On parle effectivement beaucoup du modèle allemand qui, comme vous le savez, n'est pas tant fondé sur les PME que sur les grosses ETI. D'ailleurs, on a tendance à oublier qu'il existe en France un tissu d'ETI, même s'il est trois fois moindre en volume et beaucoup moins dense géographiquement. Ce sont de très belles entreprises, assez disséminées sur le territoire, et que les Français connaissent fort peu.
Ce double aspect, de volume et de densité, est très important. Dans le Land de Bade-Wurtemberg, les gens se connaissent tous. Ils sont dans des villes voisines, ils travaillent avec les Länder et avec toutes sortes d'institutions de médiation. Bref, il existe tout un tissu économique dont l'équivalent n'existe malheureusement pas en France. Pour autant, je crois qu'il ne faut pas oublier les ETI françaises, qui ont souvent un potentiel local très important.
La géographie a son importance. En Allemagne, on peut parler d'une vraie densité, avec des entreprises d'échelle mondiale qui sont parfois implantées dans de toutes petites villes. Cela existe également en France, mais à un degré nettement moindre, car l'histoire et la géographie en ont décidé autrement.
Vous avez évoqué la question des start-up et la politique à adopter à leur égard. Comme je le disais tout à l'heure, la vague des start-up est culturelle plus qu'économique. Les jeunes générations attendent autre chose de l'entreprise que par le passé. La demande d'autonomie est devenue majeure, et passe avant celle de sécurité. De nombreuses politiques sont encore axées sur la sécurité du travail, mais les jeunes entrepreneurs nous disent que l'important, pour eux, c'est l'autonomie : ils veulent pouvoir « mener leur barque ». Ils sont également en recherche de sens. Ils ne veulent pas faire des choses idiotes, mais des choses auxquelles ils croient. Il ne faut pas négliger ces éléments, qui sont très immatériels, mais absolument essentiels dans la trajectoire des pays.
J'ai par ailleurs été frappé de constater qu'une grande partie de ces startups s'étaient implantées massivement en région parisienne, et même dans le centre de Paris. Cela s'explique par les très fortes politiques de soutien que vous connaissez – Station F, etc. Mais de ce fait, les start-up sont un peu coupées du tissu industriel « lambda ». En particulier, elles ont des connexions éventuelles avec les grands groupes, mais sont éloignées du monde des ETI et des PME. On observe d'ailleurs plutôt la même chose dans les grandes villes de province.
Il s'agit souvent d'étudiants qui montent leur start-up. Il n'y a pas beaucoup de hardware. On y est très coupé du monde de la technologie dure, on est beaucoup dans le « dot. com ». Pour caricaturer, je dirai que ce sont des cerveaux brillants qui nous inventent la nouvelle version de la livraison de pizza à domicile. C'est tout de même un problème, d'autant que, sur ce type de créneau, ils ne tiendront pas longtemps face à Amazon.
Ne pourrait-on pas, sur une base locale – ce serait plus facile à faire en région qu'en Île-de-France – essayer de reconnecter ces deux mondes, les startups issues du monde universitaire dans les métropoles, et les entreprises industrielles dans les territoires, en général dans des petites villes ou dans des territoires ruraux ? Il y a là une source fantastique de problèmes passionnants à régler, beaucoup plus intéressants que la livraison de pizzas – d'autant que ceux qui se consacrent aux pizzas risquent de se heurter rapidement à Amazon.