Intervention de Françoise Nyssen

Réunion du mardi 18 juillet 2017 à 15h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Françoise Nyssen, ministre de la Culture :

Je suis heureuse et honorée, émue et impressionnée aussi, d'être devant vous pour vous présenter mon projet et répondre à vos questions. C'est la première fois que je me prête à un exercice de cette nature puisque, vous le savez, je suis une ministre issue de la « société civile ». Auparavant, je dirigeais une maison d'édition à Arles, où j'étais, plus largement, impliquée dans l'animation de la vie culturelle locale.

Si j'ai accepté la mission proposée par le Président de la République et le Premier ministre, c'est, bien sûr, par sens républicain, mais aussi par souci de cohérence, un principe qui m'importe particulièrement : ayant consacré toute ma vie à la culture, je ne pouvais refuser de servir de cette façon.

La surprise ayant dû être aussi grande pour vous qu'elle le fut pour moi d'apprendre ma nomination, je prendrai quelques instants pour vous dire comment mon engagement citoyen a structuré mon parcours. Ce fut d'abord dans les quartiers de Bruxelles où, après avoir mené des recherches en biologie moléculaire, j'ai participé aux luttes urbaines par le biais de l'urbanisme ; ce fut ensuite à Arles, où ma famille et mon équipe ont créé un écosystème culturel non sans lien avec l'écologie puisque, par le biais de notre collection « Le Domaine du possible » et de notre proximité avec l'essayiste Pierre Rabhi, nous avons participé au film Demain. Ce fut enfin en matière d'éducation : nous avons créé l'école du « Domaine du possible » pour expérimenter et réfléchir aux moyens d'accompagner les enfants dans leur apprentissage par la pratique de l'art et par le rapport à la nature, aux chevaux en particulier.

Si j'ai accepté de prolonger cet engagement citoyen à une autre échelle, celle du ministère, c'est aussi parce que le projet culturel du candidat Emmanuel Macron – la volonté de faire de la politique culturelle une priorité de son mandat, de coupler culture et éducation, de chercher à rendre la culture accessible au plus grand nombre – correspondait à mes propres convictions. Lorsqu'il m'a reçue, le Président de la République m'a dit, plus largement, son souhait de voir la politique culturelle inspirer l'ensemble de l'action gouvernementale, recréer du lien dans une société souvent fracturée et redonner confiance. Il a paru à la citoyenne de ce pays que j'aime et qui m'accueillie il y a quarante ans, puisque je suis née Belge, qu'il fallait le faire, et c'est ce qui m'a décidée. Je me présente donc devant vous avec beaucoup de conviction et de détermination, et avec le désir d'agir.

En ce début de législature, j'insisterai sur trois volets de mon projet : la méthode, le modèle culturel que ce projet doit servir et les priorités qui en forment l'armature.

J'attache une grande importance à la méthode. Je me suis reportée aux discours faits devant vous par mes prédécesseurs et j'ai constaté que certains des axes que je souhaite suivre ont déjà été présentés ici. Mon objectif n'est pas de faire table rase du passé, tant s'en faut, mais de comprendre pourquoi tout ce qui a été très justement dit a parfois eu du mal à se concrétiser, et de faire différemment, quand c'est nécessaire, pour réussir à progresser. Déterminer quels sont les blocages doit permettre de les déjouer.

En fonction depuis deux mois, j'ai déjà tiré quelques leçons de mes premières semaines au ministère. La politique culturelle souffre de certains tabous, et aussi de certains cloisonnements, tant au sein du ministère qu'entre le ministère et ses interlocuteurs. Je veux tenter de les faire tomber. Je souhaite que tous les acteurs avancent ensemble, unis dans leur confiance en l'importance de la culture, dont le caractère fondateur est essentiel à notre « être au monde » en qualité de citoyens libres, désireux de tracer leur propre chemin et leur chemin vers les autres.

La culture ne peut être qu'une ambition partagée –d'abord avec vous. La culture n'est pas une matière très législative, et je ne suis pas ici pour attacher mon nom à une grande loi. Mais je suis déterminée à associer étroitement le Parlement, et singulièrement votre commission, aux actions du ministère. Ce seront nos actions, de la conception à la promotion partout sur le territoire et à l'évaluation. Je sais que je trouverai ici des voix pour éclairer, accompagner et faire progresser l'action publique.

