Intervention de Nathalie Loiseau

Réunion du jeudi 25 janvier 2018 à 14h40
Mission d'information sur le suivi des négociations liées au brexit et l'avenir des relations de l'union européenne et de la france avec le royaume-uni

Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je voudrais d'abord vous remercier pour votre invitation et pour la création de cette mission, dont le travail nous sera précieux tout au long des négociations. Comme j'ai déjà eu l'occasion de vous le dire, je suis très attachée à une bonne information du Parlement, et j'espère que cette mission offrira une enceinte privilégiée pour des échanges que je souhaite les plus ouverts possible entre nous – je reviendrai sur la notion de confidentialité, puisque nous sommes au coeur d'une négociation.

Permettez-moi de faire un point sur l'état des négociations et de revenir brièvement sur l'accord sur les sujets prioritaires de la première phase qui a été trouvé entre les négociateurs le 8 décembre dernier.

Dans les orientations adoptées par le Conseil européen le 29 avril 2017, les chefs d'État ou de gouvernement avaient défini trois sujets comme prioritaires pour l'accord de retrait : les droits des citoyens, le règlement financier, et la question de la frontière irlandaise. Les six sessions de négociation, qui se sont tenues à partir du 19 juin 2017, ont permis d'obtenir des progrès qualifiés de suffisants sur ces trois points.

Les droits des citoyens européens au Royaume-Uni – dont 300 000 Français –seront protégés : ils pourront continuer à résider, travailler, étudier dans les mêmes conditions que celles prévues actuellement, et conserver le bénéfice de l'ensemble de leurs prestations sociales. Les cours britanniques seront chargées de l'interprétation uniforme de ces droits : elles devront prendre en compte la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne – CJUE – passée, présente et future, et pourront poser à cette dernière une question préjudicielle pendant huit ans. Dans la rédaction juridique de l'accord de retrait, nous veillerons très attentivement, compte tenu des intérêts de nos citoyens au Royaume-Uni, à consolider les garanties dont ils pourront bénéficier pour le plein respect de leurs droits.

Sur le règlement financier, le Royaume-Uni a finalement accepté de prendre en charge les dépenses qui lui reviennent, à savoir sa contribution aux budgets européens jusqu'en 2020, les « reste à liquider », les passifs ou encore les retraites des fonctionnaires. Ce résultat est très positif – vous vous en souvenez, nous partions de très loin…

C'est sans doute sur l'Irlande que les résultats obtenus doivent encore être le plus consolidés. En effet, l'accord trouvé reste flou et prévoit que la question irlandaise sera traitée dans le cadre de la relation future, c'est-à-dire dans la deuxième phase de négociation, à défaut par des solutions concrètes entre Irlande du Nord et Irlande du Sud, à défaut encore par un alignement du Royaume-Uni sur les règles du marché unique et de l'union douanière, celles qui sont nécessaires à la bonne coopération entre le Nord et le Sud de l'Irlande. Que ce soit lors de la rédaction de l'accord de retrait ou pour la définition du cadre futur des relations du Royaume Uni et de l'Union européenne, nous devrons être extrêmement vigilants pour faire respecter l'intégrité du marché intérieur et de l'union douanière. Je ne vous cache pas que ce sera une partie complexe de la négociation.

Le plus difficile cependant reste à venir. Nous devons d'abord poursuivre les discussions sur l'accord de retrait et transcrire juridiquement les engagements pris. On peut espérer que ce ne sera pas insurmontable. Plusieurs sujets n'ont pas encore été abordés avec la partie britannique, ou bien n'ont fait l'objet que de négociations liminaires qui restent à consolider : on peut, par exemple, citer la question des droits de propriété intellectuelle, les procédures de marchés publics en cours, les questions douanières, ou encore la protection des données personnelles et des informations classifiées, obtenues ou traitées avant le retrait.

Nous devrons faire preuve d'une vigilance toute particulière sur la gouvernance de l'accord de retrait, pour nous assurer que le Royaume-Uni respecte pleinement ses engagements

Nous devons ensuite voir si, et comment, nous pouvons mettre en place la période de transition d'environ deux ans qui a été demandée par Theresa May lors de son discours à Florence au mois de septembre.

