Dans ce contexte, chers collègues, j'estime que le rôle de la France est particulièrement important. Le Conseil de l'Europe est légitime pour traiter des sujets relatifs aux droits de l'homme, qui peuvent concerner, le cas échéant, un cas spécifique dans un pays donné. C'est bien sa mission et celle de son bras armé, la CEDH, de promouvoir les droits de l'homme et de dénoncer et de condamner les manquements. La CEDH est aujourd'hui le dernier recours d'un citoyen contre son propre État ; c'est un droit fondamental pour chacune et chacun des citoyens européens.
Vous l'avez dit, madame la présidente de la commission, Emmanuel Macron s'est rendu, le 31 octobre dernier, à Strasbourg, à la CEDH. C'était le premier Président de la République française à venir s'adresser aux juges de la Cour. Il a posé une question fondamentale, qui rejoint finalement les propos qui viennent d'être tenus par M. Larrivé : est-ce renoncer à sa souveraineté que d'accepter le rôle du Conseil de l'Europe et de la CEDH ? La réponse est claire et simple : non, ce n'est pas renoncer à sa souveraineté ; c'est au contraire faire un choix délibéré, en reconnaissant que les droits de l'homme n'ont pas de frontières et que l'interprétation locale ou la culture spécifique de tel ou tel n'a pas à contrecarrer la défense des droits de l'homme. En signant notre engagement au Conseil de l'Europe, nous affirmons que les droits de l'homme et leur respect dépassent le cadre des frontières nationales et ont un caractère universel.
Nous avons eu à plusieurs reprises ce débat essentiel avec nos collègues parlementaires – je salue Nicole Trisse, présidente de la délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe – , avec le juge français et avec l'ambassadeur de France auprès du Conseil de l'Europe, M. Jean-Baptiste Mattei. En termes de droit, nous affirmons que les décisions de la CEDH s'imposent à nous, même si elles condamnent la France. En termes de valeurs, nous affirmons que les droits de l'homme ne sont pas l'affaire de tel ou tel, mais sont universels et s'imposent à tous. En termes de principes démocratiques, nous affirmons qu'il est important qu'un citoyen puisse invoquer la CEDH et de pouvoir défendre ses droits, y compris contre son propre État. Enfin, en termes politiques, nous affirmons notre soutien au Conseil de l'Europe et à la CEDH, parce qu'ils sont le fruit de notre tradition humaniste et de siècles de démocratie, et qu'ils constituent une étape importante de notre attachement profond et réel aux droits de l'homme.
Je citerai à mon tour quelques exemples. N'oublions pas, mes chers collègues, que c'est la jurisprudence de la CEDH qui est directement à l'origine de la dépénalisation de l'homosexualité en Irlande, de l'abolition des châtiments corporels dans les écoles britanniques ou encore de l'adoption par la France d'une législation encadrant les écoutes téléphoniques !
La jurisprudence de la CEDH et le protocole no 16 ouvrent donc des possibilités. Sans reprendre les propos de Mme la présidente de la commission sur les spécificités du protocole no 16, j'aimerais présenter trois éléments qui me semblent clés. Tout d'abord, je le dis à mon tour, il diminuera évidemment le nombre de contentieux potentiels, en rendant possible un renforcement du dialogue en amont entre les juridictions nationales et la CEDH. Ensuite, il réduira les zones de conflit entre les différentes instances. Enfin, il offrira de nouvelles garanties à nos juridictions puisqu'elles auront la faculté de s'exprimer lorsqu'elles saisiront la Cour pour avis, en proposant une lecture et une interprétation du droit conformes à nos souhaits, et donc d'influencer positivement l'ensemble de la jurisprudence de la CEDH.
Il est plus que jamais nécessaire de renforcer les liens entre nos juridictions nationales et la CEDH. À notre sens, le protocole no 16 est essentiel. Je le dis avec d'autant plus de force que la Cour de cassation et le Conseil d'État estiment très utile cette faculté de saisine.
En conclusion, chers collègues, n'oublions pas que la ratification de ce protocole intervient à un moment déterminant et particulier de l'histoire du Conseil de l'Europe et de la CEDH. L'année 2019 marquera le soixantième anniversaire du Conseil de l'Europe, le soixante-dixième anniversaire des activités de la CEDH et le trentième anniversaire de la chute du mur de Berlin, fort en symbole. Par ailleurs, en 2019, la France occupera la présidence du Conseil de l'Europe, ce qui constituera une occasion unique de réaffirmer les valeurs et le rôle central du Conseil et de la CEDH. Je crois par conséquent que l'entrée en vigueur du protocole no 16 en 2018 serait un progrès dans cette logique juridictionnelle.
Vous l'aurez compris, le groupe MODEM vous invite à voter ce projet de loi de ratification. En tant que député alsacien, la question des droits de l'homme et de la préservation des droits et des libertés revêt pour moi un sens particulier. Défendre les droits de l'homme pour les citoyens d'aujourd'hui, c'est aussi défendre l'héritage de ceux qui ont lutté pour ces droits et ces libertés, et que nous ne devons jamais oublier. Strasbourg, ville des citoyens européens, siège de la CEDH et du Conseil de l'Europe, et où se concentrent beaucoup d'autres institutions, comme le Parlement européen, qui placent le citoyen au coeur de leur action, prendra toute sa part dans ce débat.