Tout d'abord, je tiens à vous dire que je suis très honorée d'être auditionnée par la Commission des Affaires européennes de l'Assemblée nationale et que je m'engage à faire preuve de la plus grande disponibilité possible à votre égard.
Le SGAE vous a transmis récemment le traditionnel document semestriel faisant le point sur les principaux dossiers en cours au niveau de l'Union européenne. Ce document qui n'est pas public, vous est destiné au premier chef. Il est sans doute un peu trop fourni et trop dense. N'hésitez pas à nous demander des éclaircissements.
L'actualité européenne est d'autant plus chargée que nous abordons la dernière année utile avant le renouvellement du Parlement européen et de la Commission européenne. La volonté d'achever les dossiers en cours et de produire les dernières propositions entraîne une accélération du rythme de travail.
La Présidence estonienne qui vient de s'achever s'est révélée très engagée sur plusieurs fronts, notamment le front environnemental. Beaucoup d'accords interinstitutionnels ont été conclus sur des textes majeurs. La réforme du système d'échange de quotas d'émission, y compris pour le secteur de l'aviation, et l'accord sur le partage de l'effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour les secteurs « hors-ETS » vont permettre à l'Union européenne de tenir les engagements qu'elle a pris dans le cadre de l'Accord de Paris. Le Conseil de l'énergie a obtenu des avancées notables sur trois textes emblématiques du dernier paquet énergie relatifs à l'efficacité énergétique, les énergies renouvelables et la gouvernance de l'Union de l'énergie. L'Union européenne doit garder son rôle de leader dans la lutte contre le dérèglement climatique et finaliser le cadre législatif du paquet énergie-climat 2030. La France usera de son influence pour que ce dossier avance.
Le dernier semestre a été marqué par des discussions sur des sujets sensibles qui ont divisé les États membres. Ces oppositions reflètent des débats dans l'opinion européenne qu'il ne faut pas sous-estimer. Le débat sur l'autorisation des substances chimiques a été vif, particulièrement à propos du renouvellement de l'autorisation du glyphosate. La réforme des agences européennes chargées de l'évaluation de ces produits est un sujet central que la France souhaite voir traiter au cours de l'année 2018. Le fonctionnement actuel du système ne permet pas de répondre aux exigences de transparence, crédibilité et sérieux réclamées par les États membres et l'opinion publique.
La Présidence estonienne a enregistré un succès notable sur les questions de sécurité, notamment en matière de défense. Ce semestre a permis aux États membres d'aboutir enfin à une définition partagée de ce que doit être la sécurité de l'Europe et à la mise en place d'une volonté commune en termes de capacité d'intervention, moyens industriels et mobilisation de crédits. Le Conseil du 11 décembre 2017 a adopté une décision consacrant la mise en place d'une coopération permanente et structurée entre vingt-cinq États membres. Une liste de dix-sept projets, entrepris dans le cadre de cette coopération permanente, a été établie et un budget de 500 millions d'euros attribué pour la période 2019-2020. Le renforcement des capacités d'innovation et de compétitivité des industries de défense constituera un chapitre prioritaire dans les prochaines négociations budgétaires de l'Union européenne.
La Présidence estonienne a été marquée par l'approbation de l'idée d'un socle européen des droits sociaux lors du sommet de Göteborg et par l'obtention d'une orientation générale sur la révision de la directive sur le détachement des travailleurs. Ce texte, pour lequel le Président Macron s'est directement impliqué, suscite une attente très forte de nos citoyens qui souhaitent une meilleure protection. Il est nécessaire d'aboutir à une convergence sociale par le haut.
Le chantier du numérique est loin d'être achevé puisque la stratégie de l'Union européenne doit à terme reposer sur une trentaine de textes. Ce sera une des priorités de la Présidence bulgare. Au cours de six derniers mois, un accord a été trouvé sur la libre circulation des données non personnelles et sur la mise en place d'un portail numérique unique.
