Si vous le permettez, mesdames et messieurs les députés, je prendrai quelques minutes pour replacer dans un ensemble plus global l'ensemble des éléments qui viennent d'être évoqués.
Ce que je constate, plusieurs parmi vous l'ont rappelé, c'est notre commune volonté de rendre inéligibles des personnes qui ne sont pas dignes d'être élues en raison de leur manquement à la probité.
Je souhaite tout d'abord rappeler qu'une disposition pénale allant dans ce sens est déjà en vigueur : la peine complémentaire de perte des droits civiques, civils et de famille, prévue à l'article 131-26 du code pénal, emporte l'inéligibilité ; elle peut être prononcée par le juge, sans qu'il en ait l'obligation.
Il faudra garder cela à l'esprit lorsque nous évoquerons les délits qui doivent ou non conduire à la peine quasi automatique que nous proposons. En effet, il ne faudra pas oublier que la perte des droits civiques sera toujours possible pour ceux qui n'entreront pas dans le champ que nous prévoirons.
Le Gouvernement a donc souhaité aller plus loin que les dispositions actuelles. Deux voies étaient possibles, vous l'avez rappelé les uns et les autres, que ce soit pour l'espérer ou pour le craindre. La première voie était de rendre inéligibles les personnes qui ne disposent pas d'un casier judiciaire B2 vierge. Une telle mesure paraît simple et radicale. Ce n'est cependant pas tout à fait le cas car, me semble-t-il, elle pose une question de constitutionnalité, j'y reviendrai. La seconde voie, celle que le Gouvernement a finalement retenue pour contourner la question de la constitutionnalité, est le prononcé d'une peine complémentaire d'inéligibilité pour tous ceux qui manquent aux exigences de la probité.
Je reviens un instant sur l'option du casier judiciaire vierge B2, qui a été écartée, je vous l'ai dit, en raison d'un risque qui nous semble réel et sérieux d'inconstitutionnalité. Nous sommes bien en effet dans un État de droit et la Constitution prévaut sur l'ensemble des autres règles personnelles, notamment de morale. Certains d'entre vous ont rappelé pourquoi le choix du casier judiciaire vierge présente un risque d'inconstitutionnalité. Le Conseil constitutionnel considère en effet que les peines automatiques sont contraires au principe d'individualisation des peines, garanti par l'article 8 de la Constitution, et à l'ensemble des principes qui en découlent.
Or le mécanisme imposant un B2 vierge peut être assimilé à une peine automatique. En effet, au terme de décisions que le Conseil constitutionnel a prises en 1999 et en 2010, les interdictions d'exercer un mandat électif ne sont pas considérées comme de simples mesures de sûreté édictées pour garantir la moralité, contrairement à un certain nombre d'interdictions professionnelles, qui sont en réalité des sanctions, des punitions. Cette distinction est tout à fait normale car l'exercice d'un mandat électif n'est pas assimilable à l'exercice d'une simple profession ; il répond à une exigence beaucoup plus forte. Il est donc normal que l'interdiction d'un mandat électif soit assimilable à une peine. On touche ici à une question de droit fondamentale.
La procédure que nous avons pu imaginer un instant autour du B2 ferait découler d'une condamnation pénale une mesure privative de droits, qui s'appliquerait de manière automatique alors même que la juridiction n'aurait pas décidé de condamner le coupable à une peine complémentaire d'inéligibilité.
C'est donc afin d'éviter tout risque de censure du Conseil constitutionnel que le Gouvernement souhaite la réintroduction dans le projet de loi du mécanisme de peine complémentaire obligatoire, pour lequel le Conseil d'État n'a pas identifié de risque d'inconstitutionnalité. En effet, cette peine-là devra être explicitement prononcée par le juge, sa durée pourra être modulée et la juridiction pourra l'écarter expressément, par une décision spécialement motivée en considération des circonstances de l'espèce. Ce dispositif nous semble donc plus efficace que celui du casier judiciaire vierge, malgré l'apparence que peuvent revêtir ces deux solutions.
Je vous rappelle par ailleurs qu'il est possible d'être relevé d'une mention inscrite au B2 et d'en obtenir la radiation. Certains condamnés pourraient ainsi obtenir la radiation de cette mention et d'autres non, sans que l'on puisse s'assurer de la cohérence de ces décisions au regard de l'objectif commun qui est le nôtre. Cette situation pourrait être génératrice d'inégalité, si bien qu'au-delà du risque de censure constitutionnelle que j'ai déjà évoqué, l'effet d'une telle réforme ne serait pas nécessairement aussi radical que celui qui était attendu.
Reste maintenant à évoquer la question du champ des infractions qui peuvent conduire au prononcé de cette peine. Comme Mme Forteza l'a rappelé, dans son projet initial, le Gouvernement a fait le choix suivant : la peine complémentaire d'inéligibilité sera prononcée pour les crimes et pour les délits de manquement à la probité considérés dans une acception élargie, en référence, en particulier, Mme Vichnievsky l'a souligné, à la liste des infractions pour lesquelles le procureur de la République financier est compétent. Il s'agissait donc de viser essentiellement la probité financière.
La question s'est ensuite posée de l'extension de cette liste de délits. Elle renvoie à l'idée que l'on peut se faire des atteintes considérées comme étant d'une nature telle qu'elles devraient faire obstacle à l'éligibilité. Nous nous trouvons là devant un problème d'énumération et devant la question récurrente qui s'y attache : où doit-on s'arrêter dans l'élaboration d'une telle liste ? Le groupe La République en marche propose, avec l'amendement no 572 de Mme Forteza, de reprendre le dispositif initialement présenté par le Gouvernement. Je salue cette initiative, pour les raisons que j'ai évoquées à l'instant.
Cet amendement propose aussi d'introduire un complément très circonscrit à la liste des délits. Ainsi, en sus des infractions les plus graves que constituent les crimes et les atteintes à la probité et à la confiance publique, le dispositif proposé concerne également les faits de discrimination, injures ou diffamation publique, provocation à la haine raciale, sexiste ou à raison de l'orientation sexuelle. Le Gouvernement est favorable à cette démarche, qui permet de ne pas étendre à l'infini la liste des délits concernés mais intègre des infractions nous semblant porter atteinte aux valeurs républicaines que tout élu doit partager.
Le Gouvernement souhaite également qu'il soit possible de reprendre dans ce dispositif les éléments introduits à l'unanimité par le Sénat concernant les délits de harcèlement et, par cohérence, de violence sexuelle. Comme je l'avais indiqué au Sénat, la secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, et moi-même souhaitions nous pencher sur cette question. Il nous semble qu'introduire ces délits dans la liste en question est cohérent avec les objectifs poursuivis par le texte ainsi que par l'amendement no 572 . Le sous-amendement no 621 du Gouvernement, relatif aux discriminations opérées entre les personnes qui auraient subi ou refusé de subir des faits de harcèlement, permet de faire le tour de la question et d'assurer la cohérence de l'ensemble du dispositif.