En partant de l'exemple d'un événement donné, je vais revenir sur la conduite de l'évaluation de la sûreté et de la gestion du risque. Comme je l'ai dit précédemment, sont considérés comme des aléas les risques d'inondation, de températures extrêmes, de vent et de pluie – les inondations et les tempêtes constituant les risques principaux en zone côtière. On considère actuellement que les revues de sûreté décennales permettent de suivre l'élévation de la mer, et de revoir tous les dix ans les dispositifs destinés à faire face à ce risque avec une marge de sécurité suffisante, dans la mesure où le phénomène est relativement lent.
Initialement, les installations ont été conçues et réalisées suivant des référentiels appelés règles fondamentales de sûreté. Pour ce qui est des installations situées en zone côtière, nous nous appuyons sur une règle fondamentale de sûreté datant de 1984 ; celles qui ont été construites avant cette date ont permis un retour d'expérience, et celles qui ont été construites après ont intégré les principes de l'évaluation des dispositifs et de la démonstration de sûreté.
En 1999, une tempête a causé de gros dégâts en France, surtout dans sa partie sud. Le soir du 27 décembre 1999, la centrale nucléaire de production électrique du Blayais, située sur l'estuaire de la Gironde, entre Bordeaux et Royan, a été particulièrement concernée par cet événement, puisqu'elle a subi une inondation de sa plate-forme et de plusieurs de ses galeries techniques souterraines, ayant conduit à une perte du réseau électrique sur deux réacteurs, et à l'arrêt de ces réacteurs. Dans les heures qui ont suivi, on a également constaté une obturation de la station de pompage de l'eau, provoquant un arrêt de la tranche 1. Une conjonction d'événements, résultant à la fois de la hauteur exceptionnelle des eaux de la Gironde et de celle des vagues – augmentée par des vents violents – a conduit à l'isolement logistique du site, puisque les routes ont été coupées par l'inondation des terrains à proximité. Ainsi, en quelques heures, la centrale du Blayais s'est trouvée placée dans une situation très délicate, ce qui a conduit l'Autorité de sûreté nucléaire à gréer l'organisation nationale de crise.
Fort heureusement, la reprise des commandes électriques est intervenue avant que l'installation ne se dégrade, et l'exploitation de la centrale a pu se poursuivre sans dommages. Néanmoins, notre attention a été très fortement attirée par cet événement, qui nous a obligés, dans les années qui ont suivi, à revoir la règle fondamentale de sûreté qui prévalait jusqu'alors. Cette règle intégrait une méthode de calcul du niveau maximal admissible de la cote majorée de sécurité à prendre en compte dans l'élaboration de l'installation, basée sur des niveaux de marée historiques et une surcote dite millénale.
En 1999, certains facteurs ont été insuffisamment pris en compte : la forte dépression touchant la zone concernée a en effet été à l'origine d'une élévation de la mer, donc du niveau de la Gironde – résultant à la fois du débit des eaux des deux fleuves qui l'alimentent et du niveau des marées. Sur des eaux d'un niveau déjà élevé, les vents très forts qui soufflaient durant la tempête ont soulevé des vagues excédant le clapot, qui ont provoqué l'inondation que j'ai évoquée.
Nous avons donc mené, en appui de l'Autorité de sûreté nucléaire, un travail technique consistant à revoir la règle fondamentale de sûreté, qui nous a conduits à publier en 2013 un guide relatif à la « protection des installations nucléaires de base contre les inondations externes ». Entre-temps, un certain nombre d'éléments avaient déjà été reconsidérés, notamment en ce qui concerne la cote majorée de sécurité, celle-ci intégrant désormais ce que l'on appelle les horsains, c'est-à-dire les événements rares ; de manière forfaitaire, on y a également ajouté une cinquantaine de centimètres ; enfin, on a pris en compte une modélisation des vagues, afin de répondre aux conséquences du phénomène observé en 1999. L'ensemble de ces modifications a entraîné, pour la centrale du Blayais, le passage de la cote majorée de sécurité d'un peu plus de 5 mètres à 6,30 mètres – avec la construction d'une digue permettant de faire face à des événements de cette amplitude.
Parallèlement, d'autres éléments de conception ont été revus. Ainsi, il a été décidé d'obturer tous les passages par lesquels l'eau pourrait atteindre des éléments importants pour la sûreté de l'installation. De son côté, EDF a mis sur pied une force d'action rapide nucléaire qui permet d'intervenir sur toutes les installations dans un délai très court, avec des moyens techniques importants.
Un centre local de gestion de crise a également été créé, et le système d'alerte a été renforcé – car, s'il avait fonctionné en 1999, il n'avait pas pris l'événement en compte suffisamment tôt. Le système actuel permet de prévenir, plus de vingt-quatre heures à l'avance, de l'imminence d'événements de cette nature : il ne s'agit pas d'alerter seulement EDF, mais aussi l'autorité de sûreté et son expert, l'IRSN.
Ce délai plus important nous permet d'anticiper une éventuelle difficulté d'exploitation sur une installation et, en cas de problème de rejets, la gestion des populations et du territoire environnant.
Cet exemple illustre la façon dont a évolué, ces dernières décennies, la prise en considération des inondations dues notamment à l'élévation du niveau des mers qu'on évalue à vingt centimètres par décennie. L'appréciation de l'aléa – par définition l'aléa est incertain – peut donner lieu à une révision des référentiels de sûreté et contraindre l'exploitant à redimensionner fortement son installation.
Enfin, l'événement de Fukushima a entraîné une demande de révision de l'ensemble de l'analyse de sûreté des installations nucléaires en France, notamment celles situées sur le bord de côte, en tenant compte d'une augmentation du niveau des mers de cinquante centimètres, élément qui n'avait pas été inclus dans les évaluations de sûreté antérieures.
Tel est le processus qui a conduit à une évolution de la réglementation, de la gestion de crise et du dimensionnement d'une installation d'exploitation.
Les centrales nucléaires en zone côtière – Manche et mer du Nord – sont au nombre de cinq : Gravelines, Penly, Paluel, Flamanville et enfin Le Blayais, située en zone estuarienne. Les centrales de Penly, Paluel et Flamanville ne posent pas de problème délicat au regard de l'inondation et du niveau des mers dans la mesure où leur plateau de support est installé dans la falaise, à une hauteur très largement suffisante en cas d'élévation du niveau de la mer due à une modification du climat, voire à des tempêtes particulières. La centrale de Gravelines, proche de Dunkerque, a été construite initialement avec une cote majorée de sécurité dont le coefficient était insuffisant au regard de l'événement du Blayais et du guide de référence émis pour la réalisation et le suivi des installations. L'élément délicat de cette installation reste le canal d'amenée d'eau de refroidissement : ces dernières années, l'opérateur a dû procéder à une élévation, de l'ordre de quatre-vingts centimètres à un mètre, du muret qui sépare ce canal d'amenée des installations nucléaires à proximité ; et de nouvelles instructions et échanges techniques pourraient entraîner une nouvelle augmentation de la hauteur de ce muret, déjà significative par rapport à la construction initiale. Deux de ces cinq sites font donc l'objet d'une attention particulière ; la centrale de La Hague, située à un niveau beaucoup plus haut, n'intéresse pas la zone côtière et l'élévation du niveau des mers.