Mais, au-delà des dispositions très techniques du projet de loi et de ses impasses sur la mise en oeuvre opérationnelle du RGPD, il est souhaitable que nous puissions, à l'occasion de ce débat, évoquer les vraies questions de société que soulève la révolution de l'exploitation des données personnelles par des acteurs économiques.
Il s'agit en effet de vraies questions politiques relatives à la place de la France et de l'Europe dans le traitement et l'exploitation des données personnelles des citoyens européens, de questions éthiques relatives à l'effectivité du droit, au respect de la vie privée à l'ère du numérique ainsi qu'à la résistance humaine face aux enjeux des décisions – confortables et efficaces – prises automatiquement grâce à l'exploitation de nos données personnelles.
En fait, la protection des données personnelles est un sujet philosophique, éthique, économique et civilisationnel : étant donné les spécificités historiques et culturelles des Européens, il n'y a aucune raison pour que nous soyons d'accord avec les Américains et avec les Chinois qui, pourtant, dominent le monde numérique et sont très en avance dans la captation et le traitement des données personnelles qui permettront de créer les services de demain.
Rien n'arrêtera le tsunami numérique, qui impacte nos vies personnelles et professionnelles, modifie les modèles d'affaires de nos entreprises et engendre de nouveaux services et de nouveaux métiers. Rien, hormis peut-être l'absence de confiance des consommateurs !
La donnée est en effet devenue un actif stratégique que tous les acteurs de l'économie s'attachent, dans tous les secteurs de l'industrie, à valoriser. Elle est devenue critique, car elle décrit parfaitement les individus ou les systèmes : sa protection est donc un impératif absolu.
Son exploitation doit par conséquent faire l'objet, de la part des citoyens, d'un consentement éclairé : c'est pourquoi le groupe UDI, Agir et indépendants soutiendra ce projet de loi.
Il constitue en effet un élément de réponse à ces enjeux d'un continent, l'Europe, qui compte 500 millions d'habitants partageant des valeurs communes qui ne sont ni celles des Américains, ni celles des Chinois. Mettons donc à profit le génie créatif français pour combiner innovation, confiance et respect des individus !
Ayant réfléchi aux potentialités qu'offre l'exploitation des données, il me semble qu'elles sont porteuses d'améliorations considérables de certaines politiques publiques, mais également de nouveaux risques.
Pour ne prendre que la collecte des données médicales, on perçoit à quel point l'enjeu est important pour notre civilisation. En effet, la collecte massive de données sur les patients en cours de traitement est particulièrement utile à la recherche médicale, surtout si l'on croise ces données avec d'autres relatives au sexe, à l'âge, aux antécédents médicaux, aux autres traitements, aux habitudes alimentaires ou aux comportements. Leur exploitation permettrait ainsi de mieux cibler les thérapies en fonction du patient et de développer une médecine prédictive.
Si la collecte est faite directement par les professionnels de santé, l'on peut imaginer un contrôle efficace tant du recueil du consentement que de l'utilisation des données.
Mais comment éviter, avec l'utilisation généralisée des objets connectés, que les données recueillies ne soient exploitées à des fins dont le patient ne serait pas directement conscient, et donc sans son accord éclairé ?
Ont par exemple récemment été placées sous les feux de l'actualité les émouvantes retrouvailles d'un jeune Français issu d'une procréation médicalement assistée avec donneur anonyme avec son géniteur, retrouvailles rendues possibles grâce à un simple test génétique récréatif.
Cette histoire montre à quel point la question de la gestion et de l'exploitation de ces données est majeure au regard du droit européen au respect de la vie privée.
Plus généralement, dans le contexte juridique français, quel est l'intérêt, dans certains domaines, de débattre du caractère anonyme du don de gamètes dans notre pays si, par le biais d'un simple test génétique récréatif, il est possible de retrouver son géniteur au moyen de ce type de banques de données partagées ?
Qu'en est-il, dans ces conditions, de la souveraineté de nos lois à l'ère du numérique ? Voulons-nous que nos politiques publiques soient tout simplement conçues par des entreprises américaines ou chinoises qui, au passage, pomperont avidement l'ensemble des données relatives à nos comportements les plus intimes ?
La mainmise presque totale des Chinois et des Américains sur les algorithmes, c'est-à-dire sur le savoir-faire – mais également sur les bases de données qui sont la matière de cette nouvelle industrie – ouvre, sans que nous ayons notre mot à dire, la possibilité d'une prise de contrôle de nos destins. N'est-il pas inquiétant que le destin d'une nation ou d'un continent échappe ainsi à ceux que le peuple a élus ?
Rappelons-nous les propos de Vladimir Poutine le 1er septembre dernier : « Le pays qui maîtrisera l'intelligence artificielle dominera le monde ». De tels propos ont de quoi nous inquiéter, quand on connaît la puissance quasi-étatique des géants de l'internet comme Google, Facebook, Alibaba ou Baidu.
Je suis convaincue que l'Europe dispose des atouts nécessaires à la défense de ses valeurs, à condition qu'elle livre bataille : au-delà des réglementations, nous devons avoir l'ambition de développer des géants du numérique et d'internet qui portent nos valeurs.
Pensons, en France comme en Europe, le monde avec l'homme au coeur ! La France dispose d'atouts indéniables pour se confronter à ces enjeux : des entrepreneurs talentueux, les meilleures formations scientifiques au monde, un écosystème de financement de l'innovation qui devient performant et une conscience aiguë des enjeux éthiques.
La France doit donc être le fer de la lance de la construction idéologique de l'Europe sur ces sujets. Il en va de l'avenir économique de notre pays, mais aussi et surtout du sens que nous voulons donner au monde futur.