Intervention de Boris Vallaud

Séance en hémicycle du jeudi 1er février 2018 à 21h30
Euthanasie et suicide assisté pour une fin de vie digne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBoris Vallaud :

Monsieur le président, madame la ministre, Madame la rapporteure, mes chers collègues, chaque drame médiatisé est l'occasion d'un débat public passionné, mais ce n'est là que la partie émergée d'un iceberg de détresse plaçant quotidiennement familles, personnels soignants et malades eux-mêmes devant des décisions difficiles, parfois équivoques et le plus souvent tragiques, qu'il s'agisse de franchir, dans la clandestinité et le silence d'un service, le pas de l'euthanasie, ou de faire le choix inverse alors que le patient demande avec insistance un geste libérateur.

Ces difficiles et douloureux débats ne se résument pas à dire le bien et le mal, le juste et l'injuste. Rien n'y est d'une rationalité évidente – ni d'ailleurs radicalement neuf : Francis Bacon déjà, en 1605, suggérait que l'office du médecin n'était « pas seulement de rétablir la santé mais aussi d'adoucir les douleurs et les souffrances attachées aux maladies ; et cela non seulement en tant que cet adoucissement de la douleur, considérée comme un symptôme périlleux, contribue et conduit à la convalescence, mais encore afin de procurer au malade, lorsqu'il n'y a plus d'espérance, une mort douce et paisible ».

Cette définition de ce que l'on appelait alors la « bonne mort » précède le terme d'euthanasie et désigne à l'époque, au regard de la définition qu'on leur donne aujourd'hui, les soins palliatifs. Ce n'est qu'à la fin du XIXe siècle que le terme prend son acception moderne et livre ses deux pendants : l'euthanasie active et l'euthanasie passive. Entre les deux, il y a bien souvent la conscience des familles, des médecins, des juges aussi dont la jurisprudence tantôt condamne, tantôt relaxe. Et puis il y a l'opinion publique, partagée sur cette question, chacun d'entre nous se demandant : « Et si c'était moi ? »

La question n'est pas simple et il serait hasardeux de la réduire à un combat entre progressistes et conservateurs. Nous aurions tort de tomber dans la caricature et la facilité consistant à politiser à l'excès ce débat. Les extraordinaires progrès de la médecine, l'emprise des sciences et des techniques placent chaque jour les médecins, les patients et les familles devant des choix difficiles et nouveaux.

Depuis plusieurs années le législateur a engagé un travail important d'adaptation de notre droit. La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie a légalisé la possibilité d'arrêter l'acharnement thérapeutique. Sous la XIVe législature, la loi du 2 février 2016 a créé de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. La loi Claeys-Leonetti pose le principe selon lequel toute personne a le droit à une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. Cette loi de progrès tend au développement des soins palliatifs sur l'ensemble du territoire. Elle ouvre un droit à la sédation profonde et continue. Elle renforce le statut des directives anticipées et précise la mission de la personne de confiance.

Nous le voyons, la société et le législateur travaillent depuis des années sur cette question d'un droit, le droit de choisir, qui suppose lucidité, connaissance et demandes réitérées. Tous les choix, s'ils peuvent être faits de cette manière, sont dignes, que l'on choisisse d'avoir recours – ou pas – à ces pratiques. La dignité n'est pas dans telles ou telles conditions de décès ; elle est dans la possibilité offerte à chacune et chacun de choisir. Ce qui est indigne, c'est de ne pas pouvoir choisir.

C'est la raison pour laquelle cette question est intrinsèquement liée au devoir de la société d'accompagner le malade au moyen des soins palliatifs. Il existe incontestablement, et avant toute autre chose, un droit à vivre dans la dignité, engageant notre responsabilité sociale et morale. On ne saurait traiter de la question de l'euthanasie sans la lier indéfectiblement à celle des soins palliatifs. Or la mise en oeuvre effective de ces soins souffre d'inégalités géographiques et entre services, et d'une culture, en la matière, encore insuffisamment partagée, conduisant à des prises en charge défaillantes.

Un rapport récent de l'inspection générale des affaires sociales – l'IGAS – , publié en janvier 2017, a mis en évidence que le risque « d'une absence ou d'une insuffisance de soins palliatifs existe [… ] pour plus de 75 % des personnes » en ayant besoin, soit environ 300 000 personnes par an. C'est considérable et c'est inacceptable. Lors de son audition par Mme la rapporteure, Jean-Luc Romero a indiqué que 48 % des lits en unités de soins palliatifs étaient concentrés dans la région Île-de-France, où vit 18 % de la population française.

Le développement des soins palliatifs doit être une priorité de santé publique, parce qu'ils sont la condition sine qua non pour que les malades puissent bien vivre. La possibilité de recevoir, mais aussi de refuser des soins palliatifs, c'est la possibilité d'un exercice complet par le malade de ses droits et de sa liberté de choisir. Lier euthanasie et soins palliatifs, c'est aussi évacuer l'argument consistant à réduire l'euthanasie à un contournement des soins palliatifs.

Par ailleurs, la nécessité de légiférer en matière d'euthanasie et de suicide assisté doit également être examinée au regard des pratiques existant dans notre pays. D'après une étude de l'Institut national d'études démographiques – l'INED – de 2012, entre 2 000 et 4 000 personnes en phase terminale reçoivent une aide active à mourir chaque année en France. Vous indiquez, madame la rapporteure, que « Jean-Luc Romero a rappelé, lors de son audition, qu'on estime aujourd'hui à environ 4 000 le nombre d'euthanasies clandestines pratiquées chaque année en catimini dans les hôpitaux français, et que les quatre cinquièmes d'entre elles n'étaient pas demandées par les personnes concernées ».

L'absence d'encadrement légal, on le voit bien, expose à toutes les dérives. Nous savons aussi que de nombreuses Françaises et de nombreux Français se rendent dans les pays dans lesquels l'euthanasie ou le suicide assisté sont autorisés.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui est inspirée des lois belges et luxembourgeoises. Elle légalise l'euthanasie et le suicide assisté, à condition d'en respecter les procédures, pour les personnes atteintes d'une affection grave ou incurable, et dépénalise la participation des médecins à une euthanasie ou à un suicide assisté. Ce débat mérite d'être conduit – et je remercie ceux qui en ont été à l'origine de nous permettre de l'avoir ce soir – pour que puissent advenir un nouveau droit et une nouvelle liberté – car il y a, derrière la question de l'euthanasie, c'est-à-dire de la volonté individuelle la plus pure, une autre question, tout aussi fondamentale : celle du sens que nous voulons donner à la liberté. Oui, cette liberté ultime mérite la considération, le respect et la protection de la société. « Le désir d'avoir sa mort à soi devient de plus en plus rare. Quelque temps encore, et il deviendra aussi rare qu'une vie personnelle », écrivait Rainer Maria Rilke. Votre proposition de loi, d'une certaine manière, vise à créer un droit nouveau : celui d'avoir une mort à soi.

Sur les questions touchant à la vie et à la mort, le groupe Nouvelle Gauche pratique la liberté de vote, ces choix relevant de la conscience de chacun. Cependant, une majorité de notre groupe est favorable à la création d'un nouveau droit de choisir sa fin de vie. Cette liberté doit bien sûr être encadrée par des conditions strictes pour éviter des dérives. Le choix personnel de sa mort doit pouvoir se faire dans le respect de toutes les consciences. Pour ma part et au nom du groupe Nouvelle Gauche, je voterai, si j'en ai la possibilité, pour l'adoption de cette proposition de loi.

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