La séance est ouverte à dix-sept heures cinq.
Mes chers collègues, nous recevons cet après-midi M. Jean Bernard Lévy, président-directeur général d'EDF, accompagné de M. Dominique Minière, directeur exécutif en charge du parc nucléaire et thermique d'EDF. M. Lévy a une très grande expérience en matière industrielle. Il a notamment eu des responsabilités au sein de l'entreprise Matra. Puis il a successivement dirigé les groupes Vivendi et Thalès, avant d'accéder à la présidence d'EDF en novembre 2014.
Au cours de sa carrière, M. Lévy a été directeur de cabinet d'un ministre en charge de l'industrie, à l'époque où il y en avait encore une… Cela lui permet de disposer d'une vision large et ancienne de l'industrie et des enjeux industriels sous toutes leurs facettes, y compris politiques.
Nos interrogations porteront surtout sur les rapports d'EDF avec ses principaux fournisseurs, notamment General Electric (GE). Elles font suite aux auditions des organisations syndicales d'Alstom – devenu GE –, puis des dirigeants de ces deux entreprises. Certaines questions s'adresseront probablement davantage à M. Minière, dont la carrière à EDF s'est principalement déroulée dans les domaines de la maintenance et de la production nucléaires, avec des responsabilités de direction dans les centrales de Golfech et Cattenom. Il a également supervisé le démarrage de la centrale chinoise de Daya Bay.
Je débuterai cette audition en vous posant une série de sept questions, couvrant assez largement le champ de nos interrogations. Le rapporteur et mes collègues les compléteront après avoir entendu vos réponses.
Sur la forme, en 2014, lors de la vente de la branche énergie d'Alstom à General Electric, le gouvernement avait annoncé la signature d'un contrat de pérennité entre la co-entreprise GE-Alstom (GEAST), EDF et Areva. Très concrètement comment EDF a-t-elle participé à la rédaction de ce contrat de pérennité ? Les administrateurs d'EDF ont-ils eu connaissance de ce contrat et des autres documents contractuels – accords d'actionnaires et contre-lettre de General Electric – intéressant les droits industriels d'EDF, au titre soit de la propriété intellectuelle, soit de l'analyse des risques encourus par le groupe EDF dans la nouvelle situation ?
Quel est par ailleurs votre lien avec General Electric et votre situation contractuelle à son égard, s'agissant de l'entretien courant et de la maintenance des centrales ? Quel chiffre d'affaires cela représente-t-il ? Quelle part représente GE parmi vos fournisseurs ?
Devant la commission d'enquête, les organisations syndicales nous ont fait part des inquiétudes d'EDF quant à la capacité de GE à satisfaire certaines commandes, en mentionnant même le risque – je les cite – d'une « perte de compétences industrielles » au sein de cette entreprise. Elles nous ont décrit des relations quotidiennes « moins fluides » et des discussions tarifaires plus tendues.
La direction de GE France s'est voulue beaucoup plus rassurante. Elle a considéré que les discussions en cours avec EDF se déroulaient normalement, conformément aux usages de la vie des affaires. Malgré tout, en mars 2016, un moment de « crise » a été marqué par un échange de correspondance entre vous, monsieur le président, et M. Steve Bolze, qui devait aboutir à de nouveaux accords entre EDF et GE au printemps 2016. Qu'en est-il aujourd'hui ? Nous souhaitons que vous nous rassuriez : n'êtes-vous pas un client trop captif de General Electric ?
La direction de GE France nous a aussi indiqué que, devant le comité stratégique de la filière nucléaire, dont la dernière réunion a eu lieu en février, EDF et Areva se seraient déclarés satisfaits de la gestion par GE des accords dans le domaine nucléaire. Je rappelle que ce comité stratégique réunit la direction générale des entreprises (DGE), GE, EDF et Areva, et est notamment chargé d'analyser le développement des compétences et le respect des accords. Confirmez-vous cette assertion ?
Au-delà de la maintenance et de l'entretien courant – qui posent quand même la question de l'approvisionnement et de la sûreté –, EDF est aussi un investisseur industriel majeur. La Cour des comptes évalue au minimum à 100 milliards d'euros les dépenses à engager pour mener à bien le grand carénage des centrales nucléaires d'ici à 2030. Je ne suis d'ailleurs pas sûr que vous fassiez la même évaluation de ces dépenses… De plus, la maintenance et la remise à niveau des cinquante-huit réacteurs français vont exiger un important volume d'achats industriels. Pouvez-vous nous indiquer à combien se chiffrent les commandes passées aux industriels français et étrangers, en moyenne annuelle ? Quelle sera la place de General Electric dans cette opération de grand carénage ? Est-elle couverte par l'accord de pérennité ?
Au-delà du marché nucléaire intérieur, à la suite de l'effondrement d'Areva, EDF est le chef de file de la restructuration de la filière nucléaire française. Fin décembre, vous avez signé les accords définitifs de rachat de l'activité de réacteurs nucléaires d'Areva.
Avec cette opération, le groupe EDF se trouve encore plus fortement impliqué dans des activités industrielles de conception et de fourniture des grands équipements de la filière. Pouvez-vous nous dire comment se déroulent les projets en cours, en collaboration avec General Electric ? Qu'en est-il de la livraison des îlots conventionnels de Flamanville 3, de Taïshan 1 et 2 et du lot Alstom de Hinkley Point ?
Au-delà du terme des contrats en cours, comment envisagez-vous l'avenir de cette filière ? Le lien historique avec Alstom dans le secteur nucléaire sera-t-il maintenu ou envisagez-vous de nouveaux partenariats ?
En matière de développement, il est surprenant de constater que la société SPVPI, entité juridique ad hoc créée par l'État et gardienne des savoir-faire d'Alstom – notamment de la licence Arabelle – ne présente aucune activité commerciale, aucune dépense, aucune recette depuis sa création, alors que des discussions commerciales sont menées dans différents pays, acheteurs potentiels de cette technologie et de ses développements – en Chine, en Russie, en Afrique du Sud, en Finlande. Comment l'expliquez-vous et quelles sont, à votre connaissance, les activités opérationnelles de SPVPI ?
Je voudrais également évoquer l'avenir de GEAST. Il semblerait que l'administrateur représentant l'État, précédemment M. Benjamin Gallezot, n'a pas été remplacé depuis son départ au printemps 2017. Quel est actuellement votre interlocuteur du côté de l'État pour défendre les intérêts de d'EDF au sein de GEAST ?
Devant notre commission d'enquête, le président d'Alstom, M. Henri Poupart-Lafarge, a annoncé vouloir se désengager dans un avenir proche des trois co-entreprises créées avec General Electric, prenant le risque de faire disparaître tout actionnariat français. Certes, l'État a conservé une golden share au sein de la co-entreprise GEAST, mais cette protection vous paraît-elle suffisante ? Avez-vous fait part au gouvernement de vos réflexions à ce sujet, afin de maintenir un contrôle durable sur cette entité, de façon à ce que la France ne perde pas tout contrôle sur l'actionnariat de cette entreprise ? Serait-il envisageable qu'EDF participe directement au tour de table ?
