La commission des finances entend, en audition conjointe avec la commission des affaires européennes, M. Günther Oettinger, commissaire européen au budget et aux ressources humaines
Monsieur le commissaire, sehr geehrter Herr Günther Oettinger, herzlich willkommen bei uns, je vous souhaite la bienvenue ; nous sommes heureux de vous accueillir à l'occasion de cette audition conjointe de la commission des affaires européennes et de la commission des finances. Il nous semblait important, en ce début d'année 2018, de vous entendre au sujet des enjeux du prochain cadre financier pluriannuel (CFP) européen. L'année 2018 sera riche en discussions sur les perspectives financières de l'Union européenne, dans un contexte particulier.
Tout d'abord, le Brexit pose la question des conséquences que la Commission européenne entend tirer du départ de l'un de ses membres, qui est aussi l'un des principaux contributeurs au budget européen. D'autre part, les élections européennes constitueront un rendez-vous important pour réaffirmer le sens et la direction que nous voulons donner au projet européen. Il nous faut collectivement répondre aux questions suivantes : que voulons-nous faire ensemble ? Que sommes-nous prêts à donner pour cela ? L'Union européenne doit répondre à des enjeux majeurs comme la défense, la sécurité, la politique migratoire, les innovations de rupture. Comment financer notre action dans ces domaines stratégiques ? À cet égard, le bureau de la commission des affaires européennes a décidé de créer un groupe de travail consacré au prochain cadre financier pluriannuel.
Quelles sont, monsieur le commissaire, les grandes étapes de la négociation budgétaire ? Pouvez-vous dès à présent nous indiquer les grandes orientations de la proposition de la Commission européenne pour le prochain cadre financier pluriannuel ? Quelles seront les politiques européennes prioritaires pendant les sept prochaines années, et les moyens qui leur seront associés ? Par ailleurs, le groupe de haut niveau sur les ressources propres, présidé par M. Mario Monti, a rendu son rapport qui contient de nombreuses propositions concernant les ressources propres de l'Union européenne. Quel accueil la Commission européenne a-t-elle réservé à ces travaux ? Trouveront-ils un écho dans le prochain cadre financier pluriannuel ?
Je me félicite à mon tour, madame la présidente, que nous soyons parvenus à auditionner conjointement M. le commissaire européen, que je remercie de sa présence. L'intérêt de la commission des finances pour ce sujet est évident : chaque année, nous examinons le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne dans le cadre du projet de loi de finances. Cette année, il atteindra 20 milliards d'euros ; c'est une somme extrêmement significative, supérieure au montant de la plupart des grands postes budgétaires de l'État – le travail, la sécurité ou encore la justice, par exemple. En retour, il va de soi que la participation de la France à l'Union européenne est fondamentale.
Reste qu'il est difficile d'appréhender le montant de la contribution de la France, car il évolue sans qu'on sache toujours pourquoi. Sa baisse est souvent assimilée à une bonne surprise : je ne sais si c'est le cas pour l'Europe mais c'est à l'évidence une bonne surprise pour les finances publiques de la France, qui peut ainsi améliorer ses résultats et afficher des déficits un peu moins mauvais que les niveaux anticipés. Or, ces bénéfices que l'État engrange sans effort sont difficiles à comprendre. Avez-vous, monsieur le commissaire, une vision claire de ce que pourrait être le prélèvement sur recettes de la France dans les années qui viennent ? Est-il susceptible d'évoluer ? En effet, nous avons d'innombrables projets communs mais le cadre budgétaire européen a toujours été soumis à de nombreuses contraintes, à la fois en volume mais aussi pour ce qui concerne les politiques financées. Quelle appréciation portez-vous sur le budget de l'Europe ? Quelle pourrait être son évolution sur fond de Brexit et de disparition de la contribution britannique, même minorée, et sachant que l'Union européenne sera sans doute confrontée à de nouveaux défis ?
Votre portefeuille couvre également la fonction publique européenne et les ressources humaines de l'Union. La France est un grand pays de fonctionnaires et a bien du mal à maîtriser les effectifs importants de sa propre fonction publique. Vous avez réduit ceux de la fonction publique européenne, puisque les institutions européennes étaient tenues de diminuer leurs effectifs de 5 % par an en moyenne entre 2013 et 2017. Y êtes-vous réellement parvenu et cet objectif sera-t-il poursuivi ? En clair, quel regard portez-vous sur la technocratie européenne, qui fait souvent l'objet de nombreuses questions en France comme dans d'autres pays ?
Madame la présidente, monsieur le président, je vous remercie infiniment pour l'occasion qui m'est donnée de rencontrer deux commissions très importantes de l'Assemblée nationale française. Vos interventions liminaires ont abordé les principaux sujets qui me tiennent à coeur.
Le cadre budgétaire pluriannuel de l'Union européenne pour la prochaine décennie est en cours de préparation. Le premier cadre financier pluriannuel a été adopté en 1988, sous l'impulsion de Jacques Delors. Nous élaborons le sixième cadre, qui portera sur sept années, de 2021 à 2027.
Le premier grand investissement que nous avons eu à mener et qui se poursuit est la politique agricole commune (PAC). Nous soutenons le marché intérieur de l'alimentation et des produis issus de l'agriculture, et veillons à garantir la quantité et la qualité de notre alimentation. La politique agricole et alimentaire est intégralement communautarisée. Autre pilier majeur : avec l'élargissement de l'Union au cours des dernières décennies, la politique de cohésion a également été élevée au rang des priorités. Il faut que la compétitivité et la puissance économique des nouveaux États membres s'approchent progressivement du niveau des pays les plus développés comme la France. Le produit intérieur brut par habitant de la Bulgarie reste très différent de celui du Luxembourg. Pour diverses raisons, nous devons réussir à consolider la santé économique de ces nouveaux États membres ; c'est une mission essentielle qui a pris encore plus de relief dans le cadre financier actuel. Le cofinancement des infrastructures transfrontalières, notamment, y occupe une place de premier plan, qu'il s'agisse des réseaux ferroviaires ou routiers, des infrastructures de transport de gaz et d'électricité, des terminaux de gaz de pétrole liquéfié ou encore des installations de stockage. Les secteurs des transports, de l'énergie et des infrastructures numériques occupent également une place importante dans le budget européen.
