Intervention de Michel Fanget

Réunion du mercredi 19 juillet 2017 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Fanget, rapporteur :

Nous examinons maintenant un rapport technique, mais important, car il rend compte de l'intensité et de la particularité de la relation que nous avons avec l'Algérie, fondée sur l'Histoire partagée.

L'accord que je vais vous présenter porte sur l'accès aux soins. Il touche donc à l'humain, à ce bien essentiel qu'est la santé. On sait que les peuples français et algérien sont entremêlés. Des Français se sont installés en Algérie et, même si le plus grand nombre a dû quitter le pays à l'indépendance, il reste sur place une communauté française significative. Et surtout un très grand nombre d'Algériens sont venus résider en France. Les recensements montrent que, pour l'ensemble des personnes nées à l'étranger qui résident en France, l'Algérie est le premier pays d'origine. L'Algérie est également le deuxième pays pour le nombre de visas d'entrée en France délivrés annuellement. Dans ce contexte, et compte tenu de l'excellence de nos établissements hospitaliers, il est naturel que de nombreux Algériens souhaitent se faire soigner en France quand ils sont atteints de certaines pathologies graves que l'on traite mieux chez nous.

Cependant, du point de vue administratif, l'accueil de ces patients n'a pas jusqu'à présent été organisé dans les meilleures conditions. Il existe bien un accord bilatéral remontant à 1980 qui prévoit l'accueil dans nos hôpitaux de patients algériens aux frais de la CNAS, c'est-à-dire de la sécurité sociale algérienne, mais ce texte au champ restreint est devenu largement inopérant, puisqu'il ne concerne plus que 40 à 60 personnes par an.

La CNAS a donc contourné ce texte en passant des accords directs avec des hôpitaux français, mais l'application de ces accords a donné lieu au fil des ans à de multiples litiges financiers, portant sur le calcul des frais facturés aussi bien que leur règlement ultérieur. Cet état de fait a conduit la plupart des hôpitaux concernés à cesser ces prises en charge. L'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, l'AP-HP, les a toutefois poursuivies et continue à recevoir dans ce cadre 500 à 700 patients par an, mais au prix de l'accumulation de créances impayées.

Enfin, il existe un flux significatif d'Algériens qui viennent se faire soigner en France à titre individuel, sans prise en charge organisée et avec souvent une entrée via les services d'urgences, ce qui entraîne des difficultés de recouvrement. En 2014, globalement, l'AP-HP a ainsi décompté 2 400 séjours de patients venant d'Algérie.

Les litiges et les problèmes de recouvrement ont entraîné la constitution d'une dette hospitalière qui est importante. En mars 2017, les créances à recouvrer liées aux patients algériens atteignaient pour toute la France un peu moins de 39 millions d'euros, dont près de 28 millions d'euros dans la seule région parisienne, l'AP-HP étant l'ensemble hospitalier le plus concerné. Ces montants sont anormaux mais ne mettent évidemment pas en danger la pérennité de notre système hospitalier, qui délivre pour 90 milliards d'euros de soins par an…

Les responsabilités dans ces problèmes de recouvrement sont sans doute partagées, les établissements français n'ayant souvent, jusque tout récemment, pas su mettre en place des procédures adéquates. D'ailleurs, ces problèmes de créances non recouvrées sont loin de concerner les seuls patients algériens et des difficultés de même nature existent avec bon nombre d'autres pays. Ainsi, à l'AP-HP, la dette dite algérienne dont je viens de parler est la plus élevée, mais ne représente que le quart de toute celle liée aux patients étrangers, qui était globalement proche de 120 millions d'euros fin 2014.

Ces problèmes d'impayés afférents aux patients algériens et plus généralement étrangers font depuis peu l'objet de mesures correctives. Les principaux établissements hospitaliers, à commencer par l'AP-HP, s'efforcent désormais de formaliser des règles spécifiques d'accueil des patients étrangers. Ces règles visent notamment à limiter les problèmes financiers, par exemple en généralisant l'exigence de versement préalable d'une avance sur devis par ceux qui veulent venir pour des soins programmés etou en leur appliquant des majorations. S'agissant spécifiquement de la dette de la CNAS, la sécurité sociale algérienne, à l'AP-HP, la négociation puis la conclusion de l'accord que nous examinons ont été subordonnées au solde de l'existant. Plusieurs versements ont été effectués par la CNAS.

La mise en place de dispositifs adaptés à l'accueil des patients étrangers ne répond pas seulement à des impératifs de bon recouvrement des frais médicaux. Il s'agit également de permettre à nos établissements de tirer parti d'une évolution, souvent qualifiée de « tourisme médical », qui voit un nombre croissant de personnes décider d'aller recevoir des soins à l'étranger. Ce marché – car nous parlons là de patients solvables – représenterait déjà au niveau mondial une soixantaine de milliards d'euros et, compte tenu du niveau des soins qui sont prodigués dans nos établissements, de leurs coûts cependant assez compétitifs et des multiples attraits de la France, nous avons des atouts à faire valoir sous réserve des adaptations administratives et réglementaires.