Nous aimerions aussi vous entendre concernant l'activité hydraulique : elle est la deuxième source d'énergie dans notre pays et la première source renouvelable. La réduction des activités de General Electric sur le site de Grenoble, qui s'accompagne d'un plan social, n'est-elle pas un autre sujet d'inquiétude pour EDF ?
Selon les déclarations de la direction de GE devant notre commission d'enquête, ce pôle, jusqu'alors leader mondial de l'hydraulique, verra ses activités ramenées à la « petite hydro » et à l'ingénierie. La fermeture désormais annoncée de son atelier mécanique de fabrication ne posera-t-elle pas de problème pour la maintenance des grands barrages d'EDF, sans parler de la technologie des stations de transfert d'énergie par pompage (STEP) ?
Enfin, s'agissant de l'éolien offshore en France, confirmez-vous les déclarations des dirigeants de GE devant notre commission ? À ce jour, EDF n'aurait adressé aucune commande ni précommande à GE.
Je vous rappelle que les interventions devant les commissions d'enquête se font sous serment. Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Jean-Bernard Lévy et M. Dominique Minière prêtent successivement serment.)
Je vous remercie de me donner l'occasion de vous présenter la vision d'EDF des questions qui viennent de m'être posées. Ce sont des sujets importants pour le groupe et, au-delà, pour l'économie française. Ils s'inscrivent dans un historique ancien puisque EDF est client d'Alstom depuis des décennies, pour l'ensemble de ses moyens de production, qu'ils soient thermiques, hydrauliques, nucléaires ou, demain, offshore.
Quelques chiffres permettent d'illustrer cette situation : en 2014, pour le périmètre couvrant la France, l'Italie et le Royaume-Uni – la France représentant la très grande majorité des commandes –, le groupe EDF a commandé environ 130 millions d'euros à GE et 600 millions d'euros à Alstom. En 2016, le groupe EDF a commandé environ 650 millions d'euros au groupe GE agrégé. Les chiffres de 2017 seront probablement du même ordre.
À l'évidence, au regard des volumes concernés, l'acquisition de la branche énergie d'Alstom par GE revêtait pour EDF une grande importance. Je répondrai maintenant à vos questions sur les inquiétudes liées à cette opération, les mécanismes mis en place et les enjeux qui attendent EDF.
Dans le domaine nucléaire, il était important de garantir le maintien de nos capacités industrielles à un coût acceptable, et ce jusqu'à la fin de vie de chaque palier, de chaque famille de réacteurs. En effet, les conditions opérationnelles et de sûreté de nos tranches nucléaires devaient être garanties dans l'immédiat et pour l'ensemble des opérations du grand carénage – qui permettront l'allongement de la durée de vie du parc nucléaire français au-delà de quarante ans. Cela concerne notamment l'intégralité des groupes turbo-alternateurs, 60 % des pompes principales et le système de contrôle commande pour le palier 1 300 mégawatts (MW) – qui représente environ la moitié de la capacité de production du parc. De plus, le savoir-faire d'Alstom était – et reste – essentiel pour certaines interventions en cas d'incident d'exploitation. Nous avons, par le passé, bénéficié d'une bonne réactivité d'Alstom ; nous attendons la même réactivité de la part de GE.
Il s'agit aussi de préparer l'avenir et de garantir, en France mais aussi à l'international, que les développements engagés par Alstom dans les centrales nucléaires EPR seront poursuivis par GE, notamment la technologie des turbines à vapeur dont nous avons besoin à des conditions de performances techniques et économiques de très haut niveau. Les enjeux pour EDF rejoignent en la matière les intérêts nationaux. Le maintien en France d'une activité stratégique pour laquelle Alstom avait développé une technologie de pointe est essentiel. C'est ainsi le cas pour la turbine Arabelle, la plus puissante au monde.
Dans le domaine thermique, il s'agit également de garantir le maintien de nos capacités industrielles, à un coût acceptable et jusqu'à la fin de vie des installations concernées. Nous faisons actuellement face à des difficultés d'approvisionnement en pièces de rechange, du fait de l'ancienneté de certaines installations.
Dans le domaine de l'hydraulique, les enjeux sont également importants mais, compte tenu du paysage concurrentiel, la dépendance vis-à-vis de GE n'est pas la même que dans les secteurs déjà évoqués.
Vous n'ignorez pas qu'EDF a remporté la construction dans la Manche et dans l'Atlantique des trois premiers parcs éoliens offshore. Nous avons retenu la turbine Haliade 150 dans les appels d'offres et pris des engagements en ce sens vis-à-vis de l'État. Mais la lenteur des procédures administratives fait que nous ne sommes pas encore en mesure de prononcer la moindre décision finale d'investissement, donc d'engager le moindre marché définitif avec nos fournisseurs, au premier rang desquels General Electric… Nous espérons que les recours, toujours en instance, qui paraissent fort longs, feront bientôt l'objet de décisions définitives, non susceptibles d'appels de la part des multiples opposants à ces technologies pourtant largement déployées dans les pays voisins – Grande-Bretagne, Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Danemark et autres pays scandinaves – mais dont la France ne peut pas encore bénéficier. J'ai donc le regret de répondre à votre question par la négative, monsieur le président : nous n'avons pas encore été en mesure de commander ces turbines à GE.
Les enjeux de l'opération qui a conduit au transfert du contrôle de l'activité d'énergie d'Alstom vers GE étaient donc très importants et trois principaux leviers ont été mis en place.
Le premier est la création de la filiale commune GE-Alstom (GEAST) dédiée aux activités concernant les salles des machines des centrales nucléaires, et plus globalement les activités liées aux turbines à vapeur, historiquement implantées depuis la France. GEAST regroupe les activités de deux des filiales d'Alstom : Alstom Power System et Alstom Power Services. Détenue à 80 % par GE et 20 % par Alstom, elle a été dotée de règles de gouvernance spécifiques destinées à préserver les enjeux évoqués précédemment.
Si elle est dirigée opérationnellement par GE, la moitié au moins des membres de son conseil d'administration est français, ainsi que son directeur général et son directeur technique. Un des membres du conseil d'administration est nommé par l'État qui dispose d'une action spécifique lui conférant un droit de veto pour toute décision qui affecterait l'intégrité et la continuité de l'offre industrielle de GEAST autour de l'îlot conventionnel, ou remettrait en cause les droits détenus par l'État au moment de l'acquisition quant à la propriété intellectuelle ou au programme de recherche et développement dont elle a l'exclusivité. Cette société porte donc l'intégralité des activités de services pour le parc nucléaire d'EDF en France. Des dispositions sont également prévues pour garantir que la technologie Arabelle, comme les autres produits nucléaires d'Alstom, restent accessibles à EDF pour l'ensemble des marchés internationaux, qui rebondissent actuellement.
Un comité de pilotage regroupe GEAST, Alstom et l'État pour veiller au respect des engagements pris envers EDF. Dans l'hypothèse d'un changement de contrôle d'Alstom, cette filiale pourrait devenir la propriété de GE à 100 %. Pour autant, nous avons compris que l'État conservera ses prérogatives et les dispositions encadrant les activités de GEAST, que je viens d'évoquer, ne seront pas remises en cause.