Si l'Europe et la France ne veulent pas se trouver prises en étau entre la Silicon Valley et le Pentagone d'un côté, et la stratégie « Made in China 2025 » de l'autre, nous devons être innovants en matière d'ingénierie, de recherche, de révolution numérique. Pour survivre, nous devons investir davantage dans la recherche et le développement ainsi que dans la qualification des ressources humaines européennes ; c'est l'objet du programme Horizon 2020. L'objectif est que l'Europe consacre 3 % de son PIB à la recherche et au développement, c'est-à-dire 450 milliards d'euros ; actuellement, elle n'y consacre que 2 % du PIB, soit 300 milliards. Le cadre européen de la recherche ne porte que sur un montant de 12 milliards. Nous devons élaborer des projets européens de recherche auxquelles participeraient nos meilleures universités – Grenoble, Lyon, Paris, Budapest, Delft, Innsbruck, Munich – en s'appuyant aussi sur les moyens d'entreprises industrielles comme Schneider Electric, Philips, Bosch et autres. Ce n'est qu'en déployant des efforts financiers communs que nous pourrons espérer résister face à Google et aux autres entreprises similaires. Pour cela, nous avons fixé quatre priorités à l'horizon 2020 : l'agriculture, l'espace rural, la cohésion et la connectivité des territoires européens. Ces quatre piliers conserveront toute leur importance au cours de la décennie à venir.
Vous avez également abordé la question des effectifs de la fonction publique européenne, monsieur le président. À l'heure actuelle, la Commission européenne compte 32 000 fonctionnaires, dont la plupart se trouvent à Bruxelles et les autres sont répartis entre Luxembourg, Strasbourg, Paris et les différents sièges des agences européennes. Au cours des cinq dernières années, nous avons réduit ces effectifs de 1 % par an. Nos fonctionnaires sont chargés de l'exécution des programmes que je viens d'évoquer et d'éviter les abus et la corruption. Ils sont surtout responsables du respect des traités européens. La direction générale de la concurrence, par exemple, assure le respect des règles de concurrence équitable dans l'intérêt des citoyens européens et vérifie les atteintes éventuelles à ces règles commises par des acteurs du marché intérieur ou par des acteurs extérieurs.
La Commission doit présenter le cadre financier pluriannuel en mai. Je me rends d'ici là dans toutes les capitales européennes – je serai demain à Budapest – et je souhaite vivement prendre connaissance de vos attentes. Plutôt que de vous faire de grandes annonces, je souhaite que vous, parlements et gouvernements nationaux, m'indiquiez ce que vous attendez. Le budget européen n'est pas le mien ; c'est notre budget, et celui de 440 millions d'Européens dans l'Union à vingt-sept. Il ne doit pas être élaboré contre vous, mais avec vous.
Le cadre budgétaire comporte deux lacunes, et il est important de ne pas recourir à l'endettement pour les combler. L'Europe est en effet le seul échelon qui ne permet pas l'endettement. Les États et les collectivités locales peuvent s'endetter et le font ; l'Union n'en a pas le droit. Autrement dit, tout euro investi doit correspondre à un euro de recette, pour un budget global de l'ordre de 150 milliards.
Première lacune : aux missions existantes s'ajoutent de nouvelles missions, qui n'étaient pas prévisibles lors de l'élaboration du cadre financier pluriannuel précédent – migrations, terrorisme, contrôle des frontières. Sans doute faudra-t-il par exemple envisager, dans le cadre de l'Union de défense, des investissements dans la recherche et l'industrie de défense. Seconde lacune : lorsque les Britanniques nous auront quittés, nous accuserons, à l'issue d'une période de transition, un manque à gagner structurel de 12 à 14 milliards de recettes annuelles. En clair, le budget souffrira d'un amoindrissement de ses recettes et d'une multiplication des missions à financer.
Mon objectif est de combler le manque à gagner lié au Brexit en m'engageant, dans le budget actuel, à en financer la moitié par des économies, l'autre moitié devant provenir de contributions supplémentaires des États membres qui seront affectées aux nouvelles missions, par exemple des appels d'offres portant sur des systèmes d'armement, dans l'intérêt des États membres. Chaque euro consacré au budget européen en matière de défense contribuera à l'objectif du seuil de 2 % du PIB que chaque État membre appartenant à l'OTAN est censé consacrer au financement de cette organisation. S'agissant de ces moyens supplémentaires, 80 % devront être apportés par des recettes supplémentaires tandis que les 20 % restants seront liés à des économies ou à des redistributions internes.
Lors de l'examen du budget, votre Parlement doit s'appuyer sur une majorité démocratique ; c'est aussi le cas au Parlement européen. Au Conseil, en revanche, je dois obtenir l'unanimité des vingt-sept ministres des finances, des affaires européennes et étrangères, des vingt-sept chefs d'État et de gouvernement et des vingt-sept parlements nationaux en faveur du budget ; c'est loin d'être simple. Les attentes des uns et des autres diffèrent profondément selon qu'il s'agit de M. Macron, de Mme Merkel ou de M. Orban, des riverains de la Méditerranée ou de la Baltique, des États de l'Ouest ou de l'Est, des membres nouveaux ou anciens, des petits ou des grands pays, des contributeurs nets ou des bénéficiaires nets. Cinq cents millions d'Européens, ce sont autant d'intérêts différents. C'est pourquoi je vous demande d'aborder l'élaboration du budget européen avec souplesse, en vous tenant prêts à accepter des compromis. Faites part de vos attentes, mais soyez conscients que certaines de vos propositions pourront ne pas me paraître optimales – sans quoi nous ne pourrons pas parvenir à une décision démocratique à l'unanimité.
Nous procédons actuellement à un examen des dépenses afin d'envisager dans quels domaines nous pouvons moderniser et simplifier nos programmes. Nous avons plus de flexibilité que jamais pour redistribuer les moyens entre programmes et chapitres, ou entre exercices budgétaires, pour répondre aux nouveaux défis et investir des moyens financiers de manière réactive. J'ai pris l'engagement ferme que chaque euro consacré à chaque projet à programme soit examiné en fonction de la valeur ajoutée européenne qu'il représente. Ce n'est que dans la mesure où le budget européen apporte une valeur ajoutée européenne que le transfert de fonds de Paris à Bruxelles – afin qu'ils soient réinvestis – prend son sens. Sans valeur ajoutée, il ne se justifie pas.
Je conclurai par deux remarques. Le cadre financier actuel prévoit un plafond : nous avons souhaité que nos dépenses correspondent environ à 1 % du revenu brut européen. Tout citoyen, qu'il soit de Paris, de Lyon ou de Munich, qui perçoit 100 euros pour son activité intellectuelle ou manuelle, en reverse 50 via les différents impôts, taxes et autres cotisations aux pouvoirs publics. Sur ces 50 euros de fiscalité directe et indirecte, 1 euro part à Bruxelles ; les 49 euros restants demeurent dans l'État d'origine pour financer le service public et la protection sociale. Avec le Brexit et les nouvelles dépenses qui nous attendent, je ne demande certes pas 2 % du revenu brut, mais disons 1,1 %, voire 1,2 % au maximum.
C'est ce qui nous permettra d'arriver à un financement honnête et sérieux des missions importantes de l'Union européenne. Je suis prêt à y revenir à la faveur de vos questions, si vous le souhaitez.
