Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du jeudi 15 février 2018 à 9h30
Protocole no 16 à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

Je rappellerai quelques dispositions de ce texte : l'augmentation de la durée maximale de rétention administrative à 135 jours, qui brouille la frontière entre rétention et détention ; la systématisation des obligations de quitter le territoire français ; l'autorisation des fouilles de bagages et des inspections visuelles ; automatisation de la prise des empreintes digitales et de la prise en photo des étrangers, considérés de fait comme des délinquants présumés. Bref, la Cour européenne des droits de l'homme aura fort à faire, je pense, avec la future loi que la majorité nous prépare !

Il convient également d'évoquer l'article 9 de la convention, qui garantit le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. D'autres articles – je ne les citerai pas tous ni n'en préciserai l'importance exhaustivement – portent sur la liberté d'expression ainsi que sur le droit à la vie de famille et à la vie privée. En outre, la jurisprudence récente de la CEDH reconnaît le droit à la vie privée au travail. Néanmoins, force est de constater que ces principes, si fondamentaux soient-ils, sont loin d'être respectés partout, notamment en raison de l'extension sans aucune limite ni réglementation du télétravail.

Au-delà la nécessaire amélioration de la communication entre les juges de la Cour européenne des droits de l'homme et ceux des juridictions nationales, nécessaire et prévue par le présent protocole, il faut travailler au renforcement de l'application de ces grands principes. Nous savons tous en effet que de nombreux pays, dont le nôtre, par exemple, s'affranchissent régulièrement du respect de certains droits fondamentaux.

Ainsi, la France a été condamnée six fois par des arrêts visant la rétention de familles comportant des enfants mineurs, ceux-ci subissant de ce fait un traitement allant à rencontre des articles 3, 5 et 8 de la convention européenne des droits de l'homme, relatifs respectivement à l'interdiction de la torture, au droit à la liberté et à la sûreté et au droit au respect de la vie privée et familiale. Pourtant, la France n'a toujours pas modifié sa législation et s'apprête même à la durcir avec le projet de loi relatif à l'immigration.

En 2016, près de 4 500 enfants sur 45 000 personnes au total ont transité dans les centres de rétention administrative français. Cet enfermement, prévu pour les étrangers faisant l'objet d'une procédure d'éloignement du territoire et ne pouvant quitter immédiatement le pays, est strictement encadré par la loi, qui prévoit notamment une limitation de durée, un contrôle juridictionnel et des conditions de rétention spécifiques. Rien n'a été laissé au hasard, sauf pour les mineurs.

Plusieurs associations, notamment France terre d'asile et la CIMADE, dénoncent dans leurs rapports annuels les dérives et les abus découlant de cette privation de liberté. Au cours de l'année 2016, plusieurs violations des droits de l'enfant ont été rapportées : certains enfants ont été enfermés dans des conditions inadaptées, arrachés des bras de leur mère, retenus plus longtemps que la loi ne le permet et même, notamment dans les Alpes-Maritimes, placés de force dans des trains, ce que la loi ne permet pas. Les enfants sont parfois soumis au même traitement que celui infligé aux adultes, en dépit de la spécificité de leurs besoins.

Notre pays a également été condamné à de nombreuses reprises en raison des conditions d'incarcération des condamnés et de l'état de ses prisons, jugées indignes et dégradantes pour les détenus – il est d'ailleurs très difficile d'y travailler, comme l'a démontré le récent mouvement social des personnels pénitentiaires. Sur ce point également, rien n'est fait depuis des décennies. Il faut rappeler que, si les prisons servent à punir, elles servent aussi à réhabiliter ; en la matière, la France est très loin du compte.

En définitive, entre 1959 et 2012, la France a fait l'objet de huit condamnations par la CEDH pour discrimination, de vingt-deux pour traitements inhumains, de deux pour travail forcé, de deux pour torture, mais aussi de 257 condamnations pour défaut de procès équitable et de 271 pour lenteur de procédure.

Certes, la jurisprudence de la CEDH ne va pas toujours dans le bon sens à nos yeux, notamment en matière de respect de la laïcité, lorsque ses décisions sont contraires à notre loi de 1905. Au demeurant, l'État n'a pas attendu les décisions de la CEDH en la matière pour y déroger, avec le maintien du concordat en Alsace-Moselle, l'acceptation par Emmanuel Macron du titre de chanoine du Latran et ses récentes déclarations suggérant qu'il estime devoir organiser lui-même certaines religions en France.

Il n'en reste pas moins que la France devrait parfois écouter plus attentivement les recommandations de la CEDH. Le protocole no 16 permettra d'améliorer le lien entre les juges nationaux et les juges de la Cour européenne des droits de l'homme, ce qui, je le répète, est une bonne chose. C'est pourquoi nous voterons sa ratification.

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