Le travail accompli par cette commission sous la précédente législature est une base de travail et de réflexion précieuse. Je pense notamment à la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, dite loi « LCAP », texte important qui consacre la liberté de création. Je serai très attachée à en assurer la mise en application et le suivi : j'ai déjà pu signer des textes réglementaires, et 26 des 28 décrets d'application ont été publiés. Nous en reparlerons.

La mission d'évaluation et de contrôle du Parlement, pour moins visible qu'elle soit, est cruciale puisqu'elle permet de savoir si nos politiques, dans leur lettre et dans leur esprit, prennent utilement corps sur le terrain. J'y serai donc très attentive.

L'ambition culturelle sera aussi partagée avec mes collègues ministres. Le rôle du ministère de la Culture n'est pas de conduire une politique sectorielle mais de fixer le cap d'un projet de société, de civilisation en quelque sorte. Ce n'est pas seulement le ministère des arts et des artistes : c'est le ministère du sens, des langues, de l'Histoire, de la mémoire, de la cohésion sociale, de la conscience collective. Son propos traverse toute l'action gouvernementale ; on l'entend dans chaque discours d'un ministre, quel qu'il soit.

J'ai donc, dès ma prise de fonction, amorcé les collaborations. J'ai reçu très vite M. Jean-Michel Blanquer pour établir rapidement le pont avec l'Éducation nationale. Cet axe majeur trouve d'ailleurs son incarnation dans votre commission des Affaires culturelles et de l'Éducation, et je m'en réjouis. Je me suis aussi entretenue avec mes collègues chargés de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation ; des personnes handicapées : de la transition écologique et solidaire ; de l'égalité entre les femmes et les hommes ; du numérique. Je souhaite aussi avancer en lien étroit avec les ministres chargés de la cohésion des territoires et des sports comme avec mes collègues chargés des affaires étrangères et de l'Europe – le bassin méditerranéen est pour nous d'une importance particulière. L'action interministérielle sera un aspect clé de mon projet.

L'ambition culturelle doit aussi être partagée par tous les territoires. Dès mon arrivée au ministère, j'ai entamé un tour des régions, au rythme d'un déplacement par semaine au moins. Jusqu'à la fin de l'année, je circulerai ainsi, jusque dans les outre-mer, pour rencontrer les acteurs de la politique culturelle régionale et construire avec eux la feuille de route du ministère. Les premiers de ces acteurs, ce sont les services déconcentrés du ministère – les directions régionales des affaires culturelles (DRAC). Je leur ai dit mon intention de conforter leur rôle et je les ai associés à la nouvelle instance de gouvernance que j'ai installée au ministère.

Au fil de mes déplacements, je rencontre aussi, bien sûr, les élus : vous, parlementaires, et aussi les représentants des collectivités territoriales, avec lesquels je souhaite également renforcer la coopération. Nous devons rebâtir une relation de confiance entre l'État et les collectivités. Le Président de la République en a posé les bases hier, lors de la Conférence des territoires qui se tenait au Sénat.

Enfin, l'ambition culturelle doit évidemment être partagée avec la société civile. Les pouvoirs publics ne peuvent rien sans les associations, les entrepreneurs, les mécènes, les professionnels sur le terrain. Je souhaite que le ministère soutienne et accompagne les projets, qu'il fédère. La vie culturelle est un ensemble mouvant qui naît de l'inventivité, de la créativité et des besoins propres à chaque territoire. L'État a pour rôle d'agréger les bonnes volontés, pour que des écosystèmes de vie culturelle voient le jour, un peu partout, et ré-enchantent nos vies.

Telle est la colonne vertébrale de ma méthode : la co-réflexion, la co-construction. Vous en serez des acteurs clés.

Cette méthode, je l'applique au service d'un certain modèle culturel. La France a une longue tradition d'intervention publique en matière de culture, mais les objectifs n'ont pas toujours été les mêmes et quiconque amorce une nouvelle politique doit dire ce qui la justifie. Mon projet a pour socle la diversité culturelle : diversité des formes artistiques, des voix et des visages qui les portent, des biens, des époques représentées, des territoires, des influences, des courants.

La sève de la culture française tient à sa complexité, celle d'une culture singulière dans sa pluralité. C'est une force, mais une force fragile, qu'il faut protéger.

