Intervention de Valérie Liang-Champrenault

Réunion du mercredi 24 janvier 2018 à 17h35
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Valérie Liang-Champrenault, cheffe du bureau Multicom 2 « Investissements et règles dans le commerce international » de la Direction générale du Trésor :

Il a en effet été créé à une époque où je n'étais pas née… Mais il a beaucoup évolué depuis et, entre-temps, le traité a consacré la liberté de circulation des capitaux. Sachez que la France n'est pas le seul pays de l'Union européenne à avoir adopté un tel dispositif de contrôle, puisque treize États membres appliquent une réglementation analogue – peut-être évoquerons-nous ultérieurement le projet de règlement européen.

Le champ d'application de la procédure est défini par trois critères d'éligibilité cumulatifs. Ces critères sont les suivants : la nationalité de l'investisseur – nous parlons bien ici du détenteur ultime, celui qui se situe au bout de la chaîne –, la nature de l'opération – il doit s'agir d'une prise de contrôle : les investissements dits « greenfield » ne sont pas concernés – et l'activité de l'entreprise française cible. La nature de la cible définit en effet l'éligibilité de l'opération, d'où l'extrême sensibilité des dossiers que nous traitons et l'impossibilité dans laquelle nous nous trouvons de communiquer publiquement l'identité des entreprises concernées. De fait, dire qu'une entreprise est « sous IEF » (investissement étranger en France), c'est donner une information qui intéresse certainement de nombreuses personnes.

S'agissant du premier critère, l'origine de l'investisseur, il convient de préciser que les investisseurs originaires de pays tiers, d'une part, et ceux qui sont originaires de l'Union européenne et de l'espace économique européen, d'autre part, sont soumis à un traitement différent. Cette différenciation a été établie pour répondre à une exigence de la Commission européenne. Il est vrai qu'on peut considérer que l'analyse du risque est moindre ou, du moins, doit être différente si l'investisseur est allemand ou portugais. En tout état de cause, la réglementation française est parfaitement carrée, et conforme au droit européen ; elle a été validée par la Commission. Tel n'a pas toujours été le cas puisque cette réglementation a fait l'objet d'une procédure de plusieurs années qui s'est achevée en 2011-2012.

En ce qui concerne le deuxième critère, la prise de contrôle est définie à l'article L. 233-3 du code de commerce : elle ne consiste pas seulement dans une montée au capital de l'entreprise cible, elle doit également donner la capacité d'exercer un droit de contrôle sur cette entreprise. Autrement dit, soit l'investisseur étranger rachète une entreprise française en totalité, soit il la rachète en partie, auquel cas il doit exercer un contrôle effectif. Autre élément que nous prenons en considération, l'acquisition de tout ou partie d'une branche d'activité d'une entreprise dont le siège social est en France : le rachat d'un produit pharmaceutique, par exemple, peut donc déterminer l'éligibilité de l'opération au titre de la prise de contrôle. Troisième et dernier élément : le franchissement du seuil de 33,33 % du capital ou des droits de vote de l'entreprise cible, mais cette condition ne s'applique pas aux investisseurs qui proviennent de l'espace économique européen.

En résumé, pour les investisseurs originaires de pays tiers hors Union européenne, nous étudions ces trois conditions et, si l'une d'elle est remplie, la case est cochée, nous considérons qu'il y a prise de contrôle. Pour les investisseurs de l'Union européenne, nous n'étudions que les deux premières : celui de la prise de contrôle au sens de l'article L. 233-3 et celui de l'acquisition de tout ou partie d'une branche d'activité.