Le 15 décembre dernier, au vu des progrès suffisants qui avaient été réalisés sur les sujets prioritaires du retrait, les chefs d'État ou de gouvernement ont autorisé l'ouverture de négociations sur une période de transition, en ont fixé les grands principes et ont demandé au Conseil d'adopter des directives de négociation plus précises. C'est ce que nous ferons lundi au prochain Conseil Affaires générales.

Quels sont les principes de cette période de transition ?

D'une part, le Royaume-Uni devra respecter l'intégralité de l'acquis, sans exception. Nous ouvririons sinon la porte à une approche « à la carte » du marché intérieur à plus long terme, ce qui est naturellement inacceptable. Cela implique que le Royaume-Uni devra continuer à intégrer l'acquis adopté pendant cette période de transition, qu'il devra respecter les quatre libertés du marché intérieur, et appliquer les instruments et structures de l'Union en matière de réglementation, de budget, de surveillance, d'exercice du pouvoir judiciaire et de contrôle du respect des règles.

D'autre part, toujours pendant cette période de transition, le Royaume-Uni ne pourra pas participer à la prise de décision au sein des institutions, agences et organes de l'Union européenne. L'Union doit pouvoir prendre des décisions de façon autonome. Par ailleurs, elle ne peut pas devenir, de facto, un statut permanent.

Cela m'amène au troisième point : la transition doit être limitée dans le temps. La raison est financière – la date proposée est celle du 31 décembre 2020, dans un souci de cohérence avec la fin du cadre financier pluriannuel actuel auquel Londres participe – mais aussi juridique. Les arrangements transitoires doivent entrer en vigueur au 30 mars 2019 dans le cadre des accords de retrait, et le traité prévoit que ces accords ne puissent être utilisés pour conclure un accord pérenne avec un État tiers.

J'en viens au troisième et dernier axe de travail, le plus important et le plus sensible : la définition de notre relation future avec le Royaume-Uni, une fois qu'il sera devenu État tiers.

L'article 50 du Traité sur l'Union européenne précise que l'accord de retrait devra tenir compte du cadre des relations futures de l'Union européenne avec le Royaume-Uni. L'Union et le Royaume-Uni devront donc définir une conception d'ensemble partagée de ce cadre, qui sera précisée dans une déclaration politique accompagnant l'accord de retrait.

Le Conseil européen adoptera en mars prochain de nouvelles orientations relatives au cadre des relations futures. Sur cette base, la Commission présentera un projet de directives de négociation qui devra être adopté par le Conseil. Les négociations seront ensuite menées par la « task-force article 50 » de la Commission à la lumière des orientations du Conseil européen et conformément aux directives de négociation.

Dans l'intervalle, l'Union a engagé des discussions préparatoires internes à vingt-sept, à travers des séminaires du groupe de travail « article 50 » organisés par l'équipe de Michel Barnier. L'objectif de ces séminaires est de dégager, au sein des vingt-sept États membres, une conception partagée du cadre des relations futures. Ces réunions, qui ont déjà commencé, ont une dimension transversale – par exemple sur la gouvernance ou sur la concurrence loyale – ou thématique. Plusieurs séminaires se sont déroulés au cours des semaines passées, ou vont se tenir dans les semaines à venir sur la pêche, l'aviation, les questions de justice et d'affaires intérieures, la politique étrangère et la défense, les services ou encore les accords internationaux. Nous nous préparons donc, le moment venu, à commencer les négociations avec le Royaume-Uni. Nous attendons de ce dernier qu'il le soit aussi et qu'il précise sa position sur le cadre des relations futures, car c'est à lui de commencer la conversation avec l'Union européenne – comme il a été invité à le faire par le Conseil européen dans ses orientations du 15 décembre.

Sur le fond, sans entrer dans le détail de chaque coopération thématique que nous pouvons envisager à l'avenir avec le Royaume-Uni, je souhaite rappeler certains principes généraux relatifs à la relation future entre le Royaume-Uni et l'Union européenne.

Ces principes ont été définis par le Conseil européen dans ses orientations du 29 avril 2017 et la France partage sans réserve cette approche, comme l'a récemment rappelé le Président de la République au sommet franco-britannique de Sandhurst, ou dans son entretien à la BBC.

