Intervention de Alexis Corbière

Séance en hémicycle du jeudi 1er février 2018 à 21h30
Euthanasie et suicide assisté pour une fin de vie digne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexis Corbière :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, chers collègues, dans notre pays, la France, où les droits de l'homme ont été proclamés le 26 août 1789, la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté, si nous le décidions, pourraient représenter, je le crois, 229 ans plus tard, une nouvelle étape de l'émancipation humaine, un nouveau droit pour chaque citoyen. Nous pourrions, si nous en décidions, forger le nouveau maillon d'une longue chaîne d'émancipation qui n'est pas achevée. C'est cela que nous vous proposons et dont nous voulons débattre.

Un long fil symbolique relie les grands actes de la Révolution à notre proposition, je vais m'en expliquer. Je pense notamment au droit au mariage civil et au droit au divorce, rendus possibles par la loi du 20 septembre 1792. Je ne m'écarte guère de notre sujet en rappelant qu'à un moment parmi les plus difficiles de l'histoire de notre pays, le jour même de la victoire de Valmy, l'Assemblée nationale adopte un décret « qui détermine le mode de constater l'état civil des citoyens ». Vous le voyez, il y a toujours eu la volonté, même dans les moments difficiles, de s'interroger sur les grandes étapes de l'existence humaine. En 1792, la naissance, le mariage et le droit à la séparation étaient soustraits aux mains des institutions religieuses, laïcisés, si vous me permettez le mot ; c'est par le prisme de la liberté de conscience, en permettant à chacun de juger de sa propre existence, que ces grands moments intimes de l'existence étaient abordés, codifiés, introduits dans la loi. Nous devons continuer cette conquête de droits nouveaux dans ces grands moments que sont non seulement la naissance et le mariage, mais aussi la mort. La légalisation du droit à l'avortement, en 1975, s'est également inscrite dans cette logique de liberté à disposer de soi-même, en rendant les femmes entièrement maîtresses de leur corps. Enfin, en 2013, la loi du mariage pour tous a permis à chacun de se marier.

Pourquoi évoquer toutes ces lois ? Parce que tous ces moments forts ont évidemment été l'occasion de débats, parfois de confrontation avec ceux de nos concitoyens qui ont des convictions spirituelles et religieuses. J'affirme à cette tribune que je les respecte profondément. Je ne reproche en raison à certains de nos concitoyens d'aborder ces questions graves, notamment le rapport à la mort, en fonction de leurs convictions intimes, notamment religieuses. Face à la mort, les croyants savent quoi faire, et c'est une force – la foi est une énergie, sans aucun doute, pour traverser les moments les plus difficiles de l'existence. Mais, dans notre pays, il y a aussi un grand nombre de nos concitoyens qui ne sont pas croyants et souhaitent aborder ces moments difficiles sans la boussole des grandes religions monothéistes qui considèrent que nous devons en toutes circonstances, quoi qu'il arrive, défendre la vie. Il y donc, dans notre pays, des citoyens qui ne sont pas croyants et n'abordent pas ces moments importants, intimes, avec le regard des grandes religions. C'est pourquoi nous vous proposons une grande loi de liberté, qui est aussi un grand acte de fraternité. Nous voulons désormais envisager cette question à la lumière de cette ultime liberté : celle de pouvoir décider soi-même d'éteindre la lumière.

Si je parle à la tribune, ce soir, pour défendre devant vous la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté, c'est parce que de nombreux citoyens sont désormais favorables dans notre pays à cette proposition. Des études existent, des sondages ont été réalisés : 89 % des Français interrogés y étaient favorables, nous annonçait Le quotidien La Croix au mois de janvier ; un autre sondage a évoqué le chiffre de 78 %. De nombreuses associations se sont emparées de cette question, dont l'ADMD, présidée par Jean-Luc Romero, très engagé sur le sujet – il n'est pas le seul. Plusieurs propositions de loi allant dans ce sens ont été déposées, dont une, en 2009, présentée par Yves Cochet, Martine Billard, Noël Mamère et François de Rugy, aujourd'hui président de l'Assemblée nationale. Enfin, plusieurs pays à travers le monde, notamment la Belgique et le Canada, ont déjà entériné ce droit.

Il s'agit avant tout d'une grande question philosophique – vous avez employé le mot « éthique », madame la ministre, et vous avez eu raison, car c'est presque la même chose. Il ne s'agit pas d'un débat de médecins, même s'ils doivent être entendus. De la même façon que l'école n'appartient pas aux enseignants, cette affaire n'appartient pas au corps médical. Celui-ci doit évidemment nous éclairer de ses connaissances mais c'est avant tout à chaque citoyen, en fonction du regard philosophique qu'il porte sur l'existence en général et sur la sienne propre qu'il convient d'aborder cette question.

Je reconnais que le débat n'est pas simple, y compris entre nous. C'est pourquoi je souhaite que nous puissions l'aborder, au sein de nos groupes. Il touche en effet à des sujets très forts, qui soulèvent de nombreuses interrogations. Si nous souhaitons que ce débat s'engage, c'est, je le répète, parce qu'il s'agit d'une grande question philosophique. L'État, en refusant, dans le cadre législatif actuel, à un patient le droit de mourir dignement, bafoue le libre arbitre de celui-ci. Le respect de la liberté de chacun exige que l'État entérine ce droit nouveau, tout en l'encadrant dans ses modalités afin de permettre au patient de choisir et d'accomplir sa fin dans des conditions optimales.

Cette proposition est une loi de liberté. Elle prévoit des dispositions pour hiérarchiser les modes d'expression de la volonté du patient, directement tout d'abord, puis par des directives anticipées, enfin par l'intermédiaire d'une personne de confiance. La possibilité de décider de ce que l'on veut pour soi-même, si l'on tombe gravement malade et que l'on souffre sans espoir de guérison, grandit l'homme. Elle n'est d'ailleurs en rien une obligation. Moi-même, qui défends cette proposition de loi, j'ignore ce que je ferais si j'étais confronté à ce choix. Peut-être, voulant profiter de mes proches durant les derniers souffles de ma vie, irais-je jusqu'au bout, en dépit de la souffrance.

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