Intervention de Barbara Pompili

Réunion du mercredi 24 janvier 2018 à 16h35
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBarbara Pompili, rapporteure :

L'augmentation du nombre d'incidents survenus au cours de ces dernières années et, singulièrement au cours de ces derniers mois, au sein des centrales nucléaires françaises, ainsi que les incursions répétées de militants opposés à l'énergie nucléaire ont conduit votre rapporteure, le président du groupe La République en Marche et l'ensemble de ses membres à déposer, le 20 décembre 2017, une proposition de résolution dont le but est de créer une commission d'enquête dont l'objet sera l'examen de la sûreté matérielle de nos installations nucléaires et de leur sécurité à l'égard de tout acte de malveillance.

Nous devons aujourd'hui examiner la recevabilité de cette proposition de résolution au regard des prescriptions imposées par l'article 6 de l'ordonnance 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et par les articles 137 à 139 du Règlement de l'Assemblée nationale.

Nous devrons ensuite examiner les conditions d'opportunité justifiant la création d'une telle commission d'enquête.

En premier lieu, les propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête doivent, en application de l'article 137 de notre Règlement, « déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ».

Cet impératif est satisfait tant par l'intitulé de la commission d'enquête souhaitée que par l'article unique de la proposition de résolution qui délimite le champ d'investigation à la sûreté et à la sécurité des installations nucléaires, deux notions parfaitement définies dans le domaine de l'énergie nucléaire.

Ainsi, le glossaire de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) en définit et explique les termes de la manière suivante :

« La sûreté nucléaire désigne l'obtention de conditions d'exploitation correctes, la prévention des accidents ou l'atténuation de leurs conséquences, avec pour résultat la protection des travailleurs, du public et de l'environnement contre des risques radiologiques indus.

« La sécurité nucléaire désigne les mesures visant à empêcher et à détecter un vol, un sabotage, un accès non autorisé, un transfert illégal ou tout autre acte malveillant mettant en jeu des matières nucléaires et autres matières radioactives ou les installations associées, et à intervenir en pareil cas. »

Ainsi, au regard de ces deux définitions, reconnues sur le plan international, il appartiendra à la commission d'enquête de mener ses investigations tant sur le plan technique que sur celui des capacités de réponses envers tout acte de malveillance.

En deuxième lieu, en application du premier alinéa de l'article 138 du Règlement de l'Assemblée nationale, « est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête ayant le même objet qu'une mission effectuée dans les conditions prévues à l'article 145-1 ou qu'une commission d'enquête antérieure, avant l'expiration d'un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l'une ou de l'autre ».

La proposition de résolution remplit assurément ce critère de recevabilité, aucune commission d'enquête sur ce thème n'ayant été créée sous la précédente législature.

En troisième et dernier lieu, en application du deuxième alinéa de l'article 139 du Règlement de notre assemblée, la proposition de résolution ne peut être mise en discussion si le garde des Sceaux « fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ».

Interrogée par le Président de l'Assemblée nationale sur ce point, Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la justice, lui a fait savoir, dans un courrier du 12 janvier dernier, que plusieurs procédures étaient en cours dans différentes juridictions sur cette thématique.

Une procédure portant sur l'explosion ayant eu lieu sur la centrale nucléaire de Flamanville et ayant fait quatre blessés est en cours.

Une information judiciaire, qui concerne la centrale nucléaire de Civaux, est diligentée des chefs de non-déclaration immédiate d'incident ou d'accident par personne exploitant une installation nucléaire de base.

Le Pôle de santé publique de Paris a été saisi de plaintes concernant le fonctionnement de la centrale de Fessenheim.

Enfin, par un courrier complémentaire, il a été indiqué que des procédures ont été ouvertes à la suite des intrusions que j'ai évoquées au début de mon propos.

Par conséquent, une commission d'enquête ne pourrait être créée qu'en excluant de son champ d'investigation les procédures en cours précitées, et en veillant tout au long de ses travaux, à ne pas empiéter sur la compétence de l'autorité judiciaire.