Je mènerai d'abord ce combat pour les publics. Nous devons nous concentrer davantage sur le développement des accès à la culture ; ce sera une de nos priorités. Il ne s'agit pas d'imposer « d'en haut » une certaine Culture, avec un « c » majuscule. L'accès de tous à la culture signifie pour moi l'accès de tous à la diversité culturelle. L'enjeu est de donner à chacun les moyens d'explorer la culture qu'il ne porte pas déjà en lui, de libérer des carcans familiaux, sociaux, géographiques ou financiers. Là est la responsabilité de l'État : combattre les prisons culturelles, ouvrir à la diversité qu'offrent les librairies, les musées, les théâtres, les cinémas. C'est cela, la vie culturelle.

En menant ce combat, j'aurai pour priorité particulière la jeunesse, première victime des défis qu'affronte notre société : le chômage, le terrorisme, le défi climatique. C'est elle qui, en priorité, a besoin de sens et de liberté, et c'est donc à elle que doit s'adresser, en priorité, notre politique.

Le pendant du combat pour les publics, c'est évidemment le combat en faveur des artistes et des créateurs. Parce qu'il faut nourrir la source de la diversité, nous pérenniserons le système de soutien public à la création, nous investirons dans le patrimoine et nous ferons aussi de la France une terre d'accueil pour les artistes qui, ailleurs dans le monde, sont menacés parce qu'ils créent.

Tels sont, brièvement tracés, les contours de la politique culturelle que je veux mener. Elle se déclinera en cinq priorités.

La priorité absolue sera donnée au développement des arts et de la culture à l'école. Cette ambition n'est pas nouvelle, je le sais : le plan Lang-Tasca, en 2000, l'énonçait déjà. Depuis lors, des choses ont été faites, incontestablement, mais de manière dispersée. Il en est résulté de fortes différences selon les classes, les établissements et les régions, et une grande inégalité entre les enfants, qu'a notamment souligné la Fondation Jean-Jaurès. L'ambition reste donc à concrétiser. Ce qui est inédit, c'est la volonté politique que le ministre de l'Éducation nationale et moi-même partageons. M. Blanquer a lui-même évoqué devant vous notre nécessaire complicité. Nous avons déjà réuni les DRAC et les recteurs pour dessiner une feuille de route, et nous réunirons dans deux jours le Haut Conseil à l'éducation artistique et culturelle (HCEAC). Nos cabinets se rencontrent régulièrement et nous avons fait de l'éducation aux arts et à la culture notre priorité – sinon notre obsession – commune. L'objectif, réaffirmé par le Président de la République, est de toucher l'ensemble des élèves, alors que moins de la moitié le sont aujourd'hui.

Pour avancer plus vite et concentrer les efforts, je privilégierai deux axes. Le premier est le développement de la pratique artistique. C'est, avec l'histoire des arts et la sensibilisation aux oeuvres, l'un des trois volets de l'éducation aux arts et à la culture, mais c'est la pratique qui permet en premier lieu aux enfants de s'approprier les arts avec confiance. Le ministre de l'Éducation nationale et moi-même mettrons en oeuvre dans quelques semaines notre premier projet dans ce domaine : la rentrée des classes en musique. Non seulement la rentrée des classes n'a pas à être un pensum alors qu'elle peut être joyeuse – « C'est gai ! », dit-on en Belgique –, mais l'on sait que la pratique musicale a des effets cognitifs positifs certains.

Mon deuxième axe d'action privilégié en ce domaine sera l'éducation à l'image. À l'heure des réseaux sociaux médias, notre grand défi est de protéger nos enfants contre les incitations à la haine et à la violence. Je sais que ce sujet tient particulièrement à coeur au président de votre commission. En ce domaine également, nous progresserons grâce à un dialogue nourri et permanent avec le ministre de l'Éducation nationale. À la rentrée, l'École nationale supérieure de la photographie d'Arles consacrera un module à l'approche critique de la photo. Le ministre de l'Éducation nationale, à qui j'en ai parlé, s'y est immédiatement intéressé, comme il s'est intéressé au programme de service civique consacré à la médiation à l'image lancé à l'initiative du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC).

Enfin, nous travaillons à mettre en oeuvre le « Pass Culture » de 500 euros destiné aux jeunes lorsqu'ils atteignent l'âge de 18 ans. Il conclura en quelque sorte le parcours d'éducation aux arts et à la culture qui doit être le fil conducteur de la scolarité, de la maternelle au lycée.

Ma deuxième priorité sera la politique territoriale de la culture. Je souhaite que l'État dirige prioritairement son action là où la vie culturelle est la plus fragile : dans les zones rurales, les quartiers de la politique de la ville, les territoires ultramarins. Il faut notamment renforcer les obligations de nos établissements nationaux pour que la diffusion des oeuvres et la médiation aillent d'abord dans ces directions.

