Intervention de Jean-Philippe Vachia

Réunion du mardi 6 février 2018 à 16h20
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes :

Répondant à la demande de la commission des finances, la Cour a réalisé en 2017 une enquête que nous avons intitulée « Autorités administratives et publiques indépendantes : politiques et pratiques de rémunération ». L'objet et le périmètre de cette enquête ont été arrêtés après échange avec Mme Dalloz, qui est à l'origine de cette demande, au début de l'année 2017. Nous avons travaillé à partir d'un échantillon de douze autorités administratives indépendantes (AAI) assez représentatives et dont vous trouverez l'énumération en annexe à notre rapport.

Nos travaux ont été conduits à la lumière de l'adoption de la loi organique du 20 janvier 2017 relative aux autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes et de la loi ordinaire du même jour portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes, qui fixent un nouveau cadre juridique. Pour la réalisation de notre enquête, nous avons retenu la période 2011-2016 tout en ayant présentes à l'esprit les mesures déterminées par le cadre législatif de 2017, qui sont de nature à répondre à certaines questions que nous pouvions nous poser.

Nous avons examiné six problématiques : le statut sous lequel les agents sont employés ; la croissance des effectifs et de la masse salariale ; le temps de travail ; l'adéquation des moyens humains aux besoins ; le contrôle applicable à la gestion de ces autorités ; enfin, les leviers mobilisables pour une meilleure maîtrise des effectifs.

Après nos investigations, nous avons constaté en premier lieu, ce qui n'est pas surprenant, une très grande diversité de situations entre ces autorités administratives, même après l'entrée en vigueur des deux lois de 2017.

En second lieu, l'examen de la masse salariale et de l'évolution des rémunérations, tant des membres des autorités collégiales que des personnels, montre un haut niveau et un rythme assez dynamique de progression.

Face à ces constats, nous nous sommes efforcés de formuler des propositions, avec à l'esprit l'idée qu'il ne s'agissait pas de proposer une révolution eu égard à la loi qui vient d'être adoptée. Il faut en effet lui laisser le temps de sa mise en oeuvre. Elle prévoit notamment la présentation d'un rapport annuel très précis, et la production de nouveaux documents dans le cadre du projet de loi de finances.

Le premier constat de cette enquête est donc la grande diversité des situations. Au regard de notre sujet, l'évolution des effectifs et des rémunérations, une distinction peut être établie entre des autorités « matures », parce qu'assez anciennes, et des autorités beaucoup plus récentes, qui connaissent une forte croissance de leurs effectifs, telle la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

Toutefois, même les autorités dont on peut considérer qu'elles sont matures, comme la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), sont très affectées par les évolutions incessantes de la réglementation communautaire, singulièrement dans le domaine du droit et de la régulation du numérique. Il en est ainsi également de la Commission de régulation de l'énergie (CRE).

Nous nous sommes néanmoins efforcés de repousser ces autorités dans leurs retranchements en leur demandant de mieux justifier les demandes de création d'emplois au titre de l'attribution de nouvelles compétences – justifiées au moins sur le papier. Une objectivation plus exigeante comportant des indicateurs de performance est nécessaire.

En second lieu, et cela rejoint l'actualité la plus brûlante, nous nous sommes interrogés sur le statut des personnels – des personnels de direction jusqu'aux personnels d'exécution. Une analyse juridique, dont je vous fais grâce dans cet exposé oral, montre que, depuis longtemps, ces autorités bénéficiaient de dérogations pour recruter, assez libéralement, des contractuels. La loi de 2017 conforte cette possibilité sans réserve, au point qu'elles pourraient ne recruter aucun fonctionnaire. En réalité la situation est mixte. On constate cependant, en outre, un phénomène, qui pose question au regard du droit de la fonction publique, de détachements de fonctionnaires sur contrat, qui permet d'accorder aux intéressés une rémunération supérieure à ce qu'ils auraient perçu s'ils étaient restés dans ce que, de façon curieuse, on nomme une « position normale d'activité ». Au demeurant, la préférence donnée à la formule du détachement sous contrat sur la position normale d'activité n'est pas irrégulière en soi, et fait d'ailleurs l'objet d'un nombre non négligeable de dispositions législatives et réglementaires.

Le deuxième point que nous avons retenu, et qui rejoint évidemment vos préoccupations, porte sur l'évolution de la masse salariale et des rémunérations. Certes, nous ne sommes pas dans les grands chiffres, puisqu'il s'agit de quelques centaines de millions d'euros, mais rien ne justifie que ces autorités indépendantes échappent à l'exigence la plus rigoureuse possible quant à leurs crédits dans une période où l'on tente de maîtriser l'évolution des dépenses de fonctionnement.

Pour chacune de ces AAI comme de façon globale, nous avons analysé les causes classiques de l'évolution de ces effectifs et des rémunérations. Toutefois, dans un certain nombre de cas, nous aurions besoin d'explications plus précises. Car si une partie est imputable à la croissance des effectifs, ce qui est parfaitement transparent, une autre part est due à des régimes de rémunération assez généreux et connaissant plutôt une dynamique de croissance.

Après avoir dépeint la situation générale, je souhaiterais distinguer deux catégories de sujets.

La première concerne le régime de rémunération et d'indemnité des présidents ou des membres des autorités collégiales, qui peut être le Défenseur des droits ou le président de telle ou telle autorité.

Lors de l'examen de la loi du 20 janvier 2017, un amendement prévoyant qu'un décret définirait le niveau général de ces rémunérations a été rejeté. C'est donc le décret statutaire portant création de chaque autorité administrative, en général complété par un arrêté, qui en fonde la base juridique. Ainsi, à deux exceptions près, chaque régime de rémunération est-il propre.

