Intervention de élie Cohen

Réunion du jeudi 18 janvier 2018 à 9h35
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

élie Cohen, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) :

Je suis assez largement d'accord avec Pierre Veltz mais pour éviter les redites, je vais examiner la question sous un autre angle en m'attachant aux actions lancées par le nouveau Gouvernement et le Président de la République en matière de politique industrielle.

Nous pouvons en distinguer trois types différents.

La première action tend à préserver l'emploi industriel et une capacité manufacturière dans des secteurs qui ont connu des difficultés et qui ont fait l'objet de restructurations majeures comme cela a été le cas des Chantiers de l'Atlantique. L'idée directrice est de se préparer au plein déploiement des technologies nouvelles de la French Fab.

Nous connaissons une grande révolution manufacturière. L'usine du futur est en train de se dessiner sous nos yeux : largement numérique, elle combine les techniques de l'intelligence artificielle, du big data, de la virtualisation et de la robotisation. Les nouveaux acteurs industriels ne sont pas du tout ceux auxquels on s'attend. Si je devais dire quelle entreprise est au coeur de la nouvelle industrie, je citerai également Dassault Systèmes. J'ai visité une usine dont la modélisation avait été conçue par leurs services et qui utilisait les outils d'intelligence industrielle de la société BrainCube qui permettent de connecter les machines entre elles, de corriger en temps réel les éventuelles pannes et d'organiser des dérivations de production.

La deuxième action est le financement des innovations de rupture. Le fonds de 10 milliards d'euros qui leur est dédié sera alimenté par des cessions d'entreprises publiques ou semi-publiques. Cela correspond à la volonté de faire de la France une start-up Nation : tout miser sur l'innovation disruptive pour renouveler profondément le modèle économique et le modèle industriel en favorisant le financement d'une partie du cycle de vie de l'entreprise. Nous savons en effet que l'un des grands problèmes en France n'est pas la création d'entreprises – il y a autant d'entreprises nouvelles chez nous que chez nos voisins, si ce n'est plus – mais la capacité à les faire croître jusqu'à une taille intermédiaire.

Nous comprenons bien l'idée sous-jacente : gérer le déclin progressif de l'ancienne industrie et favoriser l'éclosion de la nouvelle industrie. Le problème est que ces évolutions ne suivent pas du tout le même rythme. Du côté de l'industrie, il y a un processus massif ; de l'autre, des effets macroéconomiques qui se réduisent à des chiffres infinitésimaux. D'où la difficulté extrême dans laquelle nous sommes. Dans les domaines décisifs que sont la robotique, l'intelligence artificielle, le big data, la cybersécurité, la virtualisation, on ne trouve aucune entreprise française aux cinq premiers rangs mondiaux. On peut même se demander si cette start-up Nation ne s'appuie pas avant tout sur un phénomène d'inflation verbale car les chiffres ne sont pas au rendez-vous.

La troisième action passe par le fameux Grand plan d'investissement. Il conduit à rapatrier dans les ministères les fonds nécessaires et à sortir de la logique d'agence indépendante qui était celle du Commissariat général à l'investissement (CGI). Je ne vous cache pas que je n'approuve pas cette évolution, même si je suis un peu juge et partie puisque j'ai participé à la création du CGI et à l'élaboration des programmes d'investissements d'avenir. Je comprends la logique à l'oeuvre : les ministères ne peuvent pas seulement être porteurs de mauvaises nouvelles avec les restrictions budgétaires ; il faut leur laisser aussi la maîtrise de quelques programmes de développement mobilisateurs.

Toutefois, je ne vois pas beaucoup l'avantage qu'il y aurait à retourner à un cadre administratif traditionnel, d'autant que l'expérience du PIA a été plutôt réussie, notamment pour ce qui est de sa gouvernance et des modalités de sélection, de suivi et d'évaluation des projets.

De plus, on peut craindre que cette évolution administrative ne rende plus difficile de mener des stratégies plus intégrées alors que c'est le type même de démarche qu'il faudrait appliquer à la nouvelle industrie qui est en train d'émerger. Une industrie qui déjoue les définitions sectorielles traditionnelles car elle élabore avant tout des solutions : solutions de mobilité, de santé, d'efficacité énergétique, de bien-vivre ensemble dans le cadre de nouvelles conceptions de l'urbanité et de l'urbanisme.

Il faut réfléchir aux instruments disponibles sans remettre en cause ce qui marche et prendre pleinement conscience de ce qu'est cette nouvelle industrie.

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