C'est dans ce contexte que s'inscrit le protocole dont je vais maintenant développer les principales dispositions, en vous renvoyant à mon rapport écrit pour plus de détail. Il a été signé en avril 2016 à l'occasion d'une visite de Manuel Valls à Alger. Il ne traite pas des problèmes du passé, des dettes existantes, mais comme je l'ai dit, a été précédé par le règlement d'un certain nombre d'entre elles. Le protocole est quant à lui tourné vers l'avenir. Il s'agit d'organiser l'accueil en France de patients algériens pour des soins programmés. Le protocole à proprement parler est complété, pour ses modalités d'application, par un « arrangement administratif » signé en même temps. Cet arrangement n'est pas en tant que tel soumis à approbation parlementaire, mais j'évoquerai certaines de ses dispositions qui sont importantes.

La première observation qu'appelle le protocole porte sur son champ d'application, défini à son article 1er. Le champ des bénéficiaires potentiels est très large, puisqu'il couvre, parmi la population algérienne d'Algérie, les assurés sociaux, leurs ayants droit, mais aussi les personnes dites démunies. Cette extension est significative car le secteur informel, échappant à l'affiliation à la sécurité sociale, est développé en Algérie et l'État a mis en place des programmes sociaux pour l'accès à la santé des démunis non assurés sociaux. Ce champ large vise à éviter que l'on ne se retrouve dans la situation actuelle, dans laquelle l'instrument bilatéral de 1980 n'est pratiquement plus utilisé, notamment du fait d'un champ restreint de bénéficiaires potentiels.

L'article 3 du protocole garantit aux patients algériens qui en bénéficieront l'application de la réglementation française en matière de santé publique et de droits des patients. Sans en faire une liste exhaustive, on rappelle que ces droits comprennent notamment celui à une information complète sur les traitements prodigués et l'accès au dossier médical, l'obligation de recueil du consentement éclairé, la protection du secret médical, les dispositions spécifiques aux personnes en fin de vie, etc.

Les articles 4 et suivants du protocole établissent un dispositif rigoureux de devis et d'autorisation préalable pour la programmation de soins pour des patients algériens en France. Les patients devront avoir obtenu de la CNAS une « attestation de droits aux soins programmés ». Ensuite, le dispositif s'efforce d'éviter les situations de litige sur les frais à prendre en charge qui expliquent une part des problèmes constatés dans le passé. L'article 6 traite ainsi des situations où, compte tenu des besoins du patient, les soins devront être prolongés au-delà de la période initialement programmée, en prévoyant les conditions de cette prolongation. L'article 7 précise notamment que le rapatriement du patient ou de sa dépouille est à la charge de la CNAS afin là-aussi de prévenir les litiges.

L'article 8, complété par l'arrangement administratif, établit un circuit centralisé de financement des prestations délivrées aux patients algériens concernés. Les établissements français s'adresseront pour cela à la caisse primaire d'assurance maladie locale, la CPAM, comme pour les patients français, ce qui sera simple et sécurisant pour ces établissements. Les prestations seront facturées sur la base d'un prix de journée, majoré le cas échéant des médicaments ou prestations onéreux et innovants qui n'y sont pas intégrés, et comprendront aussi le ticket modérateur et le forfait hospitalier. Les relevés de dépenses payées par les CPAM et compte rendus hospitaliers seront ensuite centralisés par le Centre national des soins à l'étranger. Je rappelle que cet organisme a été créé en 2006, est rattaché à la CPAM du Morbihan et est chargé de gérer, pour le compte des institutions françaises de sécurité sociale, les dettes et créances internationales relatives aux soins de santé. Il est donc naturel qu'il soit sollicité dans le cadre du présent dispositif.

Il est enfin disposé que les remboursements par la CNAS seront effectués, dans un délai de trois mois, sur la base de décomptes globaux semestriels. Afin d'éviter ou de limiter les décalages de trésorerie, la CNAS devra également verser pour chaque exercice des avances égales à 35 % du montant des créances soldées au titre de l'exercice précédent. Une prise en charge des frais de gestion administrative est également prévue.

On a donc un dispositif qui apparaît solide. Il faut toutefois signaler que la capacité des administrations à le mettre en oeuvre de manière efficiente sera déterminante, si l'on veut éviter que ne réapparaissent des contournements.

Pour conclure, nous avons donc un texte qui devrait inscrire l'accueil des patients algériens dans les établissements hospitaliers français pour des soins programmés dans un cadre administratif unique et solide. Il est conçu pour couvrir potentiellement la plus grande partie de la population algérienne, donc limiter le nombre d'Algériens venant se faire soigner en dehors d'un cadre organisé, et assorti d'un système rigoureux et centralisé de facturation et de recouvrement des frais médicaux afférents, afin de prévenir les litiges.

Ce texte devrait permettre de resserrer nos liens avec le peuple algérien en répondant mieux à ses besoins dans ce domaine essentiel qu'est la santé.

Pour nos établissements hospitaliers, il offre la perspective, en sécurisant les circuits financiers, d'une plus grande ouverture à cette patientèle étrangère. À cet égard, il s'inscrit dans une politique volontariste d'ouverture aux patients étrangers que justifie l'excellence du système de santé et en particulier des équipes hospitalières de notre pays.

Je vous invite donc à adopter le projet de loi qui en porte approbation.

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