Premièrement, l'accord sur les relations futures devra à la fois permettre de maintenir des liens forts et constructifs avec le Royaume-Uni, partenaire essentiel de l'Union européenne, tout en garantissant une cohérence d'ensemble des statuts différenciés offerts aux États membres et aux États tiers. Cela signifie que la situation du Royaume-Uni ne pourra qu'être moins avantageuse que celle d'un État membre, ou que celle d'États tiers qui acceptent davantage d'obligations.

Deuxièmement, l'accord devra respecter l'intégrité du marché intérieur et exclure toute tentative de « cherry-picking ». Le Royaume-Uni ne pourra participer au marché unique sans en accepter toutes les conditions, sauf à en compromettre l'intégrité et le bon fonctionnement. Ces conditions sont claires : il s'agit en particulier de l'indivisibilité des quatre libertés, de la contribution au budget européen et du respect de la compétence de la Cour de justice de l'Union européenne. S'il refuse de rester dans le marché intérieur – ce n'est pas la position du gouvernement britannique, dans la mesure où l'on attend encore de connaître sa position consolidée, mais cela ressort des déclarations faites par certains de ses membres – le plus logique est que le Royaume-Uni soit lié à l'Union par un accord commercial. Le négociateur Michel Barnier l'a dit, au vu des déclarations faites par des membres du gouvernement britannique, le modèle est à ce jour celui du CETA – donc, sans les services financiers.

Troisièmement, l'accord devra respecter l'autonomie de décision de l'Union et préserver ses intérêts, notamment financiers. Il devra également comprendre des mécanismes appropriés de respect des règles et de règlement des différends, et permettre le maintien d'une concurrence loyale entre l'Union européenne et le Royaume-Uni – un « level-playing field ». Cela implique des garanties contre les mesures et pratiques qui donneraient à ce pays un avantage compétitif indu, par exemple sur le plan fiscal, social, environnemental ou touchant à la réglementation.

La tâche qui s'annonce au cours des prochains mois sera ardue. Nous nous y préparons.

Nous devons nous préparer aux conséquences du retrait, car il ne pourra y avoir ni statu quo, ni retour en arrière. Le 30 mars 2019, sauf prolongation décidée unanimement, le Royaume-Uni sortira de l'Union européenne, qu'un accord de retrait ait été conclu ou non. La période de transition nous permettra de nous adapter à notre relation future avec le Royaume-Uni, mais elle sera courte et limitée dans le temps. Il faut également nous préparer à l'éventualité d'une absence d'accord, même si, naturellement, ce n'est pas ce que nous souhaitons.

La Commission a diffusé une série de notes techniques visant à présenter ce que sera, dans les faits, la situation à la date du retrait et en cas de sortie sans accord. Ces documents, ainsi que les travaux du Parlement européen, sont particulièrement utiles dans le cadre de cette préparation pour les autorités, les citoyens, les entreprises, car le contenu détaillé de l'accord de retrait ne sera connu qu'à la fin de l'année 2018.

Nous n'avons pas conduit, au niveau national, d'études d'impact au sens où ce terme est utilisé lors de la présentation d'un projet de loi. Toutefois, le Gouvernement et l'ensemble de l'administration sont fortement mobilisés sur la question du Brexit, et ils ont mené à bien un travail d'identification des différents enjeux du retrait.

Comme je vous l'ai indiqué, monsieur le président, et vérification faite à la demande du Premier ministre avec le Secrétariat général du Gouvernement, ces documents ne peuvent être simplement transmis compte tenu de l'existence d'une négociation internationale en cours, et de la préoccupation de ne prendre aucun risque de compromettre nos positions de négociations. Toutefois, le Gouvernement est prêt à contribuer au mieux à l'information de la mission par des auditions – celle d'aujourd'hui en est un exemple – et en définissant des modalités spécifiques d'accès à des documents d'analyse sectorielle et à des études transversales réalisés par le Secrétariat général des affaires européennes – SGAE.

Je me tiens naturellement à votre disposition pour poursuivre les échanges engagés avec vous.

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