Bien sûr ! Cet Alexandre a manifestement du bon sens !
« Et l'agent, quoique charmante… » – l'agent de la CAF, j'imagine – « … bien embêtée, m'a dit qu'elle ne pouvait pas faire grand-chose, que c'était comme ça, que c'était la loi et qu'il y avait des procédures à respecter. Et, même si j'étais manifestement gentil, elle ne pouvait cependant pas présumer de ma bonne foi : rien ne prouvait que je l'étais. Quelle est cette République dans laquelle les citoyens n'ont pas le droit à l'erreur, le droit à la rectification vis-à-vis de leur administration ? Où est-il écrit que chaque citoyen doit être infaillible ? »
« Mais il n'y a pas que cela, monsieur le ministre, poursuit-il. Vous voulez un autre exemple ? » – comme ce n'était pas un échange, il a fait lui-même le dialogue. « Prenez Florian, mon beau-frère » – l'enveloppe ne contenait pas de photo de Florian, j'en suis désolé. « Il dirige une entreprise. Il a certes des costumes particuliers, mais il emploie une soixantaine de salariés, pas très loin de Roubaix, près de chez vous. C'est un type correct qui est parti de rien, qui a beaucoup travaillé. En trois ans, monsieur le ministre, sa société a essuyé pas moins de huit contrôles de votre administration : URSSAF, contrôle fiscal… » et d'autres administrations qui ne dépendent pas de moi, mais, pour lui, j'étais le Gouvernement.
« Vous trouvez ça normal, vous ? Il a des tracas jusqu'au cou. Résultat, il passe plus de temps à répondre aux administrations qu'à faire tourner sa boutique. Je passe sur le fait qu'à chaque fois ces administrations lui demandent les mêmes documents. Il a fini par installer un petit bureau où il place les contrôleurs qui viennent le visiter périodiquement sans le prévenir. Il va falloir qu'il se méfie. Si quelqu'un découvre ces contrôleurs, on va finir par lui reprocher de ne pas les avoir déclarés. Bien sûr, à chaque fois, ces contrôleurs ne trouvent rien, ou pas grand-chose. Et ils ont la main lourde ! Il a même été sanctionné par l'inspection du travail parce qu'il avait oublié d'afficher un petit formulaire à côté de la machine à café ! D'accord, ce n'est pas grand-chose à chaque fois et, sans contrôle, pas possible de débusquer les fraudeurs, mais, à mon avis, on ne cherche pas là où il faut. Et quand c'est l'administration qui lui doit de l'argent – la dernière fois, c'était l'URSSAF – il a dû prendre des avocats pour montrer qu'il était dans son bon droit. Monsieur le ministre, on marche sur la tête. »
« Alors, monsieur le ministre des administrations, sachez que ma femme, mon beau-frère et beaucoup de gens de ma famille et de mon entourage – je pense notamment à Charlotte, agricultrice à Bondues, ou encore à mon frère Jérôme, une sorte de Géo Trouvetou un peu dingue qui a quelques inventions étonnantes qui font fuir les brevets de l'administration – sachez que ma famille et mes amis, nous n'en pouvons plus. »
« Cette lettre ne sera sans doute jamais lue par le ministre… » – pas de chance – « … mais nous ne sommes pas les seuls. Je suis sûr que tous les Français le pensent. Tiens, je parlais encore avec l'institutrice de ma fille, ce matin, qui ne manquait pas d'anecdotes vis-à-vis, elle-même, de sa propre administration. »
Je ne m'attarde pas sur les formules laudatives qui concluent cette lettre, par lesquelles Alexandre me dit combien il me trouve formidable. Je pense que cela n'intéresse pas grand monde ici, puisque vous en êtes à peu près tous convaincus, sur tous les bancs de cet hémicycle…