Le cadre financier pluriannuel comportera quatre grandes orientations : une Europe économiquement forte et compétitive ; la solidarité européenne ; la sécurité intérieure et extérieure ; le développement durable, la lutte contre le changement climatique et la préservation de l'environnement, dans l'intérêt des générations futures.
La volatilité du budget a une raison simple : certains programmes sont stables, comme les dépenses de personnel, qui représentent environ 6 % du total, quand d'autres, tels que la politique de cohésion, correspondent d'abord à des engagements et ensuite à des paiements. Nous ne maîtrisons pas le moment où une ligne ferroviaire est planifiée, puis construite, et où elle fait donc l'objet de paiements. Les dépenses sont stables sur sept ans, mais il y a des années où nous n'avons pas besoin de certains fonds, et d'autres où nous recevons tellement de factures que des crédits supplémentaires s'imposent. Les prélèvements peuvent donc être plus ou moins élevés selon les années. Sur l'ensemble des sept ans, néanmoins, on s'en tient exactement aux plafonds prévus.
Rapporteur spécial pour les affaires européennes. Je voudrais citer votre Tweet du 25 janvier dernier à Davos : « Money is not everything, but without it you can do nothing ». Vous l'avez dit à l'instant : sur 100 euros gagnés par un citoyen européen, 50 sont reversés en moyenne sous la forme d'impôts et de cotisations sociales, dont un seul euro pour financer le budget de l'Union européenne, soit moins que le prix d'une tasse de café par jour.
Les Européens financent un budget qui permet de traiter tout un éventail de questions dépassant les frontières nationales et nécessitant une réponse européenne ou internationale. Ce budget est néanmoins considéré comme un jeu à somme nulle : certains donnent et d'autres reçoivent, mais chacun veut contribuer le moins possible et voir les autres payer un maximum. Comme Alain Lamassoure l'a dit, nous ne pouvons prétendre faire une politique mondiale avec des pourboires.
Pouvez-vous nous rassurer quant au fait que le Royaume-Uni tiendra tous ses engagements dans le cadre de l'actuel cadre financier pluriannuel ? Les Britanniques continueront-ils à payer leur cotisation au budget de l'Union européenne en 2020, malgré le Brexit ?
S'agissant de la France, j'aimerais avoir des précisions sur les enjeux budgétaires du prochain cadre financier pluriannuel, qui couvrira la période 2021-2027. Le prélèvement sur recettes que nous versons chaque année est d'une vingtaine de milliards en moyenne. Selon les données que j'ai pu recueillir dans le cadre de mes travaux, on pourrait atteindre 30 milliards à l'horizon 2025, dans le scénario le plus défavorable à la France – celui dans lequel les rabais existants seraient maintenus et les politiques de cohésion renforcées. Quelle sera la position de la Commission européenne sur les rabais dont bénéficient les Pays-Bas, la Suède, l'Autriche et le Danemark ou sur le taux d'appel réduit de TVA qui s'applique notamment en Allemagne ? Quelle sera par ailleurs la position de la Commission sur les politiques de cohésion ? Elles sont certes indispensables et se trouvent au coeur du projet européen, il est normal que les régions les plus riches aident au développement des moins riches – c'est le principe de la solidarité européenne –, mais pour éviter l'envolée de la contribution nette des grands États tels que la France, ne pourrait-on pas envisager de réorienter une partie plus importante des fonds structurels vers des territoires touchés par les effets de la mondialisation ou encore, et j'insiste sur ce point en tant que député frontalier, vers des territoires pâtissant de la forte attractivité d'un État voisin ?
Enfin, je m'interroge sur le mécanisme de réévaluation systématique du budget, chaque année, en fonction d'une inflation théorique et non de l'inflation réelle. Ne pourrait-on pas en rediscuter dans le cadre de la négociation du prochain cadre financier pluriannuel ?
Les premières réflexions sur le budget pluriannuel débutent. Dans un texte intéressant qui a été mis en ligne en juin dernier, vous avez rappelé que les prochains budgets européens devront prendre en compte des changements profonds, le plus important étant, bien sûr, le Brexit, et que dans le même temps nous devrons financer de nouvelles compétences, telles que la défense et la sécurité intérieure. Un fonds européen de la défense a ainsi été lancé en juin 2017, afin de stimuler toute l'industrie européenne. Il s'agit d'un effort important, dont tout le monde ici connaît les montants – 500 millions dans un premier temps, puis 1 milliard, et enfin jusqu'à 5 milliards.
Dans le texte auquel je fais référence, vous démontrez que l'écart entre les recettes et les dépenses creusera un trou dont vous venez de nous dire qu'il pourrait s'élever à près de 20 milliards. Au moment où nous souhaitons faire plus et mieux ensemble, le budget de l'Union doit refléter les ambitions communes, notamment celles qui sont nouvelles. Or, si de nombreux États membres demandent davantage à l'Union, ils veulent aussi réduire leur contribution, ce qui n'est plus possible comme logique. On ne peut pas blâmer l'Union alors qu'elle n'a pas les moyens d'exercer toutes ses compétences. C'est une question à laquelle nous devons réfléchir collectivement.
Le cas de la défense est assez représentatif. Après des années de tergiversations et de stagnation, les États membres semblent enfin décidés à agir ensemble. Le fonds européen de la défense constitue un premier pas en avant, qui est important. Au-delà du signal politique, la logique « faire plus ensemble » aura des conséquences positives concrètes sur le plan budgétaire. Vous avez en effet estimé que l'on pourrait économiser chaque année 25 milliards, voire davantage, en se coordonnant, en achetant de façon groupée et en évitant des doublons.
Alors que des questions cruciales vont se poser, notamment en ce qui concerne le financement de la défense, la politique agricole commune, domaine dans lequel notre pays attend beaucoup, et le départ des Britanniques, le budget européen devra être à la mesure des ambitions. Pouvez-vous nous éclairer sur l'impact budgétaire de la prise en compte croissante de la défense comme thématique européenne dans les années à venir ? À titre personnel, je crois que cela permettra de donner du sens en montrant à l'opinion publique que l'Europe se met en marche pour défendre nos valeurs et nos territoires.
Je voudrais vous interroger sur une priorité du futur cadre financier pluriannuel : nous sommes confrontés, et la Commission européenne en est très consciente, à des enjeux de plus en plus massifs en matière de contrôle des migrations, de contrôle aux frontières et de relocalisation des migrants. Sur ce dernier point, il y a des différences très fortes dans les perceptions, les comportements et la générosité des États membres, c'est le moins que l'on puisse dire. Certains sont très exposés, soit parce que ce sont des pays de destination privilégiés pour les migrants, comme l'Allemagne, soit parce qu'il s'agit de pays de premier accueil, comme l'Italie ou Malte.
