Intervention de Günther Oettinger

Réunion du jeudi 1er février 2018 à 10h40
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Günther Oettinger, commissaire européen au budget et aux ressources humaines :

Madame la présidente, monsieur le président, je vous remercie infiniment pour l'occasion qui m'est donnée de rencontrer deux commissions très importantes de l'Assemblée nationale française. Vos interventions liminaires ont abordé les principaux sujets qui me tiennent à coeur.

Le cadre budgétaire pluriannuel de l'Union européenne pour la prochaine décennie est en cours de préparation. Le premier cadre financier pluriannuel a été adopté en 1988, sous l'impulsion de Jacques Delors. Nous élaborons le sixième cadre, qui portera sur sept années, de 2021 à 2027.

Le premier grand investissement que nous avons eu à mener et qui se poursuit est la politique agricole commune (PAC). Nous soutenons le marché intérieur de l'alimentation et des produis issus de l'agriculture, et veillons à garantir la quantité et la qualité de notre alimentation. La politique agricole et alimentaire est intégralement communautarisée. Autre pilier majeur : avec l'élargissement de l'Union au cours des dernières décennies, la politique de cohésion a également été élevée au rang des priorités. Il faut que la compétitivité et la puissance économique des nouveaux États membres s'approchent progressivement du niveau des pays les plus développés comme la France. Le produit intérieur brut par habitant de la Bulgarie reste très différent de celui du Luxembourg. Pour diverses raisons, nous devons réussir à consolider la santé économique de ces nouveaux États membres ; c'est une mission essentielle qui a pris encore plus de relief dans le cadre financier actuel. Le cofinancement des infrastructures transfrontalières, notamment, y occupe une place de premier plan, qu'il s'agisse des réseaux ferroviaires ou routiers, des infrastructures de transport de gaz et d'électricité, des terminaux de gaz de pétrole liquéfié ou encore des installations de stockage. Les secteurs des transports, de l'énergie et des infrastructures numériques occupent également une place importante dans le budget européen.

Si l'Europe et la France ne veulent pas se trouver prises en étau entre la Silicon Valley et le Pentagone d'un côté, et la stratégie « Made in China 2025 » de l'autre, nous devons être innovants en matière d'ingénierie, de recherche, de révolution numérique. Pour survivre, nous devons investir davantage dans la recherche et le développement ainsi que dans la qualification des ressources humaines européennes ; c'est l'objet du programme Horizon 2020. L'objectif est que l'Europe consacre 3 % de son PIB à la recherche et au développement, c'est-à-dire 450 milliards d'euros ; actuellement, elle n'y consacre que 2 % du PIB, soit 300 milliards. Le cadre européen de la recherche ne porte que sur un montant de 12 milliards. Nous devons élaborer des projets européens de recherche auxquelles participeraient nos meilleures universités – Grenoble, Lyon, Paris, Budapest, Delft, Innsbruck, Munich – en s'appuyant aussi sur les moyens d'entreprises industrielles comme Schneider Electric, Philips, Bosch et autres. Ce n'est qu'en déployant des efforts financiers communs que nous pourrons espérer résister face à Google et aux autres entreprises similaires. Pour cela, nous avons fixé quatre priorités à l'horizon 2020 : l'agriculture, l'espace rural, la cohésion et la connectivité des territoires européens. Ces quatre piliers conserveront toute leur importance au cours de la décennie à venir.

Vous avez également abordé la question des effectifs de la fonction publique européenne, monsieur le président. À l'heure actuelle, la Commission européenne compte 32 000 fonctionnaires, dont la plupart se trouvent à Bruxelles et les autres sont répartis entre Luxembourg, Strasbourg, Paris et les différents sièges des agences européennes. Au cours des cinq dernières années, nous avons réduit ces effectifs de 1 % par an. Nos fonctionnaires sont chargés de l'exécution des programmes que je viens d'évoquer et d'éviter les abus et la corruption. Ils sont surtout responsables du respect des traités européens. La direction générale de la concurrence, par exemple, assure le respect des règles de concurrence équitable dans l'intérêt des citoyens européens et vérifie les atteintes éventuelles à ces règles commises par des acteurs du marché intérieur ou par des acteurs extérieurs.

La Commission doit présenter le cadre financier pluriannuel en mai. Je me rends d'ici là dans toutes les capitales européennes – je serai demain à Budapest – et je souhaite vivement prendre connaissance de vos attentes. Plutôt que de vous faire de grandes annonces, je souhaite que vous, parlements et gouvernements nationaux, m'indiquiez ce que vous attendez. Le budget européen n'est pas le mien ; c'est notre budget, et celui de 440 millions d'Européens dans l'Union à vingt-sept. Il ne doit pas être élaboré contre vous, mais avec vous.

Le cadre budgétaire comporte deux lacunes, et il est important de ne pas recourir à l'endettement pour les combler. L'Europe est en effet le seul échelon qui ne permet pas l'endettement. Les États et les collectivités locales peuvent s'endetter et le font ; l'Union n'en a pas le droit. Autrement dit, tout euro investi doit correspondre à un euro de recette, pour un budget global de l'ordre de 150 milliards.