La question qui se pose par ailleurs est celle du niveau élevé de ces rémunérations, qui fait l'objet d'un tableau figurant dans le rapport, mais que vous connaissez puisque ces informations sont désormais données en annexe du projet de loi de finances. Quelles sont les raisons d'objectivation de ces niveaux de rémunération ? Ce peut être le secteur régulé, dans le domaine économique et financier par exemple, ou l'importance des fonctions à l'égard des enjeux. Mais nous ne disposons pas pour l'instant de critères d'objectivation dans l'absolu. Pour l'avenir, on peut considérer qu'il ne serait pas absurde de disposer de tels critères. Ce qui ne relève probablement pas de la loi sauf si la représentation nationale souhaitait revenir sur le texte de 2017 en prévoyant de donner un cadre à ces rémunérations.

Nous avons par ailleurs relevé une série de situations particulières mal prises en compte par la loi : il s'agit du cumul des pensions de fonctionnaire avec les rémunérations de président d'activité, qui peut être intégral. Le code des pensions de la fonction publique étant assez complexe, nous avons vérifié chaque situation sans cependant constater d'irrégularité ; ce qui n'interdit pas à chacun d'avoir une opinion sur l'étendue de ce cumul.

Nous avons enfin constaté que dans la fixation de ces rémunérations, eu égard au régime de pension de tel ou tel dirigeant, les situations arrêtées par le Gouvernement étaient différentes. Ainsi le niveau de prime du président de la HATVP n'est-il en rien comparable avec celui des autres dirigeants d'autorités de régulation.

La seconde catégorie de sujets concerne la rémunération des personnels.

Cette rémunération est en général supérieure à celle observée dans la fonction publique, pour des raisons assez simples qui tiennent au recrutement massif de contractuels et au détachement de fonctionnaires sur contrat, avec des gains supérieurs de 5 %, 10 %, 15 %, ou parfois plus.

Cette situation pose-t-elle problème ? Certes, cela coûte de l'argent mais certaines de ces autorités, notamment les plus techniques comme l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) ou la CRE ont besoin de profils de très haut niveau, de même que la CNIL ou l'Autorité de la concurrence ont besoin de spécialistes du numérique ou de juristes très pointus qu'il faut rémunérer.

S'agissant du détachement de fonctionnaires sur contrat, s'il se justifie pour des profils très spécifiques à haut niveau de rémunération, il serait en revanche préférable de rester au niveau qui était le leur pour des fonctions support, qui ne sont guère différentes selon que l'on exerce dans une administration ou dans une autorité administrative.

C'est pourquoi, lorsque cela n'existe pas déjà, nous recommandons l'adoption d'un cadre de gestion pour chaque autorité. Mais, là encore, une telle mesure relève davantage du domaine réglementaire.

Que peut-on faire pour parvenir à une meilleure maîtrise des effectifs et des dépenses de rémunération ?

L'article 23 de la loi ordinaire du 20 janvier 2017, qui prévoit la publication d'un rapport spécifique à ces autorités, en annexe au projet de loi de finances, permet d'ores et déjà d'obtenir la transparence maximale, puisque cette mesure permettra de suivre d'une année sur l'autre l'évolution des effectifs et des rémunérations.

S'agissant de l'architecture budgétaire, nous n'avons pas jugé opportun la création d'un programme budgétaire propre aux autorités administratives indépendantes, qui aurait mélangé des choux et des raves. De fait, certaines AAI plutôt généralistes dans le domaine de la régulation de la liberté et du droit se trouvent rattachées au programme 308, qui relève des services du Premier ministre, alors que d'autres sont rattachées au programme plus sectoriel avec lequel elles ont le plus d'affinités. À tout le moins, la commission des finances peut prévoir une action susceptible d'être suivie en loi de finances.

Par ailleurs, les AAI sont exemptées du contrôle financier de par la loi que vous avez votée qui prévoit que la loi de 1922 ne s'applique pas à elles. Faut-il en rétablir un ? Avec quel objet ? Pour nous la question reste ouverte. Il faut à tout le moins, selon nous, renforcer considérablement le dialogue de gestion entre le responsable de l'autorité et le haut fonctionnaire qui gère le programme afin que les demandes de crédits complémentaires soient mieux justifiées. Cet exercice pourrait être formalisé dans une charte de gestion, toutes ces mesures relevant, elles aussi, du domaine réglementaire.

Enfin, nous nous sommes interrogés sur la démarche de mutualisation entre les diverses AAI, qui est balbutiante, car débutante. On peut sans doute aller beaucoup plus loin. D'abord en matière de mutualisation immobilière, avec les promesses de regroupement d'un certain nombre d'autorités sur le site de Ségur-Fontenoy, qui justifierait la concentration de l'ensemble des fonctions support. Nous considérons en effet qu'un gros effort reste à fournir en matière de gestion des ressources humaines. D'autres perspectives de mutualisation existent par ailleurs dans le domaine des agences du secteur sanitaire et médico-social.

Le rapport n'évoque pas la question sous-tendue par toutes ces remarques, qui est celle du regroupement des autorités administratives indépendantes. Peut-être pourrons-nous avoir un échange à ce sujet.

Pour conclure, s'il est normal que ces autorités disposent d'une indépendance fonctionnelle et d'une autonomie de gestion, il est tout aussi normal que celles-ci soient encadrées et, surtout, justifiées. Avec un encadrement plus précis des rémunérations, il est sans doute possible de veiller à une évolution raisonnable. Quant aux créations d'emplois supplémentaires, s'il n'est certes pas question de les refuser par principe, elles doivent être très sérieusement justifiées par des indicateurs précis. Nous avons ainsi demandé à la CNIL d'objectiver ses demandes au regard des attributions qui lui sont confiées.

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