Intervention de élie Cohen

Réunion du jeudi 18 janvier 2018 à 9h35
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

élie Cohen, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) :

On a aussi évoqué, dans une question, les effets de la concurrence sur la fragilisation d'EDF. Pendant vingt ou trente ans, au niveau européen, on a poursuivi une stratégie qui visait, en matière énergétique, à concilier trois logiques : la logique climatique, environnementale ; la logique de sécurité d'approvisionnement ; la logique de compétitivité.

Globalement, les politiques définies au niveau européen ont essayé de concilier ces trois logiques, et cela a donné lieu à toute une série de déclinaisons.

Le problème est que la politique de sécurité énergétique a une dimension géopolitique, qui échappe assez largement au pouvoir de la Commission et qui renvoie aux prérogatives des États. Voilà pourquoi, en matière de sécurité énergétique, on n'a pas fait grand-chose.

En matière climatique, des objectifs ont été fixés par la Commission européenne – les « trois fois 20 % », etc. Mais l'Allemagne a annoncé récemment qu'elle n'allait pas suivre les obligations qu'elle s'était elle-même fixées, et cela n'a pas eu d'effet.

En revanche, la politique de compétitivité est d'application directe. Elle est gérée directement par Bruxelles. Cela explique qu'elle ait eu une efficacité relative plus importante qu'ailleurs. D'où la remise en cause des modèles énergétiques des différents pays, et notamment de leurs modèles organisationnels – désintégration comptable, puis désintégration juridique des grands champions européens. Cela a conduit au paysage électrique que nous connaissons. On peut dire que cet objectif de concurrence a eu des effets structurants sur la politique de l'énergie et sur l'organisation des entreprises énergétiques au niveau européen.

Une question du rapporteur portait sur les effets de la libéralisation dans les télécommunications. Son auteur a tout à fait raison : on peut très bien imaginer que, même avec trois, voire deux opérateurs, si l'un d'entre eux est particulièrement agressif, il n'y aura pas de remontée des prix. En revanche, j'observe ce qui s'est passé aux États-Unis sur une longue période.

Aux États-Unis, on avait décidé d'éclater le Bell System en sept compagnies régionales, et permis à de nouveaux arrivants d'intervenir dans la téléphonie à longue distance. Dans un premier temps, la concurrence a entraîné de véritables baisses des prix, et une diffusion plus rapide – notamment de la technologie des mobiles – en raison de l'arrivée de nouveaux entrants. Enfin et surtout, la concurrence entre le réseau du câble et le réseau téléphonique a permis, en matière de téléphonie fixe, des progrès et des baisses, et on a assisté à la multiplication des fournisseurs d'accès à internet.

Je remarque qu'on a appliqué ce raisonnement, non pas à l'Europe, mais à chaque pays d'Europe. Alors qu'il y avait, après le démantèlement d'ATT, sept opérateurs européens, on a commencé à en fabriquer trois ou quatre par pays, ce qui, à raison de vingt-huit pays, a abouti à un paysage littéralement atomisé. On est entré dans une dynamique de concurrence particulièrement dure, qui a tiré les prix vers le bas. Mais ne nous payons pas de mots : s'il y a à nouveau un mouvement de concentration en Europe, il se traduira par une certaine hausse des prix.

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