En conclusion, et sous la stricte réserve d'exclure de ses travaux les procédures en cours, la création d'une commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires est, d'un strict point de vue juridique, recevable.

Reste la question de l'opportunité de la création d'une telle commission d'enquête.

La France est le premier pays au monde pour le nombre de réacteurs nucléaires en exploitation par habitant : 58 réacteurs pour 67 millions de Français au 1er janvier 2018, selon les chiffres fournis par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Ces réacteurs sont implantés au sein de 19 centrales nucléaires réparties dans l'Hexagone. Ensemble, elles produisent plus de 70 % de l'électricité totale fabriquée en France.

Si nous prenons en compte l'ensemble des « installations nucléaires », ce qui inclut les réacteurs arrêtés, mais ayant conservé des matériaux radioactifs, les réacteurs de recherche, les usines de transformation, les centres de stockage de déchets et différents autres sites, nous en arrivons à un total de 126 installations nucléaires de base.

Notre pays est donc particulièrement dépendant de cette source d'énergie dont le moindre incident peut avoir des conséquences potentiellement catastrophiques pour des millions de personnes et pendant des dizaines de milliers d'années.

Or, le nombre d'incidents sur des installations nucléaires ne cesse d'augmenter en France même si, depuis 38 ans, ils n'ont jamais dépassé le niveau 2 sur une échelle graduée de 0 à 7.

Pour autant, la chute d'un générateur de vapeur – considérée comme rigoureusement impossible – dans une centrale, l'explosion survenue à la centrale de Flamanville ou divers incidents survenus dans d'autres installations appellent l'attention et méritent que la représentation nationale enquête sur la sûreté des installations nucléaires de notre pays.

L'anomalie, détectée le 7 avril 2015 par l'ASN quant à la composition de l'acier dans certaines zones du couvercle et du fond de la cuve du réacteur de l'EPR de Flamanville, constitue également une source d'inquiétude, d'autant que les investigations de l'ASN ont mis en évidence la probable existence d'irrégularités dans certains dossiers de fabrication de l'usine Orano (ex-Areva) du Creusot.

De la même manière, le prolongement de l'autorisation d'exploitation des réacteurs au-delà de la durée de quarante ans pour laquelle ils ont été originellement conçus pose nombre d'interrogations tant sur le plan de la faisabilité technique, compte tenu des nouvelles normes édictées après la tragédie de Fukushima, que sur le plan financier.

Par ailleurs, au cours de ces derniers mois, des militants antinucléaires sont parvenus, à plusieurs reprises, à s'introduire dans l'enceinte de centrales nucléaires en activité : ce fut le cas à Cattenom le 12 octobre 2017 puis, le 28 novembre suivant, à Cruas-Meysse.

À chaque occasion, des failles dans les dispositifs de sécurité sont apparues et les militants écologistes ont souligné les risques pesant sur certaines installations, notamment les piscines de refroidissement.

À une époque où le terrorisme n'est plus un risque, mais une réalité, la représentation nationale a le devoir d'enquêter et de s'informer sur la sécurité des installations nucléaires au regard des éventuels actes de malveillance qui pourraient y être commis.

À la suite des intrusions de l'automne, notre commission a immédiatement mené les premières auditions qui s'imposaient : Greenpeace, Autorité de sûreté nucléaire (ASN), Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), EDF… Ces auditions ont démontré l'utilité de mener des investigations plus poussées sur le sujet. Il est également apparu évident qu'un tel travail d'investigation exigeait un investissement sur le long terme, pour en maîtriser les aspects techniques, et des conditions de confidentialité que seule permettrait une commission d'enquête.

Par ailleurs, il faut souligner que la plupart des centrales nucléaires françaises ont été construites pour durer quarante ans, et que la question de leur prolongation se pose aujourd'hui.

Aussi nous semble-t-il utile que la représentation parlementaire s'empare de ces sujets afin de vérifier que tout se passe dans des conditions de sûreté et de sécurité optimales.

Pour l'ensemble de ces raisons, la création d'une commission d'enquête portant sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires paraît aujourd'hui totalement opportune.

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