Intervention de Agnès Buzyn

Séance en hémicycle du jeudi 1er février 2018 à 21h30
Euthanasie et suicide assisté pour une fin de vie digne — Présentation

Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé :

Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie d'aborder ce sujet aux enjeux médicaux et éthiques difficiles : l'euthanasie. Vous le dites très justement : « "Face à la mort, nous sommes tous égaux. " En revanche, nous sommes loin d'être égaux quant aux conditions dans lesquelles nous mourrons. »

C'est en partant de cette considération forte que la loi Claeys-Leonetti a été adoptée au début de 2016, après près d'un an de débats parlementaires et des travaux participatifs organisés pendant deux ans. Chacun a pu faire entendre sa voix : associations, professionnels de santé, grandes familles religieuses. Sur un tel sujet, intime, complexe, les avis sont toujours divers ; légiférer sur la fin de vie est une responsabilité d'autant plus grande.

La loi Claeys-Leonetti renforce incontestablement les droits des patients. De l'avis de tous, elle clarifie les conditions de l'arrêt des traitements, au titre du refus de l'obstination déraisonnable. C'est une avancée permettant de ne pas s'acharner à soigner et d'accompagner de manière apaisée la fin de vie. La loi affirme un nouveau droit du patient, afin de lui éviter toute souffrance et de préserver sa dignité : celui de bénéficier de la sédation profonde et continue jusqu'au décès lorsque le pronostic vital est engagé à court terme et qu'il n'y a plus d'espoir. Surtout, elle renverse la logique de décision et place le patient au coeur du processus décisionnel, pour qu'il soit pleinement acteur des décisions qui le concernent, en rendant ses directives anticipées contraignantes pour le médecin.

Néanmoins, cette loi, en tant que telle, ne suffit évidemment pas. C'est pourquoi la mise en oeuvre d'un plan national 2015-2018 pour le développement des soins palliatifs et l'accompagnement en fin de vie vient la renforcer. Ce plan doit contribuer à mieux informer le patient, afin qu'il soit au coeur des décisions qui le concernent, et à renforcer la formation des professionnels, la recherche et la diffusion des connaissances sur les soins palliatifs. Il doit aussi développer les prises en charge en proximité, en favorisant les soins palliatifs à domicile, y compris pour les résidents en établissements sociaux et médico-sociaux. Enfin, ce plan doit garantir l'accès aux soins palliatifs pour tous, pour en réduire l'inégalité d'accès. J'ai à coeur, comme vous, que santé rime avec solidarité.

Cette loi a fait le choix d'un certain équilibre et, je le sais, ne va pas assez loin pour certains, mais votre proposition de loi m'interpelle. Vous souhaitez ouvrir la possibilité de l'euthanasie ou du suicide assisté en cas d'affection grave ou incurable. Vous faites donc un choix : celui de l'euthanasie ou du suicide assisté, y compris lorsque la maladie est grave, même si elle est curable. À mes yeux, rompre avec le critère d'incurabilité, c'est prendre le risque d'ouvrir la voie à une euthanasie arbitraire. Or les débats parfois virulents entre pro-euthanasie et pro-vie m'obligent, en tant que ministre, à souscrire à l'exigence, à « l'intransigeance exténuante de la mesure » dont parlait Camus.

Plus largement, je ne souhaite pas insulter l'avenir : le débat sur le sujet des droits des malades et des personnes en fin de vie est toujours légitime et utile. Vous le savez, à l'évidence, notre recul vis-à-vis de la loi Claeys-Leonetti est insuffisant. Pour nous donner le recul nécessaire, je ne souhaite pas qu'une nouvelle loi interfère avec la mission d'évaluation de la mise en oeuvre de la loi Claeys-Leonetti de 2016, conduite actuellement par l'inspection générale des affaires sociale. Cette évaluation concerne en particulier la formation des professionnels de santé, la mise en oeuvre des directives anticipées, la désignation des personnes de confiance, l'accès aux soins palliatifs sur l'ensemble du territoire et l'encadrement de la mise en place de la sédation profonde en établissements sanitaires, en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes – EHPAD – ou à domicile. Les résultats de cette évaluation me seront utiles pour préparer l'adoption d'un nouvel ensemble de mesures visant à développer les soins palliatifs et l'accompagnement de la fin de vie, à l'issue de l'actuel plan et pour les trois prochaines années. L'État devra garder intacte sa mobilisation pour créer les conditions d'un accès effectif, quelles que soient les circonstances, à l'ensemble des soins palliatifs.

Par ailleurs, vous le savez aussi, les travaux de révision de la loi relative à la bioéthique en vigueur, celle du 7 juillet 2011, viennent d'être lancés. Conformément aux dispositions prévues, ces travaux s'ouvrent avec la tenue d'états généraux, à l'initiative du Comité consultatif national d'éthique. À cette occasion, je le sais, le sujet de la fin de vie sera de nouveau débattu. Certains voudront aller plus loin ; d'autres aussi, probablement, revenir en arrière ; d'autres encore, prendre le temps de faire vivre la loi de 2016.

Mesdames et messieurs les députés, le rapport Sicard de 2012, votre proposition de loi le rappelle, souligne les sentiments d'abandon, de solitude ou d'indifférence ressentis par de nombreux patients et leur peur de l'acharnement thérapeutique. C'est, par-là même, reconnaître le droit des patients à faire un libre choix. Le serment d'Hippocrate, que certains d'entre nous, ici, ont prêté, l'affirme bien : « Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. » Les Français partagent cette exigence éthique, le rapport Sicard le souligne.

En tant que ministre et en tant que médecin, je me dois d'éviter deux écueils : l'irrésolution et l'impréparation. Pour nous préparer, prenons le temps de la réflexion, d'autant que le sujet de la mort est un sujet politiquement grave, qui engage la société tout entière. Comme le philosophe de la mort, Jankélévitch, le disait magistralement : « La mort n'est pas un objet comme les autres : c'est un objet qui, étranglant l'être pensant, met fin et coupe court à l'exercice de la pensée. La mort se retourne contre la conscience de mourir ! » Veillons tous ensemble, quelles que soient nos divergences politiques, à laisser vivre, avec la patience de la réflexion, l'exercice démocratique de la pensée !

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