Dans la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale, des progrès ont été faits, mais restent insuffisants. Le Conseil a publié en décembre une liste de 17 pays et de territoires non coopératifs en matière fiscale. Cette liste s'ajoute à d'autres listes formalisées dans des enceintes internationales, ce qui peut entraîner des problèmes de lisibilité. L'ambition de l'Union européenne, dans cette définition de listes, qu'il s'agisse de juridictions non coopératives ou de fraude fiscale, c'est de se caler sur des standards internationaux, comme le GAFI en matière de blanchiment d'argent et de lutte contre le terrorisme. L'Union dispose de moyens contraignants, de leviers liés aux aides et à la coopération technique. Or, les pays qui sont sur cette liste doivent pouvoir en sortir. D'où les démarches d'accompagnement que mène l'Union européenne, dans les domaines de la fraude fiscale ou du blanchiment d'argent. Il ne s'agit pas de pointer uniquement du doigt de façon un peu vaine, mais de signaler que l'Union va faire des efforts particuliers avec ces pays pour qu'ils sortent de la liste. Les considérations diplomatiques ne jouent pas, puisqu'il s'agit d'une démarche positive, c'est ce qu'on explique aux États qui figurent sur ces listes.
Les négociations sur le Brexit ont progressé pendant les derniers mois. Cela ne relève pas strictement de la présidence bulgare, mais les présidences du Conseil accompagnent les négociations et la task force présidée par Michel Barnier. Le passage à la deuxième phase implique de rentrer dans le dur des discussions. De mon expérience, ces discussions sont les plus dures que j'ai rencontrées. L'organisation de la sortie ordonnée du Royaume-Uni, même si elle était prévue dans les traités, est très délicate, très subtile en pratique. Il s'agit de déstabiliser le moins possible les politiques communes, singulièrement celles qui sont liées au marché intérieur, puisque c'est le ciment initial de l'Union européenne.
La crise migratoire continue d'être la priorité de la présidence bulgare. C'est le deuxième sujet de division entre les États membres, pour le dire de manière diplomatique. C'est le sujet qui a occasionné le plus de discussions franches entre les chefs d'État et de gouvernement lors du Conseil européen des 14 et 15 décembre. En ce qui concerne l'immigration irrégulière, l'objectif de l'Union est de mettre en place des cadres de coopération avec les principaux partenaires, notamment turc et africains. Si les flux migratoires continuent d'être une préoccupation majeure, ceux-ci se situent à niveau très inférieur à celui que l'on a connu en 2015. Les efforts sur la définition d'un cadre efficace et utile doivent toutefois se poursuivre.
Nous avons eu un accord sur deux textes clés relatifs au renforcement du contrôle aux frontières, à la fin de l'année 2017. Le premier porte sur le dispositif d'enregistrement des entrées et des sorties aux frontières extérieures. Le second porte sur le système d'autorisation de voyage pour les ressortissants de pays tiers dispensés de visas, soit le dispositif ETIAS, comparable à ce qui se fait aux États-Unis.
L'asile sera aussi un sujet propice à de nombreuses discussions compliquées. La présidence estonienne est parvenue à des avancées au sein de ce paquet de sept textes, telles que la mise en place de la base de données Eurodac et le renforcement des pouvoirs de l'agence EASO. La réforme du « paquet de Dublin » reste un chantier difficile et ouvert.
La présidence bulgare hérite donc de chantiers déjà ouverts et ajoute ses propres priorités. De ce point de vue, le slogan qu'elle a adopté : « Une Europe sûre, stable et solidaire » est le symbole de cette double préoccupation.
Le premier chantier, incontournable et définitoire de ce que doit être l'Europe et ses moyens d'intervention, ce sont les discussions sur les futures perspectives financières. La Commission proposera au mois de mai un texte pour l'après 2020. C'est un dossier crucial pour le Président de la République français, puisqu'il faudra concilier ce budget avec l'ambition que nous portons dans différentes politiques traditionnelles, telles que la PAC, la politique de cohésion, la politique de développement, avec de nouvelles priorités en matière de recherche, de droits sociaux ou encore en matière d'éducation, et ce dans un cadre budgétaire des plus contraints. Nous nous en tiendrons à un respect des règles européennes. Tout affichage d'une ambition trop forte dans ce domaine ne serait pas compatible avec notre stratégie de consolidation budgétaire. Il faudra trouver le bon équilibre.