Le deuxième levier est l'accord-cadre signé entre l'État, GE, Alstom et EDF en 2014 pour la pérennité du parc nucléaire existant du groupe EDF. Cet accord s'applique à l'ensemble des équipements fournis historiquement par Alstom, jusqu'à la fin de vie de chaque palier pour le parc nucléaire d'EDF en France et en Grande-Bretagne et pour les EPR en construction ou en projet – à l'époque Flamanville 3 et Hinckley Point C. Cet accord est complété par un accord de licence qui concède à une société dédiée, propriété à 100 % de l'État français, une licence sur les droits de propriété intellectuelle existants et à venir d'Alstom, afin de sauvegarder l'accès d'EDF à cette propriété intellectuelle en cas de défaillance de GE.
Cet accord sécurise le maintien du savoir-faire et des capacités industrielles nécessaires puisqu'il prévoit la poursuite, le renouvellement ou la mise en place de contrats de longue durée entre EDF et GE pour l'ensemble des activités nécessaires au maintien en condition opérationnelle du parc nucléaire d'EDF.
Il a été complété en septembre 2015 par deux accords d'application. Le premier est un avenant à l'accord de propriété intellectuelle EDFAlstom de 2006 qui prévoit la mise à disposition d'EDF de données d'interface pour permettre – le cas échéant – la mise en concurrence de GE. Cela permet d'allonger la durée initiale de 20 ans de l'accord, sans contrepartie financière, et d'étendre son périmètre à l'ensemble des opérations de modernisation et de maintenance, cette fois avec une contrepartie financière – qui reste à définir.
Le deuxième accord d'application est un avenant au protocole de pérennité des installations de contrôle commande pour assurer dans la durée le maintien des dispositions de ce protocole. Un délai de prévenance de trois ans – ou de cinq ans s'il est nécessaire que l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) instruise le dossier – est prévu pour la dénonciation éventuelle de ces accords. Dans ce cas, un transfert à titre gratuit des droits d'usage de propriété intellectuelle serait effectué au profit d'EDF, avec un accompagnement dans une phase dite de transition ou de réversibilité.
Le troisième levier est l'accord-cadre signé entre l'État, GE, Alstom, AREVA et EDF en novembre 2014 pour les nouveaux projets nucléaires. Il comporte un engagement minimum de dix ans – reconductible par période de dix ans. GE s'engage à développer les groupes turbo-alternateurs à base de technologie Arabelle et à transmettre des offres compétitives si EDF développe de nouveaux projets. Comme le précédent, cet accord est complété par un accord de licence entre les mêmes parties qui concède à la même société détenue par l'État une licence sur les droits de propriété intellectuelle existants et à venir d'Alstom, afin de sauvegarder l'accès d'EDF à la propriété intellectuelle d'Alstom en cas de défaillance de GE. Un dispositif de séquestre est même prévu pour sécuriser cet accès.
Cet accord prévoit que la technologie Arabelle et les produits Alstom continuent à être développés sans que les contraintes d'exportation qui pourraient être imposées par les États-Unis ne puissent s'appliquer à eux.
Cet accord comporte notamment deux principes importants : d'une part, un principe de non-discrimination qui garantit que, si GE propose la technologie Arabelle à un concurrent d'EDF pour un nouveau projet, les conditions techniques et économiques consenties à EDF ne peuvent être moins favorables que celles proposées au concurrent d'EDF. D'autre part, un principe de partage du retour d'expérience technique nécessaire aux développements et améliorations futures est prévu.
Toujours dans le cadre de cet accord, EDF s'engage à retenir l'offre de GE si celle-ci est équivalente, en termes qualitatifs et financiers, aux offres concurrentes, sous réserve des lois applicables et du choix du client tiers final, s'il souhaite éventuellement intervenir.
Depuis le 4 novembre 2015, date d'effet de cette opération, sur l'ensemble de ces activités, EDF est donc en relation avec un nouveau fournisseur, GE. Nous estimons que les accords que je viens d'évoquer ont été appliqués et que GE nous fournit les services prévus, pour le parc en exploitation et les nouveaux projets.
M. Dominique Minière reviendra plus en détail sur les éléments opérationnels de ces relations dans le domaine nucléaire et vous éclairera concrètement sur la manière dont nous travaillons aujourd'hui avec GE. Je soulignerai simplement que, si EDF est présente au sein du comité de pilotage de GEAST, c'est parce que GE en a pris l'initiative, avec l'accord de l'État.
Dans le domaine thermique, les activités se déroulent dans de bonnes conditions et GE assume ses responsabilités.
Dans le domaine des énergies renouvelables, j'ai déploré les délais imposés à la réalisation des parcs éoliens offshore. La représentation nationale est bien informée que ces délais pénalisent notre industrie, nos emplois, nos fournisseurs, au premier rang desquels GE.
Dans le domaine hydroélectrique, que vous avez également évoqué, monsieur le président, EDF continue à investir significativement pour la maintenance de son parc et les quelques développements en cours, sur les sites de Gavet, de La Coche et de Malgovert dans les Alpes, mais également dans les usines du Rhin. Les incertitudes quant au devenir des concessions hydroélectriques pourraient obérer certains investissements. Mais EDF ne négligera pas la sûreté et la performance de ses installations de production, qui constituent un patrimoine national et la première ressource renouvelable de notre pays.
En moyenne, chaque année, EDF investit 400 millions d'euros en France dans la modernisation, l'optimisation et le développement du parc hydroélectrique. Nous maintenons ce haut niveau d'investissement, alors que la baisse significative des prix de marché obère, comme pour les autres entreprises du secteur électrique, nos capacités d'investissement et, même, de renouvellement.
Je rappellerai que l'hydroélectricité est la seule énergie renouvelable – à quelques exceptions mineures près – qui ne bénéficie pas de soutien public : 90 % de la production est vendue sur le marché de l'électricité, sans bénéficier ni d'obligation d'achat ni de complément de rémunération. Malheureusement, alors qu'il s'agit de la première des énergies renouvelables, l'hydroélectricité subit une fiscalité très lourde, des contraintes environnementales toujours plus importantes et des normes qui pénalisent souvent nos capacités d'investissement et de développement dans cet outil de production.
J'en viens plus spécifiquement aux investissements dans les turbines hydrauliques – secteur d'activité de GE –, GE reste un des premiers fournisseurs d'EDF, mais il n'est pas le seul puisque nous avons aussi les groupes Andritz et Voith. Ces trois fournisseurs sont les plus importants fournisseurs de turbines dans le monde. Ils disposent tous les trois d'un centre historique de recherche et développement en Europe et de débouchés mondiaux. Le secteur est très concurrentiel et EDF lance des appels d'offres conformément aux règles européennes en vigueur en matière de marchés publics. GE remporte certains de ces appels d'offres, mais pas tous. Il est par exemple titulaire d'un marché de turbines pour notre plus grand chantier hydraulique français, la centrale souterraine de Gavet en Isère. J'avais visité le chantier l'été dernier avec Mme la députée Battistel, alors qu'il restait quelques centaines de mètres à creuser et j'ai aujourd'hui le plaisir de vous informer que la tunnelière a achevé son travail.
