Comme notre président vient de l'exposer, nous estimons que les relations d'EDF et de General Electric sont des relations industrielles normales entre deux grands groupes industriels, encadrées par des accords dont, à ce jour, General Electric a respecté les engagements.
Après deux ans de relations avec General Electric dans les domaines d'activité historiques d'Alstom – nucléaire et thermique –, il est possible de dresser un premier bilan concret des relations opérationnelles établies entre nos deux entreprises. Pour dresser ce bilan, il est intéressant de regarder quel était le paysage industriel avant cette cession et ce qu'il est désormais, notamment en termes de concurrence, sujet qui nous préoccupe tous.
Dans le domaine nucléaire, Alstom était d'abord présent sur le segment des groupes turbo-alternateurs de forte puissance. Il a ainsi fourni la totalité des groupes turbo-alternateurs du parc nucléaire français. General Electric n'était pas présent jusqu'ici dans le domaine des salles des machines des centrales nucléaires.
D'autres grands acteurs industriels existaient hier et continuent d'exister aujourd'hui : Siemens en Europe, Mitsubishi et Toshiba au Japon. Pour les activités de maintenance des turbines, on retrouve ces mêmes acteurs et, pour la maintenance des alternateurs, Jeumont Electric, Toshiba et, plus récemment, Siemens.
Dans les autres secteurs industriels, Alstom a été simplement remplacé par General Electric sans que le paysage concurrentiel soit réellement modifié et la concurrence est réelle. Ainsi, pour les pompes et turbopompes, il y a toujours Sulzer, ClydeUnion, Flowserve, KSB ; pour les installations électriques, SPIE Nucléaire, Cegelec, Clemessy, Ineo ; pour les transformateurs, Siemens, ABB, Smit, potentiellement les Coréens Hyundai et Hyosung ; pour les systèmes de contrôle-commande, Siemens, ABB, Clemessy, Schneider, Emerson ; enfin, pour l'instrumentation, SNEF, SPIE et Clemessy.
L'acquisition de la branche énergie d'Alstom par General Electric aurait pu, en revanche, modifier sensiblement le paysage industriel dans le domaine thermique. GE était en effet présent à côté d'Alstom sur le segment des turbines à combustion et a fourni depuis quarante ans près de cent vingt turbines de ce type à EDF, en France et à l'étranger. La Commission européenne a donc demandé à General Electric de proposer des solutions pour remédier à cette situation. Cette demande a conduit GE à céder l'activité des turbines à combustion de forte puissance d'Alstom à l'italien Ansaldo.
J'en viens aux relations opérationnelles entre EDF et General Electric.
Quelques mois après l'acquisition de la branche énergie d'Alstom, au début de l'année 2016, EDF a souhaité faire avec General Electric le bilan des difficultés opérationnelles en cours. Le contexte était assez difficile à cette période : d'une part, l'intégration au sein de GE de la branche énergie d'Alstom suscitait des inquiétudes au sujet du départ de compétences sensibles et de l'arrivée d'une culture américaine assez nouvelle pour EDF ; d'autre part, la confrontation des deux cultures d'entreprise d'EDF et de General Electric engendrait des tensions qu'il était important de ne pas laisser perdurer.
Un travail commun de plusieurs semaines a conduit à retenir dix dossiers principaux et à engager un plan d'action précis dont le pilotage a été confié à un tandem de dirigeants de General Electric et d'EDF. Il comportait un suivi mensuel de plusieurs indicateurs clefs relatifs à la sécurité, à la qualité des prestations de maintenance, à la qualité des fabrications d'équipements et des pièces de rechange et au respect des délais de livraison.
Trois dossiers concernaient le projet de Flamanville 3 : l'achèvement de la salle des machines, les diesels de secours et l'installation d'un traitement des effluents primaires.
Trois dossiers concernaient la chaîne logistique de General Electric : processus de qualification et de surveillance des fournisseurs internes et externes de GE, renforcement de ses compétences dans le domaine des équipements sous pression, amélioration de la qualité des fabrications dans ses ateliers.
Deux dossiers spécifiques concernaient la filiale GE Grid, spécialisée dans les transformateurs dont les performances étaient très en deçà de ce qui était attendu : retour d'expérience sur les opérations menées à Chinon et Cruas afin de sécuriser les opérations à venir, plan d'action pour contrôler la qualité des fabrications d'une usine en Asie.
Enfin, deux dossiers concernaient le domaine thermique : retour d'expérience sur les difficultés rencontrées à la centrale de Martigues, achèvement des travaux sur ce site et le traitement d'une modification sur une centrale à charbon d'EDF en Pologne qui n'atteignait pas les performances environnementales prévues au contrat.
En mai 2016, Xavier Ursat, chargé des projets du nouveau nucléaire, et moi-même avons validé le plan d'action avec Paul McElhinney, président du pôle Power Services de General Electric, et Andreas Lusch, président de la branche Steam Power Systems. À partir de cette date, les deux dirigeants d'EDF et de General Electric désignés se sont réunis chaque mois pour assurer le suivi du plan. Cette longue période de travail de fond a permis aux acteurs de mieux se connaître et a conduit à résoudre les divergences juridiques et commerciales qui étaient apparues après l'acquisition.
À ce jour, sur les dix dossiers identifiés, un seul demeure ouvert dans l'attente de la finalisation, au début de cette année 2018, des essais de bon fonctionnement de la modification réalisée sur la centrale polonaise. Les réunions mensuelles sont maintenues pour suivre les indicateurs clefs et conserver un canal de traitement réactif de toutes les difficultés qui pourraient surgir.
