Les Britanniques ont contribué de manière très constructive à l'élaboration du budget pour 2018 et ils le respectent. En ce qui concerne le budget pour 2019 que nous sommes en train de préparer, nous nous attendons à ce que les Britanniques respectent aussi leurs engagements, y compris après leur sortie de l'Union européenne, en mars 2019. Il ne devrait pas y avoir, a priori, de problèmes particuliers : le Brexit ne devrait pas avoir d'impact. Telle que la situation se présente aujourd'hui, nous nous attendons également à une approche constructive de nos partenaires britanniques quant au budget pour 2020. Arrive ensuite la phase du cadre financier pluriannuel suivant.
Les engagements sont pris à 28 et les paiements correspondants doivent aussi être financés par les 28, c'est-à-dire également par le Royaume-Uni : c'est ainsi que nous voyons la question. Les négociations, dont votre compatriote Michel Barnier a été chargé, se déroulent bien : les Britanniques acceptent dans une large mesure la structure du calcul que nous leur présentons et qui est très complexe. Je donnerai deux exemples. Depuis l'adhésion des Britanniques, dans les années 1970, de nombreux fonctionnaires ont travaillé pour l'Europe : certains sont partis à la retraite et d'autres feront de même un jour ou l'autre. La contribution finale du Royaume-Uni pour les droits à pension acquis entre les années 1970 et 2019 fait partie du calcul de la facture, que les Britanniques pourront payer par acomptes annuels au cours des cinq prochaines décennies ou bien globalement. L'Europe a par ailleurs acquis de nombreux bâtiments à Bruxelles, Luxembourg, Paris, Moscou ou Washington dont les Britanniques sont copropriétaires. C'est comme pour un club de golf : quand on s'en va, on n'emporte pas sa part des briques du club-house que l'on a contribué à construire… D'ici à Pâques, nous devrions avoir un accord sur la contribution financière globale de nos amis britanniques, ce qui est essentiel pour parler de la suite, qu'il s'agisse des règles régissant les échanges commerciaux ou d'autres sujets.
J'en viens à la contribution française, c'est-à-dire pour l'essentiel le prélèvement sur recettes et la part de TVA versée à l'Union européenne. J'ai parlé tout à l'heure d'un passage de 1 à 1,1 ou 1,2 % du revenu national brut, au maximum : le prélèvement français ne serait donc pas porté de 20 à 30 milliards. Avec les 6 ou 7 milliards qui manqueront du fait du Brexit, compte tenu des économies envisagées par ailleurs, et les 6 ou 7 milliards d'euros de plus pour les nouvelles missions de l'Union européenne, on arrive à un total de 10 ou 15 milliards à trouver. Cela devrait signifier moins de 3 milliards supplémentaires au titre de la contribution française.
Comment réaliser les économies nécessaires ? Nous devons examiner l'ensemble des programmes en cours sans qu'aucun d'entre eux n'ait la garantie de bénéficier des mêmes crédits que lorsque l'Union comptait vingt-huit États membres : le Brexit doit avoir des conséquences. Les nouvelles missions ne peuvent pas simplement être financées en sus des missions actuelles. Je ne souhaite pas réduire le programme Erasmus +, consacré aux jeunes générations européennes. Je ne veux pas non plus couper les ailes du programme Horizon 2020 et post-2020, qui vise à soutenir notre capacité d'innovation, ni réaliser des coupes claires dans la PAC ou la politique de cohésion. Mais si nous ne faisons pas d'économies, je ne pourrai pas atteindre mes objectifs globaux en la matière. Certains États membres aimeraient que le budget européen permette de faire beaucoup plus, d'autres luttent âprement pour le maintien du plafond de 1 %. Si je veux obtenir l'unanimité, il me faudra donc convaincre les premiers d'accepter des réductions et persuader les seconds de la nécessité de disposer de nouveaux moyens pour financer de nouvelles activités.