GE est également titulaire du marché de remplacement des turbines de la station de transfert d'énergie par pompage (STEP) de Revin dans les Ardennes. Pour le projet de Nachtigal au Cameroun, au terme d'un appel d'offres concurrentiel, la société dont EDF est actionnaire à 40 % a attribué son intention de commande à GE-Electronor pour les turbines hydrauliques de cette centrale hydroélectrique entièrement neuve, d'une capacité de 420 MW. Pour autant, même s'il a bien avancé ces derniers mois, ce projet n'a pas encore fait l'objet d'une décision d'investissement définitive.
En conclusion de ce propos liminaire un peu long, mais je l'espère précis en réponse à vos nombreuses questions, j'ajouterai que, depuis mon arrivée à la tête d'EDF il y a un peu plus de trois ans, je rencontre régulièrement les principaux responsables de GE. Ces échanges réguliers nous permettent de disposer d'une bonne information sur les orientations programmatiques, stratégiques et industrielles de GE et de traiter de manière réactive les difficultés, inévitables, qui peuvent survenir dans les contrats, les chantiers ou les développements liés aux nouvelles technologies.
Nous avons analysé avec intérêt les déclarations du nouveau président de GE, M. John Flannery : si le périmètre des activités de GE est en train d'évoluer, l'énergie figure au rang des trois activités prioritaires retenues. Lors de nos nombreux contacts, nous ne manquons jamais de rappeler à nos interlocuteurs les enjeux d'EDF et les engagements pris par GE lors de la signature des accords.
M. Dominique Minière va maintenant vous présenter plus en détail l'état des relations opérationnelles avec GE dans le domaine nucléaire.
À ce propos, je reviens rapidement sur mes questions : quel est le contenu des contrats de pérennité ? Les éléments tarifaires ont-ils bien été précisés au moment de leur signature ? Avez-vous été associés à la préparation de ces contrats ? Y a-t-il eu des moments de tension ? Vous avez évoqué la signature d'un avenant : a-t-il été rédigé pour régler les zones d'ombre initiales ?
Comme notre président vient de l'exposer, nous estimons que les relations d'EDF et de General Electric sont des relations industrielles normales entre deux grands groupes industriels, encadrées par des accords dont, à ce jour, General Electric a respecté les engagements.
Après deux ans de relations avec General Electric dans les domaines d'activité historiques d'Alstom – nucléaire et thermique –, il est possible de dresser un premier bilan concret des relations opérationnelles établies entre nos deux entreprises. Pour dresser ce bilan, il est intéressant de regarder quel était le paysage industriel avant cette cession et ce qu'il est désormais, notamment en termes de concurrence, sujet qui nous préoccupe tous.
Dans le domaine nucléaire, Alstom était d'abord présent sur le segment des groupes turbo-alternateurs de forte puissance. Il a ainsi fourni la totalité des groupes turbo-alternateurs du parc nucléaire français. General Electric n'était pas présent jusqu'ici dans le domaine des salles des machines des centrales nucléaires.
D'autres grands acteurs industriels existaient hier et continuent d'exister aujourd'hui : Siemens en Europe, Mitsubishi et Toshiba au Japon. Pour les activités de maintenance des turbines, on retrouve ces mêmes acteurs et, pour la maintenance des alternateurs, Jeumont Electric, Toshiba et, plus récemment, Siemens.
Dans les autres secteurs industriels, Alstom a été simplement remplacé par General Electric sans que le paysage concurrentiel soit réellement modifié et la concurrence est réelle. Ainsi, pour les pompes et turbopompes, il y a toujours Sulzer, ClydeUnion, Flowserve, KSB ; pour les installations électriques, SPIE Nucléaire, Cegelec, Clemessy, Ineo ; pour les transformateurs, Siemens, ABB, Smit, potentiellement les Coréens Hyundai et Hyosung ; pour les systèmes de contrôle-commande, Siemens, ABB, Clemessy, Schneider, Emerson ; enfin, pour l'instrumentation, SNEF, SPIE et Clemessy.
L'acquisition de la branche énergie d'Alstom par General Electric aurait pu, en revanche, modifier sensiblement le paysage industriel dans le domaine thermique. GE était en effet présent à côté d'Alstom sur le segment des turbines à combustion et a fourni depuis quarante ans près de cent vingt turbines de ce type à EDF, en France et à l'étranger. La Commission européenne a donc demandé à General Electric de proposer des solutions pour remédier à cette situation. Cette demande a conduit GE à céder l'activité des turbines à combustion de forte puissance d'Alstom à l'italien Ansaldo.
J'en viens aux relations opérationnelles entre EDF et General Electric.
Quelques mois après l'acquisition de la branche énergie d'Alstom, au début de l'année 2016, EDF a souhaité faire avec General Electric le bilan des difficultés opérationnelles en cours. Le contexte était assez difficile à cette période : d'une part, l'intégration au sein de GE de la branche énergie d'Alstom suscitait des inquiétudes au sujet du départ de compétences sensibles et de l'arrivée d'une culture américaine assez nouvelle pour EDF ; d'autre part, la confrontation des deux cultures d'entreprise d'EDF et de General Electric engendrait des tensions qu'il était important de ne pas laisser perdurer.
Un travail commun de plusieurs semaines a conduit à retenir dix dossiers principaux et à engager un plan d'action précis dont le pilotage a été confié à un tandem de dirigeants de General Electric et d'EDF. Il comportait un suivi mensuel de plusieurs indicateurs clefs relatifs à la sécurité, à la qualité des prestations de maintenance, à la qualité des fabrications d'équipements et des pièces de rechange et au respect des délais de livraison.
Trois dossiers concernaient le projet de Flamanville 3 : l'achèvement de la salle des machines, les diesels de secours et l'installation d'un traitement des effluents primaires.
Trois dossiers concernaient la chaîne logistique de General Electric : processus de qualification et de surveillance des fournisseurs internes et externes de GE, renforcement de ses compétences dans le domaine des équipements sous pression, amélioration de la qualité des fabrications dans ses ateliers.
Deux dossiers spécifiques concernaient la filiale GE Grid, spécialisée dans les transformateurs dont les performances étaient très en deçà de ce qui était attendu : retour d'expérience sur les opérations menées à Chinon et Cruas afin de sécuriser les opérations à venir, plan d'action pour contrôler la qualité des fabrications d'une usine en Asie.
Enfin, deux dossiers concernaient le domaine thermique : retour d'expérience sur les difficultés rencontrées à la centrale de Martigues, achèvement des travaux sur ce site et le traitement d'une modification sur une centrale à charbon d'EDF en Pologne qui n'atteignait pas les performances environnementales prévues au contrat.
