Madame la Présidente, votre question était de trouver un équilibre entre la fixation des objectifs par l'Union européenne et le pilotage plus fin des politiques mises en oeuvre par les États membres. La réponse est difficile : faut-il des objectifs contraignants ou laisser l'innovation se déployer pour résoudre les problèmes ? La gouvernance doit trouver ce bon équilibre sachant que la transition énergétique est plus compliquée à mettre en place dans certains pays que dans d'autres. C'est plus difficile lorsque le charbon est beaucoup utilisé. Un accompagnement est nécessaire dans des transitions qui sont forcément longues et qui doivent être pensées sur des horizons de cinquante ans. Cinquante années peuvent paraître longues et décourageantes, mais à l'échelle de la planète, cette durée est courte. Un chiffre est intéressant : si l'humanité arrêtait aujourd'hui d'émettre des gaz à effet de serre, le taux de carbone dans l'atmosphère, dans cinquante ans, serait égal à celui de l'ère préindustrielle. L'objectif est colossal mais pas inatteignable.
À propos de la question de Monsieur Herbillon, le premier point est que la meilleure énergie est celle qui n'est pas consommée. L'efficacité énergétique est un domaine prioritaire pour les futures politiques. Le plan du Gouvernement prévoit d'attribuer 15 milliards d'euros sur cinq ans pour rénover 500 000 logements par an. Ces moyens financiers doivent être mis en place avec une certaine souplesse, même s'il existe des zones avec des bâtiments historiques où la mise en oeuvre sera plus compliquée. L'énergie n'est pas encore, aujourd'hui, assez chère, puisque le prix ne tient pas compte de la pollution et n'incite donc pas à investir dans l'isolation. La puissance publique, aux niveaux européen et national, a un rôle à jouer pour aider les particuliers et les administrations. Il est aussi important que les particuliers et les entreprises soient accompagnés par des personnes compétentes pour les conseiller et avoir un retour sur investissement collectif le meilleur possible. Il y a un besoin en expertise. Il faut former des personnes pouvant faire des diagnostics thermiques et proposer des plans de rénovations crédibles. L'État et ses agences, comme l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie (ADEME), peuvent jouer un rôle important dans ce processus de formation. Le deuxième point concerne le développement des énergies renouvelables pour lequel la France est en retard. Il existe des freins à la mise en oeuvre des parcs éoliens pour lesquels il est nécessaire de prendre en compte les impacts réels et qui prennent beaucoup de temps pour leur installation par rapport à d'autres pays.
Sur la question de Madame Grandjean, les zones industrielles offrent des possibilités de reconversion intéressantes que les collectivités devraient encourager. Des fonds européens ou nationaux pourraient être mobilisés. Si le charbon est abandonné sans solution alternative, les citoyens vont s'opposer à l'arrêt de la production de charbon. Par contre, si une reconversion est proposée, avec par exemple l'installation de champs de panneaux solaires ou d'éoliennes et la création d'emplois à la fois pour le démantèlement des installations existantes et pour la reconversion, les citoyens et les collectivités territoriales seront prêts à s'engager. Mais la mobilisation des fonds européens est importante pour accompagner ces changements.
Le troisième point, c'est l'innovation. Les énergies renouvelables, on le sait, sont intermittentes. Cependant, j'attire votre attention sur le fait que la production d'électricité d'origine nucléaire devient elle aussi de plus en plus intermittente. Les centrales vieillissant, les contraintes de maintenance s'alourdissent, si bien qu'elles ne sont plus aussi fiables qu'elles étaient à leurs débuts.
L'interconnexion des réseaux est, de ce point de vue, fondamentale. Il est facile de comprendre que lorsque le vent souffle moins fort en mer du Nord, l'électricité produite par les centrales photovoltaïques espagnoles doit pouvoir être acheminée en Allemagne. Notre pays bénéficie lui aussi de cette interconnexion, puisque la France exporte régulièrement plus de 10 gigawatts d'électricité par jour. Il appartient à l'Union européenne d'améliorer l'interconnexion des réseaux et de les rendre plus intelligents, notamment par un partage accru de l'information.
L'innovation joue également un rôle en matière de stockage de l'électricité. Tout le monde connaît les batteries, mais il y a beaucoup d'autres moyens. Je pense par exemple aux barrages ou aux hydroliennes. L'éolien flottant présente a priori un fort potentiel de développement puisqu'il n'implique pas de dresser des éoliennes en plein champs ou en pleine mer. Il faut donc favoriser cette innovation, y compris au niveau européen, par une volonté politique forte.
Le dernier point, c'est l'appropriation de chacun. Chacun doit être conscient du fait qu'il peut jouer un rôle en matière de transition énergétique : éteindre la lumière en partant, diminuer la température du chauffage… Beaucoup de choses avaient été faites, vous vous en souvenez, dans les années soixante-dix après le premier choc pétrolier. On pourrait s'inspirer des initiatives mises en oeuvre à l'époque et les réactualiser pour les jeunes générations.
S'agissant de la performance énergétique, évoquée par M. Joaquim Pueyo, j'ai souligné l'importance des politiques publiques. Dans le cadre de ce rapport, nous sommes allés à Strasbourg où nous avons visité une centrale de production de chauffage urbain associant une chaudière fonctionnant à la biomasse et une chaudière fonctionnant au gaz naturel, cette dernière étant mise en route dans les périodes de pics de consommation, si bien qu'elle ne sert finalement que 20 % du temps. Cette centrale, qui a coûté 12 millions d'euros, n'a pu être construite qu'avec le soutien de la puissance publique, qui a apporté 4 millions d'euros. Ce point me conduit à rappeler que, certes, on peut concevoir des politiques au niveau national et européen, mais c'est au niveau des territoires qu'elles sont mises en oeuvre.
La reconversion des zones charbonnières qu'a évoquée Mme Carole Grandjean est essentielle. La fin du charbon est souvent vue comme une catastrophe par les populations de ces régions, mais si le projet de reconversion est de qualité, elle peut alors devenir une opportunité. L'enjeu est le même s'agissant de la reconversion des centrales nucléaires, qui peuvent devenir des territoires exemplaires en matière de production et de consommation d'électricité, sans oublier l'innovation et les emplois induits par le démantèlement des centrales elles-mêmes.
L'efficacité des transmissions, soulevée par M. Alexandre Holroyd, est un vaste sujet qui mériterait un rapport complémentaire. La question de la sécurité de l'approvisionnement est très importante. Elle implique la sécurité des réseaux électriques, des réseaux de partage du gaz qui, je le rappelle, vient principalement de Russie, et donc in fine le développement des énergies renouvelables. Une énergie produite sur place est la meilleure réponse possible à la dépendance énergétique, avec évidemment la réduction de la consommation.
Pour répondre à Mme Nicole Le Peih, il faut mettre en oeuvre concrètement l'Accord de Paris et donc jouer sur les deux tableaux : réduire les émissions de gaz à effet de serre et faciliter tous les mécanismes d'absorption de ces gaz.
Enfin, montrer dans tous les foyers la consommation d'électricité, notamment avec ces nouveaux compteurs intelligents, me semble aller dans le bon sens. Certes, ceux-ci suscitent beaucoup de défiance vis-à-vis de la protection des données ainsi recueillies. Il faut donc faire un travail de pédagogie, y compris ici à l'Assemblée nationale, pour expliquer les enjeux de cette transition énergétique et la nécessité des efforts que l'on doit faire, pour nous, mais aussi pour les générations futures.