Le deuxième sujet inévitable a trait à la politique commerciale européenne. C'est un sujet qui provoque beaucoup de questions, d'autant plus dans le climat du multilatéralisme actuel. L'Organisation Mondiale du Commerce traverse une crise existentielle. On se demande s'il y a encore un corpus de règles internationales en matière de commerce, de lutte contre les subventions interdites. Le mécanisme de règlement des différends est lui-même très affaibli par la contestation d'acteurs globaux comme les États-Unis. L'Union européenne a donc développé un agenda bilatéral ces dernières années, même si elle se heurte aujourd'hui à une opposition sur le concept même d'ouverture et d'échange équilibré.
Nous avons pour ambition de faire contribuer la politique commerciale à l'agenda d'une « Europe qui protège », qui ouvre des marchés et donne des perspectives d'ouverture et d'investissements aux entreprises européennes, mais qui protège des comportements non coopératifs d'un certain nombre de partenaires commerciaux. Cela passera par un projet de règlement sur le filtrage des investissements étrangers en Europe, l'adoption du mandat de la Commission en vue d'établir une Cour multilatérale pour les litiges liés à l'investissement, la modernisation des instruments de défense commerciale combattant les subventions abusives, et enfin par des instruments d'ouverture équitable et réciproque pour les marchés publics. L'agenda demeure sensible au niveau européen, car nous n'avons pas la même vision de l'ouverture.
Le projet de réforme de la zone euro s'appuie pour sa part sur un paquet ambitieux. La Commission a proposé en décembre un plan d'achèvement de l'Union bancaire. Elle propose également de parvenir à des progrès significatifs sur le marché des capitaux. La question est de savoir comment améliorer l'allocation entre épargne et investissement à l'échelle de la zone euro.
La zone euro sort de la crise que vous connaissez, mais elle doit aujourd'hui réfléchir à froid sur ses instruments structurels. Les décisions prises pendant la crise ont permis de renforcer la résilience de la zone euro, via le Mécanisme Européen de Stabilité (MES), par exemple, mais on n'a pas pu aller jusqu'à combler les défaillances initiales. Ainsi, l'articulation entre la politique monétaire qui a été transférée à la Banque Centrale européenne, et les politiques budgétaires, coordonnées par les règles du Pacte de Stabilité et de Croissance, mais qui sont restées l'apanage des États membres, peut certainement être améliorée. Il nous manque une capacité préventive d'aide budgétaire lorsqu'un pays fait face à des difficultés, met en place des réformes coûteuses, mais ne peut toutefois pas se permettre d'enfreindre les règles du Pacte.
Nous souhaitons la mise en place d'une capacité budgétaire propre à la zone euro qui financerait des investissements et serait dotée d'une fonction de stabilisation, en cas de choc asymétrique. C'est un projet de moyen long terme, après l'achèvement de l'Union bancaire. On a mis en place une autorité de supervision sur les banques de la zone euro, un ensemble de règles de renforcement des banques, en vue de leur plus grande solidité. Il nous reste à parachever cette union bancaire avec un fonds de résolution et la possibilité pour le MES d'intervenir en dernier ressort en cas de difficulté bancaire dans un État membre.
Le dernier sujet, priorité de la présidence bulgare, porte sur l'élargissement. Une fois par an, au mois de juin, le Conseil européen doit établir un bilan sur les pays candidats à l'intégration dans l'Union européenne. Les pays des Balkans occidentaux souhaitent y adhérer. Ce sera un sujet très difficile : ils ont vocation à rejoindre l'Union européenne, dès lors qu'ils respecteront l'acquis et les apports démocratiques européens. La stabilisation de cette région progresse, mais nous devons rester vigilants. Les progrès demeurent fragiles en Bosnie-Herzégovine : la dynamique n'y est pas très positive. Pour demeurer crédible, l'élargissement doit être un processus exigeant. La qualité de la mise en oeuvre des réformes est déterminante. Ce qui a été fait dans le passé en matière d'élargissement n'est pas une référence. Nous devons éviter toute accélération artificielle du processus d'élargissement, le calendrier d'adhésion ne peut dépendre que du respect des critères fixés par le Conseil. Il demeure quelques conflits frontaliers, irrésolus jusqu'à présent.