Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui Mme Valérie Liang-Champrenault, chef du bureau Multicom 2, et M. Romain Chambre, chef du bureau Multicom 3, accompagnés de Mme Muriel Lacoue-Labarthe, sous-directrice chargée de la politique commerciale et des investissements à la Direction générale du Trésor (DGT).
Cette audition inaugure un cycle d'auditions techniques visant à mieux appréhender le rôle des différentes administrations de l'État en matière de politique industrielle et, plus spécifiquement, en matière de contrôle des investissements étrangers. Nous avons décidé de la scinder en deux parties distinctes.
La première partie, ouverte au public, doit permettre à notre commission d'enquête de comprendre la mise en oeuvre effective par l'administration d'une compétence définie par le législateur. Ces explications ne sauraient évidemment être données à huis clos, car elles relèvent du devoir d'information, non seulement de la représentation nationale mais aussi de nos concitoyens, qui incombe aux administrations s'agissant d'une compétence dévolue par la loi au ministre de l'économie. Il ne s'agit pas d'entrer dans le détail de telle ou telle opération d'investissement en France ; le régime d'autorisation préalable est par lui-même au coeur des travaux d'investigation de notre commission d'enquête, qui porte sur « les décisions de l'État en matière de politique industrielle au regard des fusions d'entreprises ».
En revanche, la seconde partie de l'audition se déroulera à huis clos, à la demande du ministre de l'économie. Il nous a en effet semblé pertinent que certains de nos échanges concernant plus précisément des entreprises ou des personnes avec lesquelles vos bureaux ont été en contact au titre de leurs compétences respectives puissent se dérouler dans un cadre confidentiel. Le huis clos permettra aux représentants du ministère de l'économie de ne pas avoir d'états d'âme quant au respect d'un éventuel secret des affaires. Celui-ci, je le rappelle, n'a pas, à ce jour, de valeur législative – même si une directive européenne, qui n'est pas encore applicable, lui donne un début de définition – et ne saurait donc exonérer l'administration de son devoir de rendre compte à la représentation nationale. Certains points peuvent néanmoins relever du secret de la défense qui est, quant à lui, consacré par la loi.
Les articles L. 151-1, L. 151-2 et L. 151-3 du code monétaire et financier, tout en rappelant le principe de la liberté d'investissement des étrangers en France, créent, dans certains domaines, au nom de la défense des intérêts nationaux, un régime d'autorisation préalable confié au ministre de l'économie. Le dispositif législatif permet ainsi à ce dernier d'autoriser ou de refuser un investissement, d'assortir, le cas échéant, sa réalisation de conditions et, enfin, de sanctionner toute méconnaissance de ce régime, qu'il s'agisse de l'absence de demande d'autorisation ou de non-respect des conditions dont est assortie l'autorisation.
Madame Valérie Liang-Champrenault, votre bureau Multicom 2 est chargé, au sein de la Direction générale du Trésor, de la mise en oeuvre de ce régime d'autorisation préalable. Je vous demanderai donc de revenir rapidement sur les évolutions réglementaires intervenues avec les décrets dits « Villepin » puis « Montebourg ». Vous nous présenterez également votre bureau, les moyens dont il dispose, et vous nous expliquerez son positionnement dans l'organigramme du ministère de l'économie, notamment ses relations avec la Direction générale des entreprises (DGE) et avec le Service de l'information stratégique et de la sécurité économique (SISSE).
Vous nous décrirez très concrètement le cas type d'une opération d'investissement. Comment instruisez-vous les demandes, notamment au regard de l'impératif de défense des intérêts nationaux ? Quelle procédure d'instruction interministérielle avez-vous mis en place ?
Comment le dialogue avec l'investisseur est-il organisé ? Quels sont vos interlocuteurs ? Comment et à quel moment de ce dialogue introduisez-vous d'éventuelles conditions à l'investissement et sous quelle forme finale se présente le rapport que vous remettez au ministre pour lui permettre de prendre sa décision ?
Vous nous préciserez également les conditions dont le ministre peut, au titre de l'article L. 151-3 du code monétaire et financier, assortir son autorisation. Le décret du 14 mai 2014 prévoit la cession d'une partie de l'activité de l'entreprise rachetée. Le droit vous permet-il de poser d'autres conditions que celle-ci ? Par ailleurs, puisque la loi prévoit un régime de sanction en cas de manquement à ces conditions, quel suivi et quel contrôle effectuez-vous pour vous assurer de leur respect ?
Vous voudrez bien éclairer également notre commission d'enquête sur un volet statistique : combien de dossiers sont-ils instruits chaque année par votre bureau au titre des demandes d'autorisation d'investissements étrangers ?
Le ministre Bruno Le Maire a déclaré avoir refusé beaucoup de projets d'investissement émanant notamment d'entreprises chinoises. Quel est le nombre d'autorisations refusées chaque année et combien sont accordées sous conditions ?
Monsieur Romain Chambre, votre bureau Multicom 3 est quant à lui chargé de la lutte contre la criminalité financière et des sanctions internationales. Nous souhaiterions donc que vous fassiez le point sur les questions d'extraterritorialité et les sanctions prononcées par des pays tiers contre nos entreprises industrielles. Nous faisons notamment le constat d'une surreprésentation des entreprises européennes parmi les entreprises visées par les amendes prononcées par le Department of justice (DoJ) américain au titre de sa politique de lutte contre la corruption.
Comment votre bureau suit-il ces affaires et celles qui relèvent du Bribery Act britannique ? Est-il organisé pour identifier, voire anticiper, et suivre le déroulement de ces procédures lorsqu'elles concernent des entreprises françaises ? Je rappelle qu'avant l'amende de 800 millions de dollars infligée à Alstom, BNP-Paribas avait été condamnée à une amende de 9 milliards.
Nous souhaiterions également que vous indiquiez à la commission d'enquête quelle administration veille, et veillait, à l'application de la loi du 16 juillet 1968, dite « loi de blocage », qui est censée interdire la transmission de tout document et de tout renseignement d'ordre économique et financier à des autorités étrangères. Cette loi est-elle opérante dans le cadre des relations avec le DoJ des États-Unis d'Amérique ou des conventions internationales imposent-elles un autre dispositif ?
Mais auparavant, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander, mesdames, monsieur, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.