En mai 2016, Xavier Ursat, chargé des projets du nouveau nucléaire, et moi-même avons validé le plan d'action avec Paul McElhinney, président du pôle Power Services de General Electric, et Andreas Lusch, président de la branche Steam Power Systems. À partir de cette date, les deux dirigeants d'EDF et de General Electric désignés se sont réunis chaque mois pour assurer le suivi du plan. Cette longue période de travail de fond a permis aux acteurs de mieux se connaître et a conduit à résoudre les divergences juridiques et commerciales qui étaient apparues après l'acquisition.
À ce jour, sur les dix dossiers identifiés, un seul demeure ouvert dans l'attente de la finalisation, au début de cette année 2018, des essais de bon fonctionnement de la modification réalisée sur la centrale polonaise. Les réunions mensuelles sont maintenues pour suivre les indicateurs clefs et conserver un canal de traitement réactif de toutes les difficultés qui pourraient surgir.
Si l'on veut bien considérer que les difficultés identifiées procédaient toutes d'Alstom, force est de constater un réel engagement de General Electric à s'impliquer pleinement dans le service d'EDF. Il est juste également de rappeler qu'EDF a mis tout son poids dans la balance pour obtenir ces résultats et que les discussions ont parfois été dures. Le résultat n'en traduit pas moins une relation de qualité. Cette dernière n'est pas exempte de fermeté : ainsi l'expertise judiciaire en responsabilité sur l'origine du sinistre de Martigues est toujours en cours. Si le juge confirme la responsabilité d'Alstom, EDF demandera des réparations.
Pour autant, l'activité industrielle d'un groupe comme General Electric au profit d'EDF ne saurait se résumer en une simple phrase et si certaines choses vont bien aujourd'hui, d'autres vont moins bien ou demandent à être améliorées.
Parmi les points positifs, on peut souligner l'engagement de General Electric à relever les défis du projet de Flamanville 3 et à contribuer dans son domaine à résoudre les difficultés importantes qui demeuraient. La situation s'est bien améliorée même si tout n'est pas achevé et si un engagement fort reste nécessaire pour relever les derniers défis. C'est le résultat d'un intense travail en commun entre EDF, qui n'a pas ménagé sa peine, et General Electric, qui a su renforcer ses équipes et mieux maîtriser ses activités.
Dans le domaine thermique, des résultats techniques probants ont été atteints par la dernière génération de centrale à cycle combiné commercialisée par General Electric. Sa mise en service à Bouchain à l'été 2016, en avance par rapport au calendrier initial, mérite d'être soulignée. En outre, General Electric a accepté les demandes d'EDF de rouvrir des négociations sur les marchés de maintenance de long terme afin d'adapter leurs dispositions contractuelles aux évolutions de contexte du parc thermique.
On peut enfin noter les premiers résultats positifs du nouveau processus de surveillance des sous-traitants mis en place par General Electric avec une amélioration progressive – toujours trop lente à nos yeux – de l'appréciation qu'EDF porte sur leur qualité.
Parmi les points négatifs, notons que les indicateurs clefs suivis mensuellement comme les bilans trimestriels réalisés entre la direction de la production nucléaire et General Electric montrent depuis mi-2017 une certaine dégradation des résultats en matière de sécurité et une dégradation de la qualité de la maintenance des turbines. Dans le domaine des pièces de rechange, si les délais de livraison s'améliorent, le nombre de défauts entamant leur qualité augmente.
EDF est également aujourd'hui préoccupée par la tendance de General Electric à faire davantage appel à la sous-traitance pour la réalisation des opérations de maintenance sur le parc thermique. Cette moindre implication de ressources propres fait craindre à court ou moyen terme une perte de compétences techniques de General Electric concernant des matériels anciens de fabrication Alstom tels que les turbines à vapeur ou les alternateurs. Ces compétences sont pourtant nécessaires pour le maintien en condition opérationnelle des centrales thermiques concernées.
L'évaluation de la qualité des prestations fournies par General Electric est suivie de manière très attentive par EDF, comme pour tous nos fournisseurs. Avant de travailler sur nos sites nucléaires, les différentes entités sont qualifiées à travers un processus rigoureux, renouvelé tous les trois ans. Les entreprises qui ne satisfont pas aux exigences ou dont les prestations se dégradent sont placées en surveillance renforcée et des plans d'action sont mis en place. S'agissant de General Electric, cela concerne notamment aujourd'hui la branche Grid qui fournit et entretient certains transformateurs. Ce placement en surveillance renforcée s'accompagne de plans d'action dont EDF suit de très près la mise en oeuvre. Une évaluation annuelle des résultats sera réalisée pour maintenir ou lever cette surveillance. Ainsi, GE Grid, placé en surveillance renforcée en 2016, a vu sa qualification suspendue en 2017, les prestations ne s'étant pas améliorées. Deux autres entités de General Electric ont été placées en surveillance renforcée en 2017 : Thermodyn et le centre de services de La Courneuve. Notons, pour être tout à fait honnête, que ces deux entités étaient déjà en surveillance renforcée en 2014, avant l'acquisition par General Electric.
Dans le domaine nucléaire, General Electric a fait évoluer son organisation, notamment en regroupant dans une même structure l'ensemble de ses ressources pour les activités de service. EDF attend de cette nouvelle organisation une adaptation plus réactive des capacités industrielles à ses besoins et une diminution des besoins d'arbitrage en cas de pic de charge. Cette nouvelle organisation n'a pas encore produit ses effets et certaines des difficultés rencontrées aujourd'hui ont sans doute leur origine dans ces changements qui ont pu perturber les pratiques et les hommes. Nous sommes particulièrement attentifs à l'évolution de cette situation. Nous attendons des bénéfices en termes de souplesse ainsi que la correction des défauts constatés.
L'acquisition de la branche énergie d'Alstom par General Electric n'a pas réglé d'un seul coup les difficultés rencontrées avec Alstom, mais il est juste de dire que nos interlocuteurs actuels se sont mobilisés pour les résoudre. Au plan opérationnel, si chacune des parties a dû apprendre à travailler avec une autre culture, les relations sont efficaces et les engagements pris par General Electric sont tenus, à ce jour.
Les rencontres de dirigeants sont fréquentes à tous les niveaux et des réunions régulières entre les deux entreprises permettent de piloter concrètement, au plus près du terrain, la conduite des activités et la qualité des réalisations. La relation industrielle entre EDF et General Electric est normale à ce jour. Compte tenu des enjeux que constituent pour EDF, dans le domaine nucléaire comme dans le domaine thermique, les installations relevant aujourd'hui de General Electric, cette relation est dense à tous les niveaux, y compris sur le terrain.
Je vous remercie, messieurs, pour vos deux interventions complémentaires.
Ma première question portera sur les contrats de pérennité présentés par Emmanuel Macron en 2014, alors qu'il était ministre de l'économie, comme des documents très rassurants. À quel degré avez-vous été associé à leur rédaction ? Pouvez-vous nous en dire plus sur leur aspect tarifaire ?
Nous considérons avoir été associés à la définition des enjeux industriels devant faire l'objet de contrats de pérennité. Les prestations et les équipements sont nombreux : certains représentent un enjeu stratégique, d'autres sont plus banalisés.