Ne devrait-on pas donner une priorité importante, et même assez massive, à l'accompagnement financier des mouvements migratoires dans le futur cadre financier pluriannuel, et pas seulement en matière d'aide au contrôle et à la surveillance des frontières ou d'examen des demandes d'asile, avec les différentes agences européennes concernées, mais aussi d'intégration et de formation – linguistique, professionnelle et civique – pour les réfugiés politiques ou climatiques et les migrants économiques ? Ce serait un effort très intéressant : les plus vertueux et les plus exposés bénéficieraient davantage de la solidarité européenne. Cela constituerait une réponse non pas punitive, mais incitative pour un certain nombre de pays qui traînent les pieds devant les efforts à réaliser.
On se heurte néanmoins au problème, que vous avez évoqué, de l'unanimité requise pour les dépenses : certains pays, qui ne seraient pas favorisés, pourraient bloquer. Ce principe de l'unanimité est profondément pervers, car il conduit mécaniquement à une conception thatchérienne du type « I want my money back », de « juste retour », ou plutôt de retour injuste et total. Si le budget de l'Union européenne est conçu de telle manière que l'on donne la même chose que ce que l'on reçoit, cela n'a pas beaucoup d'intérêt. Pensez-vous que des évolutions sont possibles, par la création d'un budget annexe ou bien par une évolution institutionnelle, afin de lever cet obstacle qui est un effet pervers de l'institutionnalisation, par les traités, des perspectives financières en cadre financier pluriannuel ? C'est un enjeu politique et institutionnel à traiter de manière dialectique.
Aucun d'entre nous ne sous-estime la difficulté de trouver un accord entre tous les États membres sur le budget. Votre tâche sera compliquée, même si vous avez des pistes de réflexion que vous venez de présenter.
Vous avez formulé une équation comportant 50 % d'économies et 50 % de nouveaux financements pour pallier le retrait du Royaume-Uni. À quoi ces économies, représentant environ 6 ou 7 milliards sur un budget de 158 milliards par an, pourraient-elles correspondre ? Vous avez également évoqué un accroissement des ressources propres, notamment grâce au système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre ou à la taxation sur le plastique et les synthétiques. Pouvez-vous chiffrer ce que cela pourrait représenter ? Par ailleurs, avez-vous d'autres idées en tête ?
Le prochain cadre financier pluriannuel couvrira sept ans, durée pendant laquelle de nombreux événements peuvent se produire – il suffit de se reporter au début des années 2010 pour s'en convaincre… S'il y a une leçon à tirer du dernier CFP, c'est qu'il faut envisager plus de conditionnalité en cas de changements politiques profonds. Que pensez-vous de l'idée d'une conditionnalité des aides, notamment les fonds structurels, en cas de non-respect de certaines valeurs européennes, notamment l'indépendance du pouvoir judiciaire ?
Vous êtes aussi en charge des ressources humaines au sein de la Commission. Dans ce domaine, le Président de la République a fait de la parité une grande cause nationale pour ce quinquennat. D'ici à 2019, vous devez faire en sorte que 40 % des hauts fonctionnaires européens soient des femmes. Où en êtes-vous et quelles méthodes utilisez-vous ?
Quand vous évoquez 50 % d'économies sur les politiques actuelles, si j'ai bien compris, cela représente évidemment des sommes considérables. Comment faire ? Et quid de la politique agricole commune ? Pouvez-vous préciser ce que vous vouliez dire ?
Les Britanniques ont contribué de manière très constructive à l'élaboration du budget pour 2018 et ils le respectent. En ce qui concerne le budget pour 2019 que nous sommes en train de préparer, nous nous attendons à ce que les Britanniques respectent aussi leurs engagements, y compris après leur sortie de l'Union européenne, en mars 2019. Il ne devrait pas y avoir, a priori, de problèmes particuliers : le Brexit ne devrait pas avoir d'impact. Telle que la situation se présente aujourd'hui, nous nous attendons également à une approche constructive de nos partenaires britanniques quant au budget pour 2020. Arrive ensuite la phase du cadre financier pluriannuel suivant.
Les engagements sont pris à 28 et les paiements correspondants doivent aussi être financés par les 28, c'est-à-dire également par le Royaume-Uni : c'est ainsi que nous voyons la question. Les négociations, dont votre compatriote Michel Barnier a été chargé, se déroulent bien : les Britanniques acceptent dans une large mesure la structure du calcul que nous leur présentons et qui est très complexe. Je donnerai deux exemples. Depuis l'adhésion des Britanniques, dans les années 1970, de nombreux fonctionnaires ont travaillé pour l'Europe : certains sont partis à la retraite et d'autres feront de même un jour ou l'autre. La contribution finale du Royaume-Uni pour les droits à pension acquis entre les années 1970 et 2019 fait partie du calcul de la facture, que les Britanniques pourront payer par acomptes annuels au cours des cinq prochaines décennies ou bien globalement. L'Europe a par ailleurs acquis de nombreux bâtiments à Bruxelles, Luxembourg, Paris, Moscou ou Washington dont les Britanniques sont copropriétaires. C'est comme pour un club de golf : quand on s'en va, on n'emporte pas sa part des briques du club-house que l'on a contribué à construire… D'ici à Pâques, nous devrions avoir un accord sur la contribution financière globale de nos amis britanniques, ce qui est essentiel pour parler de la suite, qu'il s'agisse des règles régissant les échanges commerciaux ou d'autres sujets.
J'en viens à la contribution française, c'est-à-dire pour l'essentiel le prélèvement sur recettes et la part de TVA versée à l'Union européenne. J'ai parlé tout à l'heure d'un passage de 1 à 1,1 ou 1,2 % du revenu national brut, au maximum : le prélèvement français ne serait donc pas porté de 20 à 30 milliards. Avec les 6 ou 7 milliards qui manqueront du fait du Brexit, compte tenu des économies envisagées par ailleurs, et les 6 ou 7 milliards d'euros de plus pour les nouvelles missions de l'Union européenne, on arrive à un total de 10 ou 15 milliards à trouver. Cela devrait signifier moins de 3 milliards supplémentaires au titre de la contribution française.
Comment réaliser les économies nécessaires ? Nous devons examiner l'ensemble des programmes en cours sans qu'aucun d'entre eux n'ait la garantie de bénéficier des mêmes crédits que lorsque l'Union comptait vingt-huit États membres : le Brexit doit avoir des conséquences. Les nouvelles missions ne peuvent pas simplement être financées en sus des missions actuelles. Je ne souhaite pas réduire le programme Erasmus +, consacré aux jeunes générations européennes. Je ne veux pas non plus couper les ailes du programme Horizon 2020 et post-2020, qui vise à soutenir notre capacité d'innovation, ni réaliser des coupes claires dans la PAC ou la politique de cohésion. Mais si nous ne faisons pas d'économies, je ne pourrai pas atteindre mes objectifs globaux en la matière. Certains États membres aimeraient que le budget européen permette de faire beaucoup plus, d'autres luttent âprement pour le maintien du plafond de 1 %. Si je veux obtenir l'unanimité, il me faudra donc convaincre les premiers d'accepter des réductions et persuader les seconds de la nécessité de disposer de nouveaux moyens pour financer de nouvelles activités.