Première lacune : aux missions existantes s'ajoutent de nouvelles missions, qui n'étaient pas prévisibles lors de l'élaboration du cadre financier pluriannuel précédent – migrations, terrorisme, contrôle des frontières. Sans doute faudra-t-il par exemple envisager, dans le cadre de l'Union de défense, des investissements dans la recherche et l'industrie de défense. Seconde lacune : lorsque les Britanniques nous auront quittés, nous accuserons, à l'issue d'une période de transition, un manque à gagner structurel de 12 à 14 milliards de recettes annuelles. En clair, le budget souffrira d'un amoindrissement de ses recettes et d'une multiplication des missions à financer.

Mon objectif est de combler le manque à gagner lié au Brexit en m'engageant, dans le budget actuel, à en financer la moitié par des économies, l'autre moitié devant provenir de contributions supplémentaires des États membres qui seront affectées aux nouvelles missions, par exemple des appels d'offres portant sur des systèmes d'armement, dans l'intérêt des États membres. Chaque euro consacré au budget européen en matière de défense contribuera à l'objectif du seuil de 2 % du PIB que chaque État membre appartenant à l'OTAN est censé consacrer au financement de cette organisation. S'agissant de ces moyens supplémentaires, 80 % devront être apportés par des recettes supplémentaires tandis que les 20 % restants seront liés à des économies ou à des redistributions internes.

Lors de l'examen du budget, votre Parlement doit s'appuyer sur une majorité démocratique ; c'est aussi le cas au Parlement européen. Au Conseil, en revanche, je dois obtenir l'unanimité des vingt-sept ministres des finances, des affaires européennes et étrangères, des vingt-sept chefs d'État et de gouvernement et des vingt-sept parlements nationaux en faveur du budget ; c'est loin d'être simple. Les attentes des uns et des autres diffèrent profondément selon qu'il s'agit de M. Macron, de Mme Merkel ou de M. Orban, des riverains de la Méditerranée ou de la Baltique, des États de l'Ouest ou de l'Est, des membres nouveaux ou anciens, des petits ou des grands pays, des contributeurs nets ou des bénéficiaires nets. Cinq cents millions d'Européens, ce sont autant d'intérêts différents. C'est pourquoi je vous demande d'aborder l'élaboration du budget européen avec souplesse, en vous tenant prêts à accepter des compromis. Faites part de vos attentes, mais soyez conscients que certaines de vos propositions pourront ne pas me paraître optimales – sans quoi nous ne pourrons pas parvenir à une décision démocratique à l'unanimité.

Nous procédons actuellement à un examen des dépenses afin d'envisager dans quels domaines nous pouvons moderniser et simplifier nos programmes. Nous avons plus de flexibilité que jamais pour redistribuer les moyens entre programmes et chapitres, ou entre exercices budgétaires, pour répondre aux nouveaux défis et investir des moyens financiers de manière réactive. J'ai pris l'engagement ferme que chaque euro consacré à chaque projet à programme soit examiné en fonction de la valeur ajoutée européenne qu'il représente. Ce n'est que dans la mesure où le budget européen apporte une valeur ajoutée européenne que le transfert de fonds de Paris à Bruxelles – afin qu'ils soient réinvestis – prend son sens. Sans valeur ajoutée, il ne se justifie pas.

Je conclurai par deux remarques. Le cadre financier actuel prévoit un plafond : nous avons souhaité que nos dépenses correspondent environ à 1 % du revenu brut européen. Tout citoyen, qu'il soit de Paris, de Lyon ou de Munich, qui perçoit 100 euros pour son activité intellectuelle ou manuelle, en reverse 50 via les différents impôts, taxes et autres cotisations aux pouvoirs publics. Sur ces 50 euros de fiscalité directe et indirecte, 1 euro part à Bruxelles ; les 49 euros restants demeurent dans l'État d'origine pour financer le service public et la protection sociale. Avec le Brexit et les nouvelles dépenses qui nous attendent, je ne demande certes pas 2 % du revenu brut, mais disons 1,1 %, voire 1,2 % au maximum.

C'est ce qui nous permettra d'arriver à un financement honnête et sérieux des missions importantes de l'Union européenne. Je suis prêt à y revenir à la faveur de vos questions, si vous le souhaitez.

Le cadre financier pluriannuel comportera quatre grandes orientations : une Europe économiquement forte et compétitive ; la solidarité européenne ; la sécurité intérieure et extérieure ; le développement durable, la lutte contre le changement climatique et la préservation de l'environnement, dans l'intérêt des générations futures.

La volatilité du budget a une raison simple : certains programmes sont stables, comme les dépenses de personnel, qui représentent environ 6 % du total, quand d'autres, tels que la politique de cohésion, correspondent d'abord à des engagements et ensuite à des paiements. Nous ne maîtrisons pas le moment où une ligne ferroviaire est planifiée, puis construite, et où elle fait donc l'objet de paiements. Les dépenses sont stables sur sept ans, mais il y a des années où nous n'avons pas besoin de certains fonds, et d'autres où nous recevons tellement de factures que des crédits supplémentaires s'imposent. Les prélèvements peuvent donc être plus ou moins élevés selon les années. Sur l'ensemble des sept ans, néanmoins, on s'en tient exactement aux plafonds prévus.

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