Permettez-moi de vous préciser, monsieur le président-directeur général, que l'un des points que la commission d'enquête cherche à éclaircir est de savoir comment la décision de vendre une entreprise comme Alstom Power a pu être prise en aussi peu de temps. Nous voulons déterminer si toutes les précautions ont été prises, par M. Kron, par ses successeurs ou bien par l'État. Cela peut-il se quantifier en termes de nombres d'heures passées en réunions ?
Nous estimons avoir été très convenablement associés à la définition des enjeux industriels auxquels s'attache la préservation sur le long terme de nos intérêts en tant qu'acheteur. Les accords de 2014 ne sont pas des catalogues de prix qui engageraient le fournisseur à nous livrer tel équipement à telle date et à tel prix. Ces accords portent sur le maintien des compétences, des savoir-faire et sur les obligations liées à la maintenance des installations du système électrique français.
Visiblement, ils n'ont pas été précis au point de répondre à toutes les questions puisque des avenants ont dû être ajoutés par la suite.
M. Minière a précisé que dix dossiers avaient été ouverts. Je laisse de côté les chantiers en cours sur lesquels il peut y avoir des aléas mais, visiblement, il y a eu une dégradation générale. À quoi l'attribuez-vous ?
Le transfert de propriété entre Alstom et GE s'est accompagné d'un changement d'interlocuteurs et d'un changement dans les méthodes de management et dans la culture industrielle qui a conduit à une période de tension entre la maison EDF et la maison GE.
J'ai personnellement appelé l'attention du directeur général de GE de l'époque, M. Immelt, sur le fait que nous souhaitions une remise à plat de certains dossiers de façon à aboutir à une meilleure compréhension mutuelle. Nous avons souligné que le climat de confiance pourrait se dégrader si une meilleure écoute de la part de GE à l'égard de son client majeur en France n'était pas mise en place. J'ai été entendu.
Je me souviens très bien des multiples réunions qui ont eu lieu dans les semaines qui ont suivi et qui ont débouché sur un accord général lorsque M. Bolze est venu inaugurer la centrale de Bouchain à cycle combiné au gaz. Pendant quelques mois, la relation a été caractérisée par un certain niveau d'incompréhension et de relâchement de la confiance. Après que nous avons attiré l'attention de notre fournisseur sur le fait que ceci conduisait à une situation dommageable pour EDF, il a écouté son client et adopté des solutions. Nous avons couronné cette confiance retrouvée par des discussions que nous avons eue sur le site même de Bouchain.
Pouvez-vous nous donner des précisions sur vos interlocuteurs ? À quelles entités appartenaient-ils ? À GEAST ? À General Electric ?
M. Immelt qui a quitté ses fonctions au milieu de l'année dernière, était le président-directeur général de General Electric et M. Bolze était le patron de l'activité mondiale énergie de GE, GE Power, qui doit représenter le quart du chiffre d'affaires du groupe. Ce sont donc des personnes qui géraient l'ensemble des prestations de GE dans le monde de l'énergie et non pas seulement les anciens actifs d'Alstom.
Ma question tendait à vous interroger sur la réalité des trois co-entreprises créées au moment de la cession d'Alstom.
Vous nous avez précisé que GE s'était engagé, dès les contrats de pérennité, à présenter des offres compétitives. Si j'ai bien compris, la référence est la meilleure offre faite à un autre acteur sur le marché mais encore faut-il avoir connaissance de ces autres offres. Cela vous semble-t-il constituer une garantie suffisante ?
Assurer à un client donné des prestations de même niveau que pour tout autre client est un principe sain mais qui n'est pas suffisant. Nous disposons des références de prix récentes s'agissant de la compétitivité de la turbine Arabelle. Le choix de cette turbine pour Flamanville a été fait après une période de dialogue compétitif qui remonte à 2003-2005. Certes, il n'y a pas aujourd'hui de réacteur en construction dans le monde d'une puissance aussi élevée mais néanmoins nous considérons que nous avons une visibilité suffisante sur les prix. Nous pourrions remettre Arabelle en concurrence, si cela nous apparaissait nécessaire, voire – mais le cas est improbable – exercer la clause qui nous permet de récupérer les interfaces technologiques et confier la fabrication à d'autres. Il y a peu de chance que cette menace soit exercée mais nous sommes heureux que cette clause couperet existe.
Il s'agit d'une société détenue à 100 % par l'État. Elle est destinée à recevoir la propriété intellectuelle d'Alstom au cas où GE se désengagerait de ces activités. Il est normal qu'elle n'ait pas d'activité puisque GE ne s'est pas désengagé.
Elle détient la propriété de la licence. Pourquoi cela ne génère-t-il pas d'activité pour les projets nouveaux ou le développement ?
Ce n'est pas elle qui est propriétaire de la licence mais GEAST.
Vous avez précisé, monsieur le président, qu'EDF investissait chaque année environ 400 millions dans le parc hydroélectrique français. Estimez-vous, comme certains, que l'activité hydroélectrique n'est plus un marché porteur ? Cela justifierait-il d'abandonner GE Hydro à Grenoble ?
Nous partageons cette appréciation pour ce qui est du monde non-chinois. Le volume des projets chinois n'a rien à voir avec le reste du monde. Du reste, ce sont les industriels chinois qui prennent en charge les ouvrages sur leur sol et ils atteignent, comme dans d'autres domaines, des dimensions bien supérieures aux ouvrages occidentaux. Le monde occidental de l'hydraulique vit une période de moindres investissements. Aujourd'hui, nous faisons quelques investissements d'extension et de modernisation comme sur le chantier de Romanche-Gavet. Les conditions d'exploitation du potentiel hydroélectrique ne sont pas favorables économiquement. Le poids des taxes réduit les faibles marges que nous dégageons.
Dans le cadre des discussions sur le renouvellement des concessions hydrauliques en France, nous essayons d'obtenir un soutien déterminé du gouvernement français. Il existe un potentiel hydroélectrique, notamment dans le Massif central, et nous serions prêts à lancer de nouveaux chantiers si un accord pouvait être trouvé avec la Commission européenne. Nous appelons un tel accord de nos voeux dans le cadre du règlement de la mise en demeure sur les concessions hydroélectriques qui remonte à fin 2015 et même avant.
Le but de la commission d'enquête est aussi bien de dresser un bilan que de faire de la prospective afin d'aboutir à des propositions concrètes pour améliorer les outils dont l'État dispose pour sa politique industrielle.
J'aurai deux questions pour les fins connaisseurs de l'industrie que vous êtes.
Selon vous, quels sont les différents types d'entreprises stratégiques en France aujourd'hui ? Le périmètre du décret Montebourg mérite-t-il d'être étendu ? Si oui, à quels secteurs ?
Par ailleurs, de quels outils peut disposer l'État dans sa politique industrielle pour s'assurer du maintien des savoir-faire, des emplois, de la compétitivité des secteurs stratégiques français ? Avez-vous en tête des exemples d'outils étrangers qui fonctionneraient mieux ?