Vous avez évoqué le taux d'inflation retenu pour le calcul. Soyons francs, il s'est avéré qu'une adaptation annuelle de ce taux rendrait les choses encore plus complexes qu'elles ne le sont. En revanche, si nous retenions un taux forfaitaire théorique – correspondant à l'objectif, considéré comme raisonnable au plan macroéconomique, de la Banque centrale européenne –, le calcul sur sept ans serait largement simplifié. C'est la raison pour laquelle je continuerai de plaider pour un taux d'inflation forfaitaire mais, si celui-ci n'est pas accepté, il faudra envisager de discuter d'autres formules.
La défense est un sujet passionnant. Il faut partir du principe que nous, Européens, devons faire davantage pour notre sécurité intérieure et extérieure – et, en la matière, la France fait déjà beaucoup plus que mon pays d'origine, l'Allemagne. En effet, « America first », cela signifie que l'on ne peut pas s'en remettre aussi facilement que par le passé aux capacités de nos amis américains. L'Europe doit donc développer davantage ses propres forces. Or, tant que nous aurons vingt-huit budgets de la défense et tant que les appels d'offres seront lancés par vingt-huit pays différents, nous ne pourrons pas faire de réelles économies. Dans le domaine de la défense, les Européens dépensent deux fois moins que les Américains, mais ils n'ont que 15 % de leur efficacité. En effet, une plus grande normalisation et des appels d'offres beaucoup plus importants pour l'approvisionnement, les pièces de rechange, la maintenance ou les équipements permettent aux États-Unis d'investir de manière beaucoup plus efficace. Nous devons donc veiller à réunir nos ressources. Ainsi, il ne saurait y avoir dix drones européens : nous ne devons en concevoir qu'un, ensemble. Que ce soit dans le domaine de la défense antichar, des armes de poing ou de la logistique des armées, adopter des concepts communs nous permettra de faire des économies.
L'Europe ne peut jouer qu'un rôle de modérateur et d'animateur mais, sans moyens, ce rôle est réduit à néant. 500 millions pour la recherche, 1 milliard pour l'industrie, auquel les États membres ajouteraient quatre autres milliards : avec ces 5 milliards, nous pourrions aborder le marché. 1 milliard ne nous permettra pas d'aller très loin, mais ce montant sera conforté d'année en année. Si nous voulons que ce projet soit une réussite, 1 milliard par an, ce n'est pas durablement suffisant. Certains États membres craignent que ces crédits ne servent qu'aux industries de défense allemande, française ou italienne. Mais les Bulgares achètent déjà leurs équipements militaires là où se trouvent les industries de défense !
Nous devons donc encore convaincre un certain nombre de personnes, mais il nous faut saisir l'occasion qui se présente, car elle est unique. Les Britanniques, faut-il le rappeler, étaient contre. Or, en 1954, la Communauté européenne de défense était, après la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) et la politique agricole commune, la troisième grande idée européenne. Elle n'a pas été acceptée, à l'époque. Je crois qu'aujourd'hui, le moment est venu.
En matière de politique migratoire, nous avons très nettement renforcé notre direction générale. Nous avons conseillé ceux des États membres qui sont le plus concernés et renforcé Frontex pour soutenir les forces nationales bulgares, grecques et italiennes. Grâce à la flexibilité, nous avons pu redistribuer des fonds pour venir en aide à des pays comme l'Italie. Ces moyens, nous voulons désormais les budgétiser et établir les dotations financières correspondantes. Les crédits alloués à cette politique seront en augmentation dans le prochain cadre financier pluriannuel. Peut-on cofinancer l'intégration, qui relève des communes, des autorités locales ? Est-il utile de disposer d'un instrument européen centralisé en la matière ? Je l'ignore. Mais, à Lyon ou à Bordeaux, la situation n'est pas la même qu'à Hambourg ; à Paris, elle est différente de ce qu'elle est dans les îles grecques. Il est donc possible qu'une entité centralisée renforce la charge bureaucratique et nuise à la flexibilité de la réaction des autorités locales en matière d'emploi ou d'intégration dans les écoles. Encore une fois, la situation est très différente d'une région d'Europe à l'autre, si bien qu'il paraît difficile d'envisager une solution unique commune.
Actuellement, le principal rabais qui affecte le budget est le rabais britannique. Notre prochaine proposition vise à supprimer tous les rabais. Y parviendrons-nous ? Cela dépendra largement du Conseil européen. En tout cas, nous souhaitons que, dans le prochain cadre financier pluriannuel, ces rabais soient nettement diminués, en particulier pour la politique de cohésion et le programme Connecting Europe. Nous voulons en effet renforcer nos capacités transfrontalières. Or, Interreg Europe et Connecting Europe Facility sont des moyens de promouvoir le développement des infrastructures, non seulement dans les centres, mais aussi aux frontières des États membres. Il convient donc de renforcer le rôle de ces instruments.
Bien des choses seraient plus simples si nous disposions d'un traité qui simplifie l'établissement d'un cadre financier. Mais, je suis réaliste, les traités ne seront pas modifiés avant le prochain cadre financier pluriannuel : une convention serait nécessaire, des référendums devraient être organisés dans plusieurs États, la Belgique compte sept parlements… Remettons donc la révision des traités à la décennie suivante et faisons-nous à l'idée que nous devons parvenir à un accord unanime sur ce cadre financier pluriannuel, au Conseil, au Parlement européen et dans les parlements nationaux.
En ce qui concerne l'aide au développement, le fonds fiduciaire, la coopération avec la Turquie, il faudra réorganiser les instruments, mais, à Strasbourg, vos collègues se défendent bec et ongles pour que les fonds n'échappent pas à leur contrôle. Ainsi, M. Arthuis, ancien ministre des finances français, est favorable à l'intégration de l'ensemble des fonds dans le budget européen pour que le Parlement européen en assume l'entière responsabilité.
Sur les fonds propres, le groupe de travail de Mario Monti a établi un rapport, que nous sommes en train d'examiner, et un débat d'orientation sera organisé à Bruxelles. Premier exemple, le système ETS (Emission Trading Scheme). La lutte contre le changement climatique est devenue une mission européenne. La Conférence de Paris – dont le succès est dû à l'animation habile du ministre des affaires étrangères français de l'époque – a abouti à une définition de l'évolution des émissions de CO2 à l'horizon 2030 et 2050. Selon notre système d'échange de quotas d'émission, l'industrie doit acheter des droits d'émission, négociés au sein d'une bourse au niveau européen, dont le montant total diminue chaque année de 3 % à 4 % afin que nous puissions atteindre nos objectifs de réduction des émissions de CO2 d'une manière qui soit compatible avec le marché. La législation est donc européenne, mais les fonds ne vont pas à l'Europe. Une réforme dans ce domaine serait une modification importante de la contribution de l'Europe au respect des engagements pris à Paris.