L'État doit par ailleurs investir dans les lieux culturels de proximité, à commencer par les bibliothèques publiques. Nous voulons élargir leurs horaires d'ouverture au soir et au week-end, et nous voulons en faire des centres culturels de proximité, dont le rôle dépasse le seul prêt de livres. Cette tendance est à l'oeuvre et nous voulons l'appuyer. Je suis heureuse que M. Erik Orsenna ait accepté d'être l'« ambassadeur de la lecture » du ministère sur cette question.

La troisième priorité de mon action sera la politique européenne de la culture, composante essentielle de notre projet. L'Europe, espace de partage, nourrit la diversité culturelle. II faut renforcer les coproductions, les collaborations et les échanges, et je défendrai l'idée d'un « Erasmus de la culture », permettant des échanges entre les professionnels. II faut aussi développer les traductions, grâce auxquelles on apprend à connaître les autres.

En même temps, l'Europe doit être investie comme espace de protection de la diversité : c'est à cette échelle que nous pourrons collectivement, avec les autres États membres, défendre nos préférences face au reste du monde. J'en ai fait l'expérience quelques jours après ma nomination, en faisant adopter un amendement à la directive relative aux services de médias audiovisuels qui fixe un quota minimal de 30 % d'oeuvres européennes sur les grandes plateformes de diffusion de vidéos à la demande – de manière, pour dire les choses clairement, que l'usager n'ait pas seulement le choix entre deux oeuvres américaines. Le combat pour la diversité culturelle est aussi celui-là, et je le mènerai également au plan européen.

Ma quatrième priorité sera le soutien à la création et aux artistes. Nous pérenniserons notre système de soutien public – c'est une priorité absolue, car il n'y a pas lieu de se battre pour la diversité si l'on ne lui donne pas les moyens d'exister. La précarité de l'emploi des artistes et des techniciens du spectacle sera l'objet d'une grande vigilance. L'accord trouvé l'an dernier sur le régime des intermittents est un bon accord, juste et équilibré. Je veillerai, en liaison avec la ministre du Travail, à pérenniser un système de garanties adaptées en matière d'indemnisation du chômage, et je travaillerai avec elle au système de protection sociale des artistes auteurs.

Pour conforter l'indépendance artistique, nous nous attacherons d'autre part à permettre aux artistes de bénéficier des temps de recherche et de création nécessaires, notamment en développant les résidences, et à renforcer la diffusion des oeuvres sur le territoire ; nous y travaillerons en liaison avec les réseaux d'établissements labellisés et les lieux culturels.

Enfin, à l'ère numérique, nous devons veiller au partage équitable de la valeur des oeuvres, de la création à la diffusion. II faut trouver les moyens de faire entrer les grandes plateformes dans le système de financement du cinéma et de l'audiovisuel français, et aussi réfléchir, secteur par secteur, pour discuter d'éventuelles évolutions utiles de la réglementation. Je m'appuierai pour cela sur la concertation avec les professionnels.

Pour la filière musicale, j'ai lancé, vous le savez, une mission en vue de créer une « Maison commune de la musique ».

La cinquième priorité a trait à la politique des médias. Elle est évidemment au coeur de notre modèle de diversité culturelle. L'État doit être le garant de l'indépendance et du pluralisme des médias. Nous soutiendrons le secteur de la presse, fragilisé par l'essor des technologies numériques, en veillant à ce que des aides publiques accompagnent la modernisation du secteur. J'ai eu une réunion avec l'ensemble des acteurs concernés : ils souhaitent avancer de façon concertée et nous les accompagnerons.

Nous continuerons aussi de soutenir l'audiovisuel public, contributeur essentiel à la production d'informations fiables et de qualité. J'ai également rencontré les représentants du secteur. Le dossier est vaste et complexe. Nous avons commencé à mûrir la réflexion ; l'objectif est d'avancer en bonne intelligence, avec l'ensemble des acteurs.

Telles sont les grandes lignes du projet culturel dont je voulais vous entretenir. Vous l'aurez compris, je souhaite employer une méthode neuve pour porter un projet de société qui dépasse le champ du seul ministère de la Culture mais dont nous serons la force d'impulsion. L'ambition est vaste, mais je sais pouvoir compter sur vous, à mes côtés. (Applaudissements)

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