Monsieur le rapporteur, vous me demandez de prendre position sur des sujets qui dépassent très largement les compétences d'un président d'EDF…
Nous pourrions qualifier de stratégique tout ce qui concourt de façon directe à la compétitivité de nos prestations pour le compte des particuliers et des entreprises. Il peut s'agir de la compétitivité à court terme, lorsqu'il y a une absence de concurrence. Je viens de parler de la turbine Arabelle : nous ne disposons pas de solutions alternatives aujourd'hui, d'où la nécessité de préserver cette technologie et sa compétitivité. Il peut s'agir aussi de développements technologiques importants. De ce point de vue, la restructuration de la filière nucléaire qui vient de s'achever avec la reprise de Framatome par EDF nous permet de préserver des moyens de développement technique, des savoir-faire dans la construction d'équipements absolument essentiels à la compétitivité de l'industrie nucléaire française. En l'absence d'une telle solution, nous aurions eu des inquiétudes quant à notre capacité à maintenir un parc de production français décarboné et compétitif. Rappelons en effet qu'il a la double qualité d'émettre peu de gaz à effets de serre et d'offrir aux ménages français des prix inférieurs à ceux pratiqués dans les pays voisins.
Le décret dit Montebourg couvre le secteur de l'énergie au sens large et nous n'avons pas de revendication à ce sujet.
Les réductions de charges décidées par les gouvernements successifs ont été plafonnées à des niveaux de technicité intermédiaire. Ces dispositifs ne favorisent pas la montée en gamme des prestations industrielles et technologiques. S'ils avaient encouragé les industries de très haute technicité et des salaires plus élevés, on aurait pu parler d'une volonté de renouveau industriel plus marquée que celle dont nous avons pu bénéficier à d'autres titres, je pense par exemple au crédit d'impôt recherche.
Je vous remercie, messieurs, pour les précisions que vous nous avez apportées.
Vous ne serez pas étonnés que mes questions se focalisent sur l'hydroélectricité. Lors des précédentes auditions, nous avons entendu beaucoup de remarques portant sur le site GE Hydro de Grenoble, sur la perte de compétence industrielle, sur le manque de réactivité. Vous avez indiqué que vous n'aviez pas forcément constaté de dégradation de la qualité ou du dynamisme commercial avec GE. Cependant, vous avez souligné qu'Alstom avait démontré une bonne réactivité dans le passé et que vous attendiez la même chose de la part GE, ce qui laisse entendre qu'il y a eu un peu de flottement. Quelle évolution des commandes envisagez-vous, compte tenu du potentiel de développement de l'hydroélectricité et de son histoire dans les Alpes ? Il y va du maintien en France d'une activité stratégique et du dernier fabricant de turbines sur notre sol. D'après les chiffres que vous avez cités, les commandes de ces trois dernières années ne semblent pas avoir faibli considérablement.
Vous avez souligné que « les enjeux étaient certes moins importants dans l'hydraulique compte tenu du paysage concurrentiel ». Ce qui nous importe, c'est de conserver cette filière française à laquelle nous attachons une grande importance. Si elle n'a plus la capacité à répondre aux appels d'offres, elle ne pourra plus accéder à ces marchés.
Ma deuxième question porte sur le renouvellement des concessions hydroélectriques. Chacun sait l'importance que j'attache à la maîtrise publique de cette énergie renouvelable vertueuse, essentielle pour répondre aux objectifs de la loi de transition énergétique. Nous sommes dans une situation d'attente depuis quelques années. Beaucoup de discussions ont eu lieu entre l'État, EDF et le Parlement pour tenter de trouver des solutions acceptables, compatibles avec les règles européennes. Elles ont abouti, à la suite du rapport dont je suis l'auteur, à des dispositions qui ont été introduites dans la loi de transition énergétique. Dans un cadre compatible avec les exigences de la Commission européenne, elles nous semblent susceptibles de conduire à un processus de renouvellement, notamment grâce à la possibilité de prolonger les concessions sous condition d'investissement. Ségolène Royal, en avril 2017, a transmis à la Commission européenne les dossiers de la concession du Rhône exploitée par la Compagnie nationale du Rhône et de celle de La Truyère exploitée par EDF. La France n'a pas eu de retour quant aux desiderata de la Commission. L'impact sur les investissements serait décisif, qu'il s'agisse de l'optimisation de sites existants ou de la création de nouveaux sites, en nombre limité, toutefois, car leur acceptabilité sociale est difficile même s'il s'agit d'une énergie renouvelable.
Pourquoi ne faisons-nous pas davantage preuve de courage ? Pourquoi n'affichons-nous pas la volonté politique que d'autres pays manifestent ? Pourquoi n'imposons-nous pas l'application de cette loi, compatible avec le droit européen ? La Commission n'aurait alors qu'à s'exécuter. J'aimerais connaître votre position et vos attentes à court terme.
Enfin, je sais que si la situation se débloquait, vous pourriez investir rapidement dans plusieurs sites. Vous avez en effet montré votre volontarisme, en matière d'investissements, sur le site de Gavet qui coûte beaucoup plus cher que prévu du fait de difficultés de configuration géologique. Nous sommes tous très heureux que le tunnelier y ait enfin percé la roche pour pouvoir mettre en production le plus rapidement possible ce site très vertueux qui permet une optimisation de la production de plus de 30 % supplémentaires.
Il serait bon que notre commission puisse avoir accès au contrat de pérennité tripartite et que vous nous présentiez un bilan de son exécution, s'agissant notamment de la livraison des îlots conventionnels de Flamanville 3 et de Taishan 1 et 2. Quels délais de livraison ont été convenus en 2014 dans ce contrat ? Qu'en est-il aujourd'hui ? Quid du lot Alstom d'Hinkley Point C ?
Benjamin Gallezot n'ayant toujours pas été remplacé depuis son départ de GEAST au début de l'année 2017, qui est désormais votre interlocuteur étatique pour défendre les intérêts d'EDF dans cette société ?
EDF est-elle associée à la relation industrielle avec l'opérateur finlandais Fennovoima qui a acheté la turbine Arabelle pour la centrale de Hanhikivi dans le cadre du contrat conclu avec une filiale de Rosatom ?
J'appuie la demande de M. Lachaud. Il serait souhaitable que le rapporteur et moi-même ayons connaissance de ce contrat de pérennité, dans des conditions de confidentialité que vous nous imposerez.
Le volet de l'accord régissant les modalités d'exportation d'Arabelle prévoit la possibilité de se soustraire aux contraintes de type ITAR (International Traffic in Arms Regulations – réglementation américaine sur le trafic d'armes au niveau international). Pourriez-vous revenir sur cette disposition exceptionnelle ?
Il y a eu une phase d'acclimatation lorsque les nouveaux dirigeants de GE se sont substitués à ceux d'Alstom. Cette période s'est achevée pour nous le jour où le client que nous sommes a obtenu une meilleure prise en compte de ses préoccupations – pas simplement de façon ponctuelle, pour tel ou tel chantier, mais de façon générale –, de sa culture et de la manière dont il avait toujours travaillé avec Alstom. Cette phase s'est achevée il y a maintenant plus de dix-huit mois, lors de l'inauguration de la centrale de Bouchain et de la réunion de clôture que nous avons eue avec M. Bolze et ses équipes. Cela nous a permis de repartir du bon pied. Depuis, nous estimons être très correctement traités par GE qui a adopté l'état d'esprit qui convient dans les relations entre un gros fournisseur et un gros client.