Deuxième exemple : la taxe sur les transactions financières. Est-elle réaliste ? Si elle l'est, elle fera l'objet d'une loi au niveau européen, faute de quoi nous resterions dans le domaine de l'illusion. Par ailleurs, le seigneuriage peut dégager des milliards.
Il ne s'agit pas tant d'obtenir davantage d'argent que de réduire la contribution des budgets nationaux. Lors de la création de l'Union à six, tout reposait essentiellement sur les droits de douane : au fur et à mesure des élargissements, les échanges soumis aux droits de douane ont contribué à financer le budget de l'Europe. Or, ces droits de douane ont disparu, et les accords financiers que nous avons conclus avec le Japon et le Mercosur vont contribuer à réduire encore leur part dans le budget. Il va donc nous falloir trouver de nouvelles sources de recettes fondées sur le droit européen. Ainsi, nous réfléchissons notamment à la création d'une taxe sur les plastiques, qui présenterait l'avantage de contribuer à leur élimination.
Enfin, parmi les fonctionnaires de la Commission européenne, on compte 40 % de femmes, mais elles ne sont pas suffisamment présentes dans le senior management et dans le management intermédiaire. Autrement dit, il faut accroître le nombre de femmes qui occupent des postes à hautes responsabilités : directeurs, chefs de service, directeurs généraux. Nous progressons : la part des femmes occupant des postes de direction est déjà passée de 30 % à 36 %, et nous voulons, d'ici à la fin de notre mandat, atteindre 40 %.
Monsieur le commissaire, je vous remercie de nous avoir exposé les orientations du prochain budget européen. Dans la perspective de l'établissement de ce prochain cadre financier, je souhaiterais vous interroger sur la réforme de la zone euro et la notion de solidarité budgétaire et financière entre États membres. Suite au « Brexit », qui entraîne un important manque à gagner, la Commission européenne et la France ont fait des propositions de réforme de la zone euro, qui consistent notamment à créer une aide aux réformes structurelles et un mécanisme de stabilisation qui permettrait d'attribuer rapidement une aide financière ad hoc aux États membres qui subiraient un choc asymétrique de grande ampleur. Pouvez-vous nous donner votre avis sur l'accueil réservé par la future coalition allemande à cette proposition de la Commission européenne au regard du renforcement de la position française en Europe ?
Étant chargé par la commission des affaires européennes d'un rapport d'information sur la transition énergétique au sein de l'Union européenne, je souhaiterais vous interroger sur les crédits européens alloués à cette politique afin de respecter les engagements pris lors de la COP21. Ces crédits représentent actuellement 20 % du budget annuel de l'Union, qui est d'environ 150 milliards d'euros. Dans de nombreux pays européens, on assiste à une augmentation des budgets alloués à la transition énergétique. La France, par exemple, y consacrera 5,5 milliards cette année. Ces efforts budgétaires sont louables, mais ils sont largement insuffisants dans une perspective d'accélération et d'amplification de la transition énergétique. Ainsi, selon les estimations de la fédération de l'industrie allemande, la décarbonisation quasi totale prévue pour 2050 nécessiterait un effort d'investissement de 2 300 milliards !
Vous avez évoqué la proposition d'attribuer au budget européen les recettes produites par le système d'échange de quotas d'émission. Dans la perspective du prochain cadre financier pluriannuel de l'Union, qui doit commencer en 2021, quelles sont les pistes budgétaires que vous privilégiez pour soutenir davantage les États membres dans ce domaine ?
Monsieur le commissaire, vous l'avez dit, le départ des Britanniques est un défi pour l'Europe, notamment au plan budgétaire. Il sera, me semble-t-il, nécessaire de trouver de nouvelles ressources propres pour pallier les effets de ce départ et, à terme, diminuer les contributions des États. Je souhaiterais savoir si vous envisagez une évolution de la structuration du budget, dont la programmation, actuellement sur sept ans, pourrait être ramenée à cinq ans de façon à coïncider avec le mandat du Parlement européen et de la Commission. De fait, même l'Union soviétique ne planifiait pas son budget sur sept ans… Une réflexion est-elle en cours sur l'organisation et la programmation du budget et, le cas échéant, quelles sont vos propositions en la matière ? Le départ des Britanniques est, certes, regrettable, mais il nous fournit l'occasion de développer une nouvelle approche du budget, qui est actuellement cadenassé et empêche de réagir aux crises, comme on l'a vu ces dernières années.
Monsieur le commissaire, je m'adresserai à vous en français, et non en schwäbisch. Je vous remercie d'avoir partagé avec nous votre enthousiasme d'Européen convaincu. Premièrement, quelle part des 1 087 milliards du dernier cadre financier le manque de financement lié au départ des Britanniques de l'Union européenne représente-t-il ? Deuxièmement, les dépenses de sécurité représentaient 1,6 % de ce dernier budget et les dépenses de défense 0 %. Un effort est nécessaire dans ces deux domaines, qui sont des éléments essentiels du projet européen. À ce propos, vous avez souvent employé le terme de « Aufgabe », qui se traduit en français par « tâche ». Ne serait-il pas plus pertinent de parler de Herausforderung, c'est-à-dire d'un défi ? Que peut représenter ce nouvel effort ? Pouvons-nous aller facilement au-delà de 5 % du budget européen ? Et, si oui, quels sont les plus farouches opposants à cette évolution ? Avons-nous une chance de voir le scénario 5, « Faire beaucoup plus ensemble », se réaliser ?
Conçu il y a plus trente ans, le rabais britannique a perdu sa raison d'être. Au fil du temps, il est devenu techniquement incompréhensible et inadapté. Il n'a dû sa survie qu'à la règle de l'unanimité qui prévaut en ce qui concerne les dispositions relatives au système des ressources propres de la Communauté.
Selon le rapport du groupe de haut niveau sur les ressources propres, dit « groupe Monti », « le problème du “juste retour” a transformé le budget européen en un jeu à somme nulle, au lieu de l'arrangement gagnant-gagnant que l'Union européenne aurait dû être ».
Le Brexit signe non seulement à la fin du mécanisme de correction appliqué à Londres, mais aussi celle des « rabais sur le rabais » y afférents, système qui permet à l'Allemagne, à l'Autriche, aux Pays-Bas et à la Suède de bénéficier de la correction britannique. Il en résulte que la France et l'Italie supportent à elles seules près de la moitié du total des sommes à rembourser à Londres. La sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne offre donc une occasion unique de revoir la manière dont cette dernière mesure ses coûts et bénéfices réels.