Vous avez évoqué le taux d'inflation retenu pour le calcul. Soyons francs, il s'est avéré qu'une adaptation annuelle de ce taux rendrait les choses encore plus complexes qu'elles ne le sont. En revanche, si nous retenions un taux forfaitaire théorique – correspondant à l'objectif, considéré comme raisonnable au plan macroéconomique, de la Banque centrale européenne –, le calcul sur sept ans serait largement simplifié. C'est la raison pour laquelle je continuerai de plaider pour un taux d'inflation forfaitaire mais, si celui-ci n'est pas accepté, il faudra envisager de discuter d'autres formules.
La défense est un sujet passionnant. Il faut partir du principe que nous, Européens, devons faire davantage pour notre sécurité intérieure et extérieure – et, en la matière, la France fait déjà beaucoup plus que mon pays d'origine, l'Allemagne. En effet, « America first », cela signifie que l'on ne peut pas s'en remettre aussi facilement que par le passé aux capacités de nos amis américains. L'Europe doit donc développer davantage ses propres forces. Or, tant que nous aurons vingt-huit budgets de la défense et tant que les appels d'offres seront lancés par vingt-huit pays différents, nous ne pourrons pas faire de réelles économies. Dans le domaine de la défense, les Européens dépensent deux fois moins que les Américains, mais ils n'ont que 15 % de leur efficacité. En effet, une plus grande normalisation et des appels d'offres beaucoup plus importants pour l'approvisionnement, les pièces de rechange, la maintenance ou les équipements permettent aux États-Unis d'investir de manière beaucoup plus efficace. Nous devons donc veiller à réunir nos ressources. Ainsi, il ne saurait y avoir dix drones européens : nous ne devons en concevoir qu'un, ensemble. Que ce soit dans le domaine de la défense antichar, des armes de poing ou de la logistique des armées, adopter des concepts communs nous permettra de faire des économies.
L'Europe ne peut jouer qu'un rôle de modérateur et d'animateur mais, sans moyens, ce rôle est réduit à néant. 500 millions pour la recherche, 1 milliard pour l'industrie, auquel les États membres ajouteraient quatre autres milliards : avec ces 5 milliards, nous pourrions aborder le marché. 1 milliard ne nous permettra pas d'aller très loin, mais ce montant sera conforté d'année en année. Si nous voulons que ce projet soit une réussite, 1 milliard par an, ce n'est pas durablement suffisant. Certains États membres craignent que ces crédits ne servent qu'aux industries de défense allemande, française ou italienne. Mais les Bulgares achètent déjà leurs équipements militaires là où se trouvent les industries de défense !
Nous devons donc encore convaincre un certain nombre de personnes, mais il nous faut saisir l'occasion qui se présente, car elle est unique. Les Britanniques, faut-il le rappeler, étaient contre. Or, en 1954, la Communauté européenne de défense était, après la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) et la politique agricole commune, la troisième grande idée européenne. Elle n'a pas été acceptée, à l'époque. Je crois qu'aujourd'hui, le moment est venu.
En matière de politique migratoire, nous avons très nettement renforcé notre direction générale. Nous avons conseillé ceux des États membres qui sont le plus concernés et renforcé Frontex pour soutenir les forces nationales bulgares, grecques et italiennes. Grâce à la flexibilité, nous avons pu redistribuer des fonds pour venir en aide à des pays comme l'Italie. Ces moyens, nous voulons désormais les budgétiser et établir les dotations financières correspondantes. Les crédits alloués à cette politique seront en augmentation dans le prochain cadre financier pluriannuel. Peut-on cofinancer l'intégration, qui relève des communes, des autorités locales ? Est-il utile de disposer d'un instrument européen centralisé en la matière ? Je l'ignore. Mais, à Lyon ou à Bordeaux, la situation n'est pas la même qu'à Hambourg ; à Paris, elle est différente de ce qu'elle est dans les îles grecques. Il est donc possible qu'une entité centralisée renforce la charge bureaucratique et nuise à la flexibilité de la réaction des autorités locales en matière d'emploi ou d'intégration dans les écoles. Encore une fois, la situation est très différente d'une région d'Europe à l'autre, si bien qu'il paraît difficile d'envisager une solution unique commune.