S'agissant des commandes que nous sommes susceptibles de passer, je voudrais souligner à nouveau les difficultés économiques que subit le secteur de l'hydroélectricité français, les prix de marché étant bas tandis que les impôts locaux sont élevés. Le système, tel qu'il fonctionne aujourd'hui, n'assure aucune rentabilité à nos investissements. Bien évidemment, nous assurons la maintenance et la sûreté de nos installations. Néanmoins, nous appréhendons avec précision tout projet d'investissement, compte tenu des pertes qu'il est susceptible d'entraîner si les prix de marché restent à leur niveau actuel ou si nous n'obtenons pas d'allègement de la fiscalité locale. Les investissements que nous pourrions faire dépendent en réalité du lancement de quelques grands projets, auxquels Mme Battistel a fait allusion. J'ai cité tout à l'heure un projet au Cameroun : si les choses se déroulent comme nous le souhaitons, nous devrions pouvoir prochainement lancer le chantier de Nachtigal, pour lequel nous avons présélectionné l'activité de GE Hydro comme fournisseur de la turbine. C'est un chantier important. Pour le reste, nous dépendons de la résolution du problème des concessions hydroélectriques et je ne peux que vous encourager à soutenir l'effort que fait EDF auprès du Gouvernement français pour que ce dernier obtienne un accord satisfaisant avec la Commission européenne sur ce sujet difficile.
Monsieur Lachaud, à ma connaissance, les livraisons qui ont été faites par Alstom puis GE sur les chantiers de Flamanville 3 et sur les deux réacteurs de Taishan se sont déroulées convenablement. Non pas qu'il n'y ait pas eu de difficultés – il y en a toujours dans les chantiers de cette envergure – mais elles ont été résolues. Ce ne sont pas les livraisons d'Alstom et de GE qui sont à l'origine des retards de Taishan et plus encore de Flamanville. Sans être exemplaire, la prestation d'Alstom puis de GE pour les salles des machines de Taishan et de Flamanville est tout à fait convenable. Il est trop tôt pour parler d'Hinkley Point mais nous estimons que les choses devraient bien s'y passer également puisqu'il y a peu de différences avec la salle des machines de Flamanville.
Vous avez parlé d'un chantier finlandais qui est apparemment mené par Rosatom. EDF n'en connaît rien et n'y participe d'aucune manière.
Les accords tripartites étant couverts par le secret industriel, je ne saurais engager EDF dans quelque démarche que ce soit visant à répondre à votre demande d'accès à ces documents.
Enfin, madame Pouzireff, il n'y a pas aujourd'hui de composant ITAR dans Arabelle mais si cela devait changer, il ne serait pas possible, pour le gouvernement américain, de soumettre cette turbine à une autorisation d'exportation. Cette précaution a été prise à bon escient par les personnes qui ont négocié ce point en 2013-2014.
La question du contrat de pérennité est évidemment un élément de crédibilité majeur, s'agissant de ce qui s'est passé en 2014. Je vous rappelle que ce contrat avait été présenté devant la commission des affaires économiques par le ministre de l'économie de l'époque comme devant rassurer la représentation nationale. Il me paraît donc important que l'entreprise publique EDF soit en mesure, dans le respect du secret des affaires, d'informer la représentation nationale à ce sujet. La transparence, si elle doit avoir des limites, doit aussi être effective pour des enjeux aussi capitaux. Je formulerai la question différemment : le Gouvernement a-t-il copie de ce contrat de pérennité, signé entre General Electric, par le biais de la GEAST dont l'État était actionnaire, et l'entreprise EDF, dont l'État est également actionnaire ?
Je parle sous le contrôle de mes collaborateurs car je n'étais pas en poste lorsque ces accords ont été négociés. Je crois qu'il n'y a pas d'accord de pérennité dont l'État ne soit pas lui-même signataire.
On peut donc y avoir accès dans le cadre d'un contrôle sur pièces et sur place dans les services de Bercy.
En 2017, des membres de Greenpeace ont pu pénétrer sur le site de la centrale nucléaire de Cattenom en Moselle afin d'appeler l'attention sur le manque de sécurité des installations nucléaires françaises. À la suite de cette intrusion, quelles mesures ont été prises pour renforcer la sûreté de nos centrales, compte tenu du risque terroriste ?
Nous estimons que toutes les mesures sont prises sous l'autorité du Gouvernement, des préfets et de la gendarmerie avec laquelle nous avons une convention pérenne nous permettant de protéger l'accès aux centrales nucléaires. Malgré l'heure très matinale – entre cinq heures et cinq heures et demie du matin –, les personnes qui ont percé un simple grillage et qui se sont ainsi retrouvées dans une zone de la centrale non accessible au public mais extrêmement éloignée des matières radioactives ont été interpellées en huit minutes. Cela est de nature à nous rassurer tous quant à l'efficacité des services de gendarmerie : je profite de cette occasion pour leur rendre hommage.
Vous ne m'avez pas dit qui était votre interlocuteur étatique au sein de GEAST depuis le départ de Benjamin Gallezot.
Je ne doute pas que si besoin était, nous saurions nous adresser aux bonnes personnes au sein du ministère de l'économie et des finances, dont était issue la personne que vous citez. À aucun moment nous n'avons observé de mauvaise volonté de la part des signataires du contrat de pérennité, et des accords au sens large, quant à l'accès d'EDF aux différentes sources d'information. D'ailleurs, c'est à la demande même de GE que nous avons été invités à assister à des réunions auxquelles notre présence n'était pas prévue. J'entends bien qu'il eût été préférable d'éviter une absence trop longue de représentant officiel de l'État au sein de GEAST mais cela ne nous a pas posé de problème particulier. J'en profite pour vous indiquer que la mise en application, depuis un peu plus de deux ans, des accords, négociés il y a trois ou quatre ans, se déroule dans un excellent état d'esprit et que le climat de confiance est très satisfaisant entre les différentes parties.
Je précise à M. Lachaud que j'ai écrit ce jour même au président d'Alstom pour lui demander communication du nom des administrateurs, étant entendu que l'État était actionnaire d'Alstom au cours de ces trois dernières années via Bouygues, et connaître aussi le rythme des réunions de ces trois joint ventures. On a parfois le sentiment que l'activité de ces dernières est une coquille vide.
Je vous remercie tous de votre présence à cette audition.
La séance est levée à dix-huit heures trente.
Membres présents ou excusés
Réunion du mercredi 17 janvier 2018 à 17 heures
Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Michèle Crouzet, Mme Dominique David, M. Bruno Duvergé, Mme Sarah El Haïry, M. Éric Girardin, M. Guillaume Kasbarian, M. Bastien Lachaud, M. Olivier Marleix, Mme Natalia Pouzyreff, M. Jean-Bernard Sempastous
Excusé. - M. Hervé Pellois
Assistait également à la réunion. - M. Frédéric Barbier