CNEFG a été créé à l'issue des événements de 1968. Il concentre la recherche indispensable qui assure l'adaptation de la formation de nos unités. Ce centre s'étend sur plus de 140 hectares. Il possède un village de maintien de l'ordre et plusieurs pôles d'instruction. La formation délivrée se situe au plus près de nos engagements. Les escadrons y passent environ tous les trois ans et sont soumis à une préparation opérationnelle d'une semaine en amont. La préparation au centre constitue également une certification. Nous y disposons de formateurs permanents qui regardent les cadres et décident de leur niveau. Certains doivent passer à nouveau leur examen si des lacunes sont décelées. Les stages sont effectués à six escadrons. Les commandants d'unité et les pelotons d'intervention y sont certifiés. Ces stages durent quinze jours. Nous y accueillons plusieurs visites : préfecture, magistrats, et dernièrement une délégation du défenseur des droits. Nous y utilisons les gaz lacrymogènes, nous effectuons des exercices nocturnes, nous utilisons nos blindés avec une ambiance sonore. Un escadron prend le rôle de l'adversaire.

Dans le cadre du SNMO, il est demandé de favoriser les échanges avec les membres des autres forces. Des unités de la police nationale sont venues au centre en 2021. Et nous-mêmes avons participé à des exercices avec la préfecture de police. Cette formation CNEFG est importante. Toutefois, depuis plus de quatre ans, nous éprouvons des difficultés à en respecter la planification, au regard du taux d'emploi. J'évoquais les stages à six escadrons, il s'avère souvent difficile de tenir ce volume et de respecter le nombre de stages sur l'année.

En tant que militaires, nous cultivons certaines valeurs. Ces dernières sont inculquées à nos élèves gendarmes et officiers, dès la formation initiale. Il s'agit de l'esprit d'engagement, du culte de la mission, de la gradation et de la proportionnalité dans l'emploi de la force. Certains items nous semblent primordiaux pour la réussite des missions de maintien de l'ordre ou de rétablissement de l'ordre et la confrontation à la haute intensité. La maîtrise de soi s'avère essentielle. De même, une capacité d'auto contrainte est nécessaire lorsque vous êtes engagés en escadrons face à des comportements compliqués (insultes, agressions, jets de projectiles). En outre, la discipline, la place du chef, la capacité d'analyse, la robustesse (engagement dans des situations difficiles), l'intégration à un environnement interarmées constituent des points essentiels, tout autant que la capacité à être projetable en Afghanistan ou en Côte d'Ivoire pour six mois dans les mêmes conditions que nos camarades des armées.

La vie en gendarmerie mobile permet à des unités de plus de cent militaires de favoriser l'esprit de cohésion. On vit en déplacement ensemble pendant un à trois mois. Cela permet de connaître les capacités et les forces de chacun, et de pouvoir compter les uns sur les autres en situation de crise. Pour les cadres et les officiers, des capacités d'analyse et de planification sont développées. Beaucoup d'officiers disposent de cette culture fournie par le biais de leur recrutement, pour ceux qui viennent de Saint-Cyr Coëtquidant, ou l'acquièrent lors des phases de formation commune avec des officiers supérieurs des armées, notamment lors du cursus à l'école de guerre ou au centre des hautes études militaires. La formation initiale à l'école des officiers de la gendarmerie nationale (EOGN) traite de la planification. Cette notion s'avère importante. Ainsi, la projection en Nouvelle-Calédonie avec plus de dix escadrons et de nombreux moyens a demandé près d'un an de planification avec nos camarades de l'état-major des armées. Un gendarme mobile doit être capable d'être projeté sous un préavis court, parfois dans des conditions rustiques voire sommaires.

Dans le domaine des équipements, nous vivons une phase particulière et rare avec le renouvellement de notre parc mobilité (renouvellement de véhicules, des blindés, des vêtements, des moyens de communication). Nous allons acquérir 90 blindés sur trois ans et 972 véhicules de maintien de l'ordre sur plusieurs années. La loi d'orientation et de programmation du ministère de l'Intérieur (LOPMI), qui sera déposée d'ici peu, évoque une augmentation des effectifs des UFM. La création de onze UFM a été mentionnée, mais n'a pas encore été entérinée. Nous travaillons actuellement sur ce dossier.

La gendarmerie travaille à l'adaptation régulière de son organisation et de son concept d'emploi. La parution du SNMO est concrétisée, amplifiée et accélérée dans le champ de compétence de la gestion de l'ordre public. Le directeur général et le directeur des opérations et de l'emploi (DOE) ont évoqué la création du centre national des opérations à la DGGN avec ses déclinaisons zonales. Ces organismes renforcent le besoin de synergie de nos capacités et des structures de commandement. Au centre national des opérations (CNO), nous disposons de renforts en moyens rares : blindés, hélicoptères, interventions spécialisées et GIGN lors des traques du printemps dernier. Le dispositif d'intervention augmenté de la gendarmerie (DIAG) permet de coupler diverses capacités : la gendarmerie mobile, l'intervention spécialisée, les moyens 3D, la police judiciaire (PJ), la composante blindée pour traiter des situations génératrices de tensions (traques, violences urbaines).

Je ne suis pas en mesure de vous préciser quels sujets nous engageront à la fin de l'année. Au printemps 2021, nous avons effectué trois traques successives. Les années 2023 et 2024 seront marquées par un engagement de la gendarmerie mobile dans le cadre de la coupe du monde de rugby et des jeux olympiques 2024 qui s'étaleront sur plusieurs mois, avec le relais de la flamme qui parcourra tous les départements. La sécurisation des sites, notamment parisiens, représente un tour de force à mettre en œuvre. Nous sommes engagés dans le cycle de préparation au sein de la coordination nationale pour la sécurité des jeux olympiques (CNSJ). Vous connaissez les menaces à prendre en compte pour ces événements majeurs : le risque terroriste et le risque cyber. Nous ne pouvons pas savoir dans quel contexte social cela se déroulera. L'été dernier, nous avons eu la surprise de constater un cycle de manifestations chaque week-end, alors qu'habituellement la période estivale demeure une saison calme, ce qui nous permet de nous déployer dans les stations balnéaires.

La gendarmerie mobile du futur sera connectée et équipée. Les gendarmes seront augmentés, les efforts seront portés sur la connectivité, les retransmissions rapides des données, l'utilisation des drones, des moyens satellites, la géolocalisation et la transmission des ordres. La visualisation des données pourra peut-être s'effectuer sur des lunettes ou des casques. Les gendarmes mobiles disposeront d'exosquelettes pour diminuer le port des charges. À ce jour, un gendarme mobile engagé pour le maintien de l'ordre peut porter plus de vingt kilogrammes de charge pendant plusieurs heures. La gendarmerie mobile du futur reposera sur les hommes et femmes dont les qualités ne changent pas. Il s'agira d'être aguerri, robuste et capable de mettre en œuvre des moyens tactiques. Nos hommes et nos femmes constituent notre richesse et notre savoir-faire. Les moyens technologiques représentent des éléments d'aide à la décision.

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