Actuellement, le principal rabais qui affecte le budget est le rabais britannique. Notre prochaine proposition vise à supprimer tous les rabais. Y parviendrons-nous ? Cela dépendra largement du Conseil européen. En tout cas, nous souhaitons que, dans le prochain cadre financier pluriannuel, ces rabais soient nettement diminués, en particulier pour la politique de cohésion et le programme Connecting Europe. Nous voulons en effet renforcer nos capacités transfrontalières. Or, Interreg Europe et Connecting Europe Facility sont des moyens de promouvoir le développement des infrastructures, non seulement dans les centres, mais aussi aux frontières des États membres. Il convient donc de renforcer le rôle de ces instruments.
Bien des choses seraient plus simples si nous disposions d'un traité qui simplifie l'établissement d'un cadre financier. Mais, je suis réaliste, les traités ne seront pas modifiés avant le prochain cadre financier pluriannuel : une convention serait nécessaire, des référendums devraient être organisés dans plusieurs États, la Belgique compte sept parlements… Remettons donc la révision des traités à la décennie suivante et faisons-nous à l'idée que nous devons parvenir à un accord unanime sur ce cadre financier pluriannuel, au Conseil, au Parlement européen et dans les parlements nationaux.
En ce qui concerne l'aide au développement, le fonds fiduciaire, la coopération avec la Turquie, il faudra réorganiser les instruments, mais, à Strasbourg, vos collègues se défendent bec et ongles pour que les fonds n'échappent pas à leur contrôle. Ainsi, M. Arthuis, ancien ministre des finances français, est favorable à l'intégration de l'ensemble des fonds dans le budget européen pour que le Parlement européen en assume l'entière responsabilité.
Sur les fonds propres, le groupe de travail de Mario Monti a établi un rapport, que nous sommes en train d'examiner, et un débat d'orientation sera organisé à Bruxelles. Premier exemple, le système ETS (Emission Trading Scheme). La lutte contre le changement climatique est devenue une mission européenne. La Conférence de Paris – dont le succès est dû à l'animation habile du ministre des affaires étrangères français de l'époque – a abouti à une définition de l'évolution des émissions de CO2 à l'horizon 2030 et 2050. Selon notre système d'échange de quotas d'émission, l'industrie doit acheter des droits d'émission, négociés au sein d'une bourse au niveau européen, dont le montant total diminue chaque année de 3 % à 4 % afin que nous puissions atteindre nos objectifs de réduction des émissions de CO2 d'une manière qui soit compatible avec le marché. La législation est donc européenne, mais les fonds ne vont pas à l'Europe. Une réforme dans ce domaine serait une modification importante de la contribution de l'Europe au respect des engagements pris à Paris.
Deuxième exemple : la taxe sur les transactions financières. Est-elle réaliste ? Si elle l'est, elle fera l'objet d'une loi au niveau européen, faute de quoi nous resterions dans le domaine de l'illusion. Par ailleurs, le seigneuriage peut dégager des milliards.
Il ne s'agit pas tant d'obtenir davantage d'argent que de réduire la contribution des budgets nationaux. Lors de la création de l'Union à six, tout reposait essentiellement sur les droits de douane : au fur et à mesure des élargissements, les échanges soumis aux droits de douane ont contribué à financer le budget de l'Europe. Or, ces droits de douane ont disparu, et les accords financiers que nous avons conclus avec le Japon et le Mercosur vont contribuer à réduire encore leur part dans le budget. Il va donc nous falloir trouver de nouvelles sources de recettes fondées sur le droit européen. Ainsi, nous réfléchissons notamment à la création d'une taxe sur les plastiques, qui présenterait l'avantage de contribuer à leur élimination.
Enfin, parmi les fonctionnaires de la Commission européenne, on compte 40 % de femmes, mais elles ne sont pas suffisamment présentes dans le senior management et dans le management intermédiaire. Autrement dit, il faut accroître le nombre de femmes qui occupent des postes à hautes responsabilités : directeurs, chefs de service, directeurs généraux. Nous progressons : la part des femmes occupant des postes de direction est déjà passée de 30 % à 36 %, et nous voulons, d'ici à la fin de notre mandat, atteindre 40 %.