Êtes-vous favorable à l'abolition complète de tout mécanisme de correction lié au revenu, comme le propose le groupe Monti ? Si c'est le cas, partant du principe que l'équilibre entre les ressources propres doit éviter tout mécanisme de correction, quelles sont vos préconisations en cas de charge excessive causée par l'une ou l'autre ressource propre sur un État membre ?
En tant qu'Européenne convaincue, je me demande si la façon dont le budget européen est conçu sert vraiment les intérêts de l'Union dans son ensemble. On remarque en effet que, dès le 1er janvier de la première année, près des trois quarts des crédits sont déjà affectés aux États membres pour la totalité du cadre financier pluriannuel, ce qui empêche non seulement la flexibilité mais constitue aussi un obstacle au financement de dépenses collectives – je pense à la défense, à la protection des frontières ou à la protection civile. Peut-on envisager la réduction des enveloppes nationales pré-allouées afin de rendre possible des dépenses en faveur de biens publics européens collectifs ?
Pouvez-vous nous donner davantage de détails sur votre capacité à faire évoluer la règle relative au déflateur automatique au taux fixe de 2 % par an ? Au sein de la commission des finances de l'Assemblée, lorsque nous travaillons sur un projet de loi de programmation des finances publiques pour cinq ans, nous utilisons des prévisions d'inflation annuelle issues des modèles macroéconomiques, fondées sur des estimations provenant de diverses sources : Commission européenne, FMI, OCDE, consensus d'économistes… Nous ne nous contentons pas, en tout cas, des prévisions théoriques de la Banque centrale européenne.
La France est favorable à la création de nouvelles ressources propres à condition qu'elles soient neutres pour le contribuable – dans le cas inverse, nous alimenterions l'euroscepticisme, ce qui n'est pas notre objectif commun. Dans notre pays, nous réfléchissons par exemple à une fiscalité écologique qui encourage les comportements vertueux. On peut aussi penser au développement des droits d'accises. Avez-vous engagé une réflexion sur ces sujets ?
Un consensus politique semble très progressivement se dessiner en matière de politique européenne de défense, même si je doute que cette dernière puisse réellement exister au cours des sept prochaines années. Paradoxalement, alors que la subsidiarité gagne du terrain dans ce domaine, n'allons-nous pas être confrontés à un problème budgétaire ?
La complexité de certains processus de dépenses – je pense, par exemple, aux fonds structurels – n'explique-t-elle pas l'irrégularité des flux de dépenses européennes d'une année à l'autre ? Cette dépense ne pourrait-elle pas être mieux étalée dans le temps au bénéfice des collectivités ou des porteurs de projets locaux en modifiant certaines procédures administratives ?
La TVA constitue l'exemple d'un impôt européen, pensé au niveau européen, mais construit comme un impôt national. Alors que cet impôt est conçu comme ne pouvant faire l'objet d'aucune fraude, il n'en est rien parce qu'il n'a pas été construit comme un impôt européen. Qu'en pensez-vous ?
En Europe, les prélèvements obligatoires sont principalement sociaux. Un problème particulier se pose dans les zones frontalières. C'est le cas en Alsace où je suis élu : certains travailleurs frontaliers ont cotisé deux fois pendant des années, une première fois en Allemagne, une seconde fois en France. L'Union européenne a du mal à se mobiliser pour régler cette question des doubles impositions. Comment comptez-vous réagir ?
Dans le prolongement des propos de Pieyre-Alexandre Anglade – nous appartenons à des groupes différents, mais plusieurs familles politiques partagent une même réflexion –, je souhaite vous interroger sur la pertinence et l'intérêt du cadre financier pluriannuel actuel.
Cette architecture du budget de l'Union est-elle à même de délivrer de la performance ? Nous avons le devoir de réfléchir sans tabou et avec une certaine audace à la possibilité de remodeler et de reconfigurer la périodicité et l'architecture du cadre financier pluriannuel – les contributions sont nombreuses en la matière, je pense à celles de M. Alain Lamassoure, mais il en existe beaucoup d'autres.
Nous nous interrogeons évidemment sur les décisions qui seront prises d'ici à la fin des mandats actuels des commissaires et des députés européens s'agissant des engagements pour le prochain cadre financier pluriannuel.
Toutes nos réflexions tiendront évidemment compte de ce que nous avons entendu dans les États membres. Ce que M. Macron nous dit ou ce que les représentants à Athènes nous expliquent est important. Nous avons entendu les ministres des affaires étrangères des États membres et les ambassadeurs afin de dégager une vision globale de la situation.
S'agissant du choc asymétrique, des contributions des pays structurellement les plus faibles, et du mécanisme de stabilisation, nous mettons en place des instruments nouveaux qui s'intégreront au prochain cadre financier pluriannuel. Une budgétisation est prévue mais les discussions se poursuivent sur les montants.
Le document de réflexion des sociaux-démocrates élaboré avec les chrétiens-démocrates, qui sert de base aux discussions sur la future coalition de gouvernement en Allemagne, comporte un premier chapitre consacré à l'Europe. On y trouve un engagement très clair de l'Allemagne concernant les nouvelles missions de l'Union à mener au niveau européen et le comblement du déficit consécutif au Brexit grâce à une contribution supplémentaire apportée par le budget allemand.
Lorsqu'il sera constitué, très prochainement, le prochain gouvernement allemand répondra aux propositions de réformes du président Juncker, que l'on retrouve dans le discours du président Macron et, également, dans les propos de M. Borissov – ce dernier devra également réagir sur ces sujets.
Il faut utiliser la période qui s'écoule avant les élections européennes, entre Pâques 2018 et Pâques 2019, pour gérer l'agenda de l'Union européenne concernant le marché des capitaux, le cadre budgétaire, le droit d'asile, la stratégie commune en matière de migration… Tous ces sujets importants doivent faire l'objet de débats et de décisions durant cette période-clé.
La protection et la lutte contre le changement climatique sont importantes pour nous : l'objectif de consacrer 20 % des dépenses totales à des actions dans ce domaine est horizontal. La Cour des comptes européenne doit nous indiquer si cette proportion est suffisante. Il faudra très certainement prévoir un objectif horizontal similaire dans le prochain cadre financier pluriannuel. Nos moyens sont limités, mais, en matière de recherche, nous faisons plus que nous n'avons jamais fait, s'agissant en particulier d'efficacité énergétique, que ce soit pour les bâtiments, l'industrie, ou la mobilité. Connecting Europe doit permettre d'optimiser nos infrastructures énergétiques électriques et gazières, et d'intégrer les énergies renouvelables dans les réseaux. Par ailleurs, les mécanismes d'aides aux agriculteurs font une part de plus en plus grande à la compatibilité entre agriculture, élevage et protection du climat.