Si l'on veut bien considérer que les difficultés identifiées procédaient toutes d'Alstom, force est de constater un réel engagement de General Electric à s'impliquer pleinement dans le service d'EDF. Il est juste également de rappeler qu'EDF a mis tout son poids dans la balance pour obtenir ces résultats et que les discussions ont parfois été dures. Le résultat n'en traduit pas moins une relation de qualité. Cette dernière n'est pas exempte de fermeté : ainsi l'expertise judiciaire en responsabilité sur l'origine du sinistre de Martigues est toujours en cours. Si le juge confirme la responsabilité d'Alstom, EDF demandera des réparations.
Pour autant, l'activité industrielle d'un groupe comme General Electric au profit d'EDF ne saurait se résumer en une simple phrase et si certaines choses vont bien aujourd'hui, d'autres vont moins bien ou demandent à être améliorées.
Parmi les points positifs, on peut souligner l'engagement de General Electric à relever les défis du projet de Flamanville 3 et à contribuer dans son domaine à résoudre les difficultés importantes qui demeuraient. La situation s'est bien améliorée même si tout n'est pas achevé et si un engagement fort reste nécessaire pour relever les derniers défis. C'est le résultat d'un intense travail en commun entre EDF, qui n'a pas ménagé sa peine, et General Electric, qui a su renforcer ses équipes et mieux maîtriser ses activités.
Dans le domaine thermique, des résultats techniques probants ont été atteints par la dernière génération de centrale à cycle combiné commercialisée par General Electric. Sa mise en service à Bouchain à l'été 2016, en avance par rapport au calendrier initial, mérite d'être soulignée. En outre, General Electric a accepté les demandes d'EDF de rouvrir des négociations sur les marchés de maintenance de long terme afin d'adapter leurs dispositions contractuelles aux évolutions de contexte du parc thermique.
On peut enfin noter les premiers résultats positifs du nouveau processus de surveillance des sous-traitants mis en place par General Electric avec une amélioration progressive – toujours trop lente à nos yeux – de l'appréciation qu'EDF porte sur leur qualité.
Parmi les points négatifs, notons que les indicateurs clefs suivis mensuellement comme les bilans trimestriels réalisés entre la direction de la production nucléaire et General Electric montrent depuis mi-2017 une certaine dégradation des résultats en matière de sécurité et une dégradation de la qualité de la maintenance des turbines. Dans le domaine des pièces de rechange, si les délais de livraison s'améliorent, le nombre de défauts entamant leur qualité augmente.
EDF est également aujourd'hui préoccupée par la tendance de General Electric à faire davantage appel à la sous-traitance pour la réalisation des opérations de maintenance sur le parc thermique. Cette moindre implication de ressources propres fait craindre à court ou moyen terme une perte de compétences techniques de General Electric concernant des matériels anciens de fabrication Alstom tels que les turbines à vapeur ou les alternateurs. Ces compétences sont pourtant nécessaires pour le maintien en condition opérationnelle des centrales thermiques concernées.
L'évaluation de la qualité des prestations fournies par General Electric est suivie de manière très attentive par EDF, comme pour tous nos fournisseurs. Avant de travailler sur nos sites nucléaires, les différentes entités sont qualifiées à travers un processus rigoureux, renouvelé tous les trois ans. Les entreprises qui ne satisfont pas aux exigences ou dont les prestations se dégradent sont placées en surveillance renforcée et des plans d'action sont mis en place. S'agissant de General Electric, cela concerne notamment aujourd'hui la branche Grid qui fournit et entretient certains transformateurs. Ce placement en surveillance renforcée s'accompagne de plans d'action dont EDF suit de très près la mise en oeuvre. Une évaluation annuelle des résultats sera réalisée pour maintenir ou lever cette surveillance. Ainsi, GE Grid, placé en surveillance renforcée en 2016, a vu sa qualification suspendue en 2017, les prestations ne s'étant pas améliorées. Deux autres entités de General Electric ont été placées en surveillance renforcée en 2017 : Thermodyn et le centre de services de La Courneuve. Notons, pour être tout à fait honnête, que ces deux entités étaient déjà en surveillance renforcée en 2014, avant l'acquisition par General Electric.
Dans le domaine nucléaire, General Electric a fait évoluer son organisation, notamment en regroupant dans une même structure l'ensemble de ses ressources pour les activités de service. EDF attend de cette nouvelle organisation une adaptation plus réactive des capacités industrielles à ses besoins et une diminution des besoins d'arbitrage en cas de pic de charge. Cette nouvelle organisation n'a pas encore produit ses effets et certaines des difficultés rencontrées aujourd'hui ont sans doute leur origine dans ces changements qui ont pu perturber les pratiques et les hommes. Nous sommes particulièrement attentifs à l'évolution de cette situation. Nous attendons des bénéfices en termes de souplesse ainsi que la correction des défauts constatés.
L'acquisition de la branche énergie d'Alstom par General Electric n'a pas réglé d'un seul coup les difficultés rencontrées avec Alstom, mais il est juste de dire que nos interlocuteurs actuels se sont mobilisés pour les résoudre. Au plan opérationnel, si chacune des parties a dû apprendre à travailler avec une autre culture, les relations sont efficaces et les engagements pris par General Electric sont tenus, à ce jour.
Les rencontres de dirigeants sont fréquentes à tous les niveaux et des réunions régulières entre les deux entreprises permettent de piloter concrètement, au plus près du terrain, la conduite des activités et la qualité des réalisations. La relation industrielle entre EDF et General Electric est normale à ce jour. Compte tenu des enjeux que constituent pour EDF, dans le domaine nucléaire comme dans le domaine thermique, les installations relevant aujourd'hui de General Electric, cette relation est dense à tous les niveaux, y compris sur le terrain.