Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Séance en hémicycle du mardi 6 février 2018 à 15h00
Renforcement du dialogue social — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon :

Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, c'est la dernière étape et vous marquez le point – le vote de la majorité le montrera dans quelques instants.

Nous n'avons pas pu, ou su, fédérer les forces qui auraient eu intérêt à ce que le dialogue s'établisse sur d'autres bases que celles qui ont prévalu, du fait d'une division syndicale incompréhensible pour ceux d'entre nous qui ont cru aux promesses faites il y a quelque temps, division à laquelle s'est ajoutée une coupure entre l'action sociale et le mouvement politique. C'est ainsi.

À cet instant, je veux exprimer ma reconnaissance aux organisations syndicales de salariés qui ont courageusement entrepris de combattre et à ces milliers d'hommes et de femmes, qui, par la manifestation ou la grève, ont offert des sacrifices à l'intérêt général.

Dans les cinq minutes dont je dispose, je ne reprendrai pas tous les arguments que nous avons largement eu l'occasion de développer. Je souhaite revenir sur les deux questions essentielles à nos yeux.

En premier lieu, nous appartenons à une famille intellectuelle, politique, philosophique pour laquelle la loi et le contrat ne sont pas d'égale valeur parce que leurs champs d'application sont distincts et ne s'emboîtent pas mécaniquement. La loi définit l'intérêt général, elle prime en toutes circonstances sur quelque arrangement que ce soit, même contractuel, entre des intérêts privés.

Dès lors, nous sommes viscéralement attachés – comprenez-le, c'est une affaire de principe – au principe de faveur. Quel est-il ? En vertu de ce principe, on peut négocier, dans les entreprises ou les branches, et conclure toutes sortes d'accords à la condition qu'aucun d'entre eux ne prévoie une protection inférieure à ce que la loi dispose. Ce principe est, dans notre esprit, le coeur de l'ordre social républicain – j'emploie le terme de républicain au sens de la chose publique.

En second lieu, nous ne croyons pas aux vertus métaphysiques que prêtent certains à la main invisible du marché et à l'autorégulation spontanée des mécanismes économiques. Ces derniers en sont incapables. L'accumulation des profits se fait toujours au détriment des salariés. On nous a reproché de penser surtout aux employés des grandes entreprises et de négliger les petites entités qui trouveraient leur compte dans l'arrangement que vous allez adopter. Mais vous oubliez une chose : dès lors que l'employé, l'ouvrier, le salarié – quel que soit son niveau – de la grande entreprise jouit d'un statut social enviable, les autres employeurs sont obligés de s'aligner pour conserver ce qu'il y a de plus précieux dans la production : la force de travail, la qualification mise à la disposition de l'entreprise. Nous considérons que l'entreprise est d'abord un collectif humain. Ce qui compte, c'est la production – comment se fait-elle ? Dans quelles conditions, selon quels usages d'intérêt général et écologique ? Voilà ce qui l'emporte par-dessus tout.

À nos yeux, le droit de l'actionnaire est subalterne, il doit être subordonné à l'intérêt général, lequel coïncide toujours avec cet intérêt social qui entre directement en contradiction, non pas par complot, ni méchanceté ou cruauté, avec les nécessités de l'accumulation.

Madame la ministre, mes chers collègues, vous savez tous qu'on ne peut pas tirer de l'économie réelle, c'est-à-dire de l'acte de production réel, des profits à deux chiffres sans assécher la matière vivante qui en fait partie. Il y a trente ou quarante ans, un taux de profit de 4 ou 5 % était presque considéré comme confiscatoire. Aujourd'hui, un taux de 12 %, voire de 18 %, est exigé. Et vous n'y pouvez rien, la mécanique déferle dès lors que vous ouvrez les digues.

Nous ne voulons pas de ce monde. Nous le combattons de toute notre énergie. Nous ne voulons pas d'un monde de précarité, de peur du lendemain, de statuts fragiles – Amazon peut ainsi décider de tenir tous les quatre ans, au lieu de un par le passé, la discussion sur l'égalité des salaires entre hommes et femmes, puisque vos textes le permettent.

Ce jour est un jour triste pour la famille dont nous sommes le prolongement historique. Le grand Jaurès, qui siégeait ici à côté de Groussier, fondateur du code du travail dans notre pays, disait que la grande révolution avait fait du Français le roi dans la cité mais qu'il l'avait laissé serf dans l'entreprise. C'est à cette servitude qu'il retourne.

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