Les questions posées concernant la durée du cadre financier pluriannuel sont parfaitement justifiées. Pourquoi une planification sur sept ans, exercice auquel même les Soviétiques ne se livraient pas ? Il faut comprendre, par exemple, que les agriculteurs, ont besoin de planifier des investissements très lourds en toute sécurité. L'achat de grosses machines agricoles et d'équipements divers, en particulier numériques, qui peut se chiffrer en millions d'euros, n'est possible que si l'aide à l'hectare est stabilisée sur la durée. L'agriculteur emprunte pour acheter des biens qui s'amortissent sur cinq à dix ans, mais la banque ne lui prête que si elle a la garantie, que lui apporte une politique européenne stable, que l'agriculteur disposera demain des revenus nécessaires pour rembourser.
Dans mes fonctions précédentes, comme commissaire européen chargé de l'économie et de la société numériques, j'ai lancé des partenariats public-privé en matière de microélectronique, de nanoélectronique, de technologies quantiques, d'ordinateurs haute performance, de robotique… Nos partenaires industriels avancent sur ces projets en y consacrant des montants trois ou cinq fois supérieurs à ceux des investissements européens. Ils ne s'engagent toutefois que s'ils peuvent compter sur la stabilité de ces financements. Le cadre financier sur sept ans leur convient donc aussi parfaitement, qu'il s'agisse d'Airbus ou des PME tournées vers la recherche.
J'ajoute que les négociations sont à ce point difficiles que je ne voudrais pas imposer à mon successeur d'avoir à les mener tous les trois ans. Après tout, le pape n'est pas élu pour deux ans ! Votre propre gouvernement et tous les autres sont d'ailleurs favorables à ce qu'un cadre financier soit établi pour sept ans : ils sont trop heureux de s'être mis d'accord et de ne pas avoir à engager immédiatement une nouvelle négociation. La Commission actuelle fera une proposition qui sera mise en oeuvre par celle qui lui succédera. Nous proposons de nous en tenir pour l'instant aux sept années avant de passer à cinq ans – ce pourrait aussi être deux fois cinq ans. Ce rythme permettra d'assurer une cohérence entre le nouveau Parlement et la nouvelle Commission.
Je veux faire une proposition qui ne comporte pas de rabais. Réussirai-je à l'imposer ? Tout dépendra de l'approbation du Premier ministre néerlandais, M. Mark Rutte, du Premier ministre danois, du soutien des Allemands, et de celui du chancelier fédéral autrichien, M. Sebastian Kurz. En tout état de cause, je compte sur un cadre financier qui comportera beaucoup moins de rabais qu'aujourd'hui.
Vous faites remarquer que les trois quarts des dépenses sont engagés d'emblée. Le même phénomène existe au niveau des budgets nationaux en raison des dépenses destinées à financer les traitements des enseignants ou des policiers, et la retraite de ceux qui exerçaient ces métiers. Ces montants sont fixes ; il s'agit en quelque sorte de dépenses bloquées. L'Union ne consacre que 6 % de son budget à ses frais de personnel ; vous êtes plus proches ou même au-delà des 40 % dans les budgets nationaux. La seule flexibilité possible avec les centaines de milliers de fonctionnaires concerne l'augmentation de leurs traitements.
S'agissant de la cohésion, nous devons aussi envisager les efforts nécessaires pour financer les nouvelles missions. La question est de savoir quelle flexibilité les États membres accorderont. Malheureusement, en la matière, les fonds sont déjà bloqués. Les États membres considèrent qu'ils ont besoin de tel et tel montant pour la première année, pour la deuxième et la troisième. On pourrait envisager d'introduire de la souplesse dans l'utilisation des crédits de la rubrique 1b : « Cohésion économique, sociale et territoriale ». Si nous devons faire face à une crise agricole ou migratoire, il faut pouvoir adopter des correctifs, mais les États membres n'y sont pas prêts. Lors des dernières discussions, ils ont proposé des réductions de crédits lorsqu'ils pouvaient jouer sur la flexibilité, par exemple pour la recherche ou Connecting Europe ; ils ne l'ont pas fait pour la politique agricole ou les fonds de cohésion, pour lesquels ils savent que l'argent arrivera. Ma requête est simple : tentez donc de convaincre votre Gouvernement de pratiquer autrement ! Je vous souhaite bonne chance !
Je suis optimiste sur l'Union de la défense. Les chefs d'État et de gouvernement veulent qu'elle se fasse, comme les ministres des affaires étrangères. Les ministres de la défense ont pris leur décision. J'estime que les évolutions les plus fortes du cadre financier pluriannuel dans les dix prochaines années concerneront les migrations et la défense.
Vous m'avez parlé de taxe écologique et de droits d'accises. Selon les traités européens, il n'est que trois domaines pour lesquels la règle de la majorité ne s'applique pas. L'unanimité est requise en matière de politique extérieure, de cadre financier, et de politique fiscale. Il est donc très difficile de lever des impôts européens car les intérêts en jeu sont très différents. Bien sûr, ce serait formidable que l'Union vote et lève ses propres impôts : ce serait miraculeux. Cependant, je suis réaliste : je ne crois pas que les vingt-sept États membres et leurs parlements nous l'accorderont. Ils ne veulent pas nous donner le pouvoir de prendre nos propres décisions en la matière.
Nous vous remercions pour votre exposé particulièrement clair. Vous nous avez, en quelque sorte, donné des « devoirs » à faire à la maison. Nous devons en effet clarifier de nombreux points chez nous afin de savoir où nous voulons placer le curseur, et quelle sera notre position en tant que parlementaires sur l'avenir de l'Union européenne et les moyens financiers que nous voudrons bien lui accorder.
Membres présents ou excusés
Réunion du jeudi 1er février 2018 à 10 heures 30
Présents. – Mme Émilie Bonnivard, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jean-Louis Bricout, M. Charles de Courson, Mme Dominique David, Mme Stella Dupont, Mme Sarah El Haïry, M. Romain Grau, M. Stanislas Guerini, M. Alexandre Holroyd, M. Christophe Jerretie, M. François Jolivet, M. Gilles Le Gendre, M. Jean-Paul Mattei, Mme Amélie de Montchalin, M. Xavier Paluszkiewicz, Mme Christine Pires Beaune, M. Éric Woerth
Excusés. – Mme Marie-Christine Dalloz, M. Joël Giraud, M. Marc Le Fur, Mme Véronique Louwagie, M. Olivier Serva
Commission des affaires européennes
M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Aude Bono-Vandorme, Mme Valérie Gomez-Bassac, Mme Christine Hennion, Mme Constance Le Grip, M. Ludovic Mendes, M. Thierry Michels, M. Jean-Pierre Pont, M. Joaquim Pueyo, M. Raphaël Schellenberger, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye
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