Intervention de Béatrice Descamps

Séance en hémicycle du jeudi 15 février 2018 à 9h30
Protocole no 16 à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBéatrice Descamps :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, chers collègues, le projet de loi que nous examinons ce matin a pour but essentiel, vous le savez, d'améliorer le dialogue entre les juridictions nationales des quarante-sept pays membres du Conseil de l'Europe et la Cour européenne des droits de l'homme. Il s'agit en effet de ratifier le protocole no 16 à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui met en place un mécanisme de demande d'avis consultatif de la part des juges nationaux à la Cour européenne des droits de l'homme.

Avec le protocole no 16, les plus hautes juridictions pourront désormais adresser à la CEDH des demandes d'avis consultatifs sur des questions de principe relatives à l'interprétation ou à l'application des droits et libertés définis par la convention ou ses protocoles concernant une juridiction nationale dans le cadre d'une affaire pendante devant elle. Les demandes d'avis pourront être rejetées de manière discrétionnaire, mais ce rejet devra tout de même être motivé. La recevabilité de ces demandes sera étudiée par un collège de cinq juges de la grande chambre, et c'est cette dernière qui donnera son avis consultatif. Cet avis, purement consultatif, ne fera en aucune façon office de décision, et les juges nationaux ne seront soumis à aucune obligation une fois qu'il sera émis.

C'est ce caractère consultatif qui pourrait paradoxalement être la principale critique de ce mécanisme, l'absence de caractère contraignant faisant craindre son inutilité. Toutefois, les avis exprimeront l'interprétation des dispositions de la convention telle que conçue par la CEDH, et il serait contraire au bon sens de ne pas les suivre, d'autant qu'en cas de saisine ultérieure, la grande chambre ne devrait pas se déjuger.

Le deuxième aspect critique serait le rallongement potentiel du temps de la procédure juridique en attendant la délivrance de l'avis de la Cour. En effet, le protocole ne prévoit pas de délai d'examen des demandes, même s'il est prévu qu'elles dernières bénéficient d'un traitement prioritaire. Il convient toutefois d'être vigilant sur ce point, monsieur le secrétaire d'État, le respect d'un délai relativement court étant très important, comme vous l'avez relevé dans votre rapport, madame Poletti. Des délais excessifs, de trois à six mois, pourraient avoir un effet dissuasif sur le recours à ce mécanisme.

Celui-ci permettra surtout d'analyser la situation sous un autre angle, plus objectif, et de faire avancer des affaires parfois compliquées. Bien qu'il ne s'agisse aucunement d'une obligation et que les États membres n'aient pas le devoir de s'en servir, ce protocole reste un outil important et intéressant sous plusieurs angles, d'abord pour ceux qui y auront recours.

Il répond à un réel besoin de gestion des affaires judiciaires au niveau européen, en permettant de diminuer le nombre de saisines de la CEDH. Les statistiques de la Cour européenne des droits de l'homme démontrent qu'au cours de l'année 2017, plus de 63 000 requêtes ont été déposées à la Cour européenne des droits de l'homme, soit une augmentation de 19 % par rapport à l'année précédente. Cependant, 49 400 d'entre elles ayant été déclarés irrecevables, pour différentes raisons, elles n'ont pas été traitées par un comité. Cette augmentation représente une charge de travail considérable. Les requêtes pourraient être traitées plus rapidement, avec plus de précision et dans de meilleures conditions.

En parallèle, le protocole d'avis consultatif permettrait de s'occuper de cas qui n'auraient pas été acceptés en tant que requêtes mais qui n'en restent pas moins importants aux yeux des demandeurs. Ces chiffres mettent en avant la nécessité du protocole, mais également celle de la reconnaissance de sa légitimité par les pays membres du Conseil de l'Europe.

Autre aspect bénéfique, le mécanisme des avis consultatif permettra de faire converger progressivement le droit des quarante-sept pays membres du Conseil de l'Europe. Dans les faits, les législations des pays membres ne sont pas toutes identiques et les juges nationaux sont soumis aux influences de leur propre législation. Le simple fait que l'avis soit seulement consultatif est déjà un gage de clarification et de simplification dans la gestion des affaires judiciaires. Il existe bien un aspect inquisitoire puisque c'est un avis, mais il ne s'agit pas d'un arrêt ou d'une décision. Cette nuance est importante, car les échanges seront facilités.

Gage de démocratie et d'égalité, le paragraphe 2 de l'article 4 du protocole mentionne expressément que les opinions dissidentes seront autorisées et que les juges auront le droit d'exposer leur opinion suite à l'avis émis. Ce point est essentiel pour comprendre le but du protocole. Il sera ainsi possible de prendre du recul vis-à-vis des affaires et, grâce à l'expérience et l'expertise d'autres juges, et en se référant également à des cas similaires, d'avoir une meilleure approche du litige dont il est question. Le débat est aussi un aspect essentiel de ce protocole : c'est à travers le débat et la confrontation des différentes opinions qu'il est parfois possible de mieux comprendre la situation ; c'est seulement en engageant et en facilitant le dialogue que les litiges judiciaires peuvent être traités dans les meilleures conditions et de façon plus juste.

De plus, à travers ce protocole, il sera possible d'améliorer la convention européenne des droits de l'homme. La liberté et les droits de l'homme ne sont pas figés et doivent être approfondis ; la lutte pour y parvenir est plus ou moins intensive, mais permanente. La liberté et les droits de l'homme, dans leur définition même, sont voués à changer au fil des réflexions et des considérations.

Le protocole no 16 est essentiel pour améliorer et assurer un dialogue ouvert entre les hautes instances juridiques du Conseil de l'Europe et ses quarante-sept États membres. C'est un pas de plus dans le renforcement de la démocratie au sein de l'Europe et de chaque pays membre. Il s'agit même d'une richesse, qui alimente une forme d'égalité entre tous les pays. Ce protocole a déjà été ratifié par huit pays membres et entrera en vigueur lorsque dix États l'auront ratifié. Nos différentes cultures et coutumes enrichissent les opinions et les débats.

C'est une richesse, et même une chance, que d'avoir à disposition de telles différences, qui définissent l'Europe. Cela peut effectivement poser des problèmes et aboutir à des impasses, mais il est de notre devoir de savoir utiliser ces procédés et d'en tirer tous les avantages possibles. Il est de notre devoir, et de celui de la Cour européenne des droits de l'homme, de continuer à oeuvrer dans ce sens et d'inciter, voire de faciliter ce travail. Ce système est, en quelque sorte, un moyen de continuer à améliorer tout ce que nous avons déjà pu construire.

Le protocole no 16 est nécessaire et représente un pas en avant vers l'harmonisation et la clarification des législations des membres du Conseil de l'Europe. Il constitue une avancée en matière de préservation des droits de l'homme ; il permettra d'améliorer ce qui a déjà été fait et de travailler sur ce qui reste à faire. Pour toutes ces raisons, le groupe UDI, Agir et indépendants votera pour cette ratification.

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