J'en viens au troisième critère, celui de la nature de l'activité concernée. Dans le cadre de notre analyse du risque, nous devons prouver que cette activité, si l'entreprise était rachetée par un investisseur étranger, serait de nature à porter atteinte à l'ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale. Par ailleurs, la partie réglementaire du code monétaire et financier comporte une liste de douze items, étendue par le décret de 2014. Mais, là encore, nous distinguons entre les investisseurs hors Union européenne et les investisseurs européens : le cas des premiers est examiné à l'aune de ces douze items, alors que nous n'en prenons en considération que cinq pour étudier celui des seconds. Autrement dit, nous sommes moins regardants, en matière d'analyse de risque, lorsqu'il s'agit d'un investisseur européen.

Comment instruisons-nous les demandes d'autorisation ? La première étape correspond à la réception par la DG Trésor d'une demande d'autorisation préalable – obligatoire, sous peine de sanctions – ou d'une demande de rescrit, semblable à ce qui existe dans le domaine fiscal. C'est un service que nous offrons aux investisseurs étrangers, qui peuvent saisir l'administration française pour lui demander si leur investissement est soumis ou non à autorisation préalable. Celle-ci doit être délivrée dans les deux mois à compter du dépôt d'un dossier complet, dont la composition est précisée par un arrêté. Tout cela est extrêmement transparent et bien connu des investisseurs sur la place française. Mon bureau est, du reste, régulièrement sollicité pour un avis, un conseil ou une explication.

Au terme du délai de deux mois, l'absence de réponse formelle du ministre de l'économie vaut autorisation. Toutefois, nous répondons toujours, aux demandes d'autorisation comme aux demandes de rescrit. Dans ce dernier cas, bien que les textes précisent qu'une absence de réponse de notre part dans le délai de deux mois ne dispense pas l'investisseur de déposer une demande d'autorisation, la DG Trésor répond toujours aux demandes de rescrit : nous considérons que c'est un service que nous devons aux investisseurs.

La deuxième étape est celle de l'instruction des demandes, sachant que l'instruction de premier niveau est la même pour une demande d'autorisation et pour un rescrit. Il s'agit en effet, dans les deux cas, de déterminer l'éligibilité de l'opération au regard de la législation française. Cette éligibilité n'ayant pas de caractère automatique, ce travail d'analyse préalable est nécessaire, mais la DG Trésor ne le fait pas seule : il s'agit d'une procédure interministérielle, qu'elle pilote pour le compte du ministre de l'économie.

Lorsque nous recevons une demande, celle-ci est transmise aux ministères a priori concernés par l'opération ou associés de façon plus systématique à l'examen du dossier. De nombreuses administrations font partie de la sphère des ministères que nous contactons. Outre le ministère des armées, bien sûr, il peut s'agir du ministère de la santé, de celui de la transition écologique et solidaire, du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), qui est chargé de la protection du secret-défense, ou de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI)… Ces différentes administrations sont consultées en fonction de l'activité de l'entreprise cible.

Si l'analyse aboutit à la conclusion que l'opération n'est pas éligible, nous en informons alors formellement, par écrit, l'entreprise qu'elle est « hors champ », comme nous disons dans notre jargon, et l'opération se poursuit sans que nous ayons à en connaître. Si nous concluons que l'opération est éligible, deux cas se présentent : ou bien nous sommes dans le cadre d'un rescrit, et nous en informons l'entreprise en lui indiquant qu'elle doit passer à la phase de demande d'autorisation ; ou bien nous sommes dans le cadre d'une demande d'autorisation préalable, auquel cas nous passons à la suite de la procédure avec nos collègues des administrations et ministères concernés.

Trois options sont alors possibles, qui correspondent aux trois outils dont dispose le ministre dans le cadre de cette procédure : celui-ci peut délivrer une autorisation simple – qui prend la forme d'une lettre adressée à l'investisseur ou à son conseil –, une autorisation sous conditions ou un refus, signifiés également par courrier. Vous avez évoqué, monsieur le président, l'hypothèse dans laquelle le ministre autoriserait l'opération à condition qu'une partie de l'activité de l'entreprise rachetée soit cédée ; cette option est également prévue par les textes, mais les procédures les plus courantes sont celles que je viens de décrire.

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