Monsieur le président, monsieur le rapporteur, autant vous dire d'avance que je ne pourrai pas répondre en une quinzaine de minutes à toutes les questions que vous avez soulevées.
Je commencerai par l'État actionnaire.
L'État détient dans des proportions variables des capitaux dans un nombre très important d'entreprises. Pour Bpifrance, le portefeuille de participations directes couvre environ 800 entreprises, principalement des petites et moyennes entreprises dans lesquelles le « ticket moyen » est de l'ordre d'1 million d'euros. Il est géré directement par nos équipes réparties dans nos cinquante agences régionales ainsi par les équipes spécialisées dans le capital-risque dans nos locaux parisiens.
Par ailleurs, nous finançons 360 fonds privés d'investissement, soit un fonds de capital-risque sur deux et trois fonds sur quatre de capital-développement PME. Ces fonds sous-jacents représentent quatre autres milliers d'entreprises, dont nous sommes de fait indirectement actionnaires.
À cela s'ajoutent les fonds de capital-investissement et de capital-risque que Bpifrance gère pour le compte du Programme d'investissements d'avenir (PIA). Autrement dit, l'activité de l'État actionnaire ne se limite pas à celles de la Caisse des dépôts et consignations, de l'Agence des participations de l'État et de Bpifrance ; il faut également y inclure celles du Commissariat général à l'investissement (CGI) : le portefeuille constitué au titre du PIA à travers le fonds Ambition numérique, le fonds Ecotechnologies, le fonds French Tech Accélération, le fonds Ville de demain, le fonds Sociétés de projets industriels (SPI), etc., représente au bout du compte une centaine d'entreprises, essentiellement des start-up et des incubateurs. Par ailleurs, le PIA est lui-même, par notre concours, co-investisseur dans un grand nombre de fonds français d'investissement privés.
Comment Bpifrance se coordonne-t-elle avec la Caisse des dépôts ? Depuis qu'Éric Lombard a été nommé directeur général, les choses sont beaucoup plus claires. Il a en effet pris la décision ferme que tout ce qui relevait du monde des entreprises revenait entièrement à la branche consacrée aux entreprises de la Caisse, autrement dit Bpifrance ; cela implique le transfert de CDC International Capital et l'éventuel transfert de participations technologiques par la suite. Les activités relatives aux fonds de fonds et au digital de la Caisse sont déjà exercées par notre banque. Nous gérons un fonds de 200 millions d'euros qui investit dans des start-up, essentiellement à l'étranger, relevant de domaines couverts par les filiales de la CDC : mobilité intelligente, smart cities, « assurtech ».
La CDC conservera ses grandes participations auprès de La Poste, de RTE – Réseau de transport d'électricité –, de Transdev, d'Egis, de CNP Assurances et de la Compagnie des Alpes. La CNP a son propre destin, comme vous le savez. Quant à Transdev, c'est une entreprise très liée aux territoires, tout comme la Compagnie des Alpes et Egis, qui est en quelque sorte le bureau d'études de la CDC pour ce qui concerne les infrastructures.
Pour l'APE, la doctrine d'investissement est celle qui a été fixée du temps où David Azéma en était le directeur général. Pour qui veut bien la lire attentivement, elle est tout aussi claire : l'APE doit se concentrer sur ce que j'appellerai le « souverain profond », autrement dit les infrastructures et la défense. Pour les infrastructures, cela renvoie à La Poste, EDF, la SNCF, la RATP, les infrastructures aéroportuaires ainsi que les réseaux de télécommunication d'Orange, en particulier la fibre – la partie « hard » alors que nous nous occupons plutôt des services. Pour la défense, il s'agit de Thalès, Safran, Dassault et Airbus. L'automobile fait exception dans ce beau jardin à la française : c'est la raison pour laquelle nous avons repris PSA, Renault ayant une dimension symbolique plus forte qui renvoie à histoire – le Conseil national de la Résistance, etc. –, mais également un management plus compliqué. Je souligne que c'est nous qui avons choisi le groupe PSA à un moment où nous nous retrouvions avec des ressources très significatives à investir.
Bpifrance détient 10 % d'Orange, participation qui remonte à la constitution du Fonds stratégique d'investissement (FSI) – j'y reviendrai. Elle a des participations au capital de STMicroelectronics dont je préside le conseil de surveillance, dans PSA, dans Eutelsat. À cela s'ajoutent des participations dans les entreprises technologiques et pétrolières : Technip, Vallourec, Ingenico, Morpho, Gemalto jusqu'à son transfert à Thales, Nexans et beaucoup d'entreprises de tailles intermédiaires (ETI).
Nous suivons une logique de fonds stratégique ; or un fonds stratégique poursuit deux vocations à la fois.
La première est d'engendrer du rendement. J'ai toujours dit que nous nous devions de rendre aux Français plus que les 20 milliards qu'ils nous avaient confiés pour nos fonds propres. Ce ne sera certainement pas 18 milliards au motif qu'il faudrait défendre certaines filières. Nous refusons de faire de la politique industrielle pure au prix d'une dégradation de la valeur de notre portefeuille. Cela dit, ce rendement n'est pas extraordinaire dans la mesure où c'est un portefeuille est risqué : les entreprises pétrolières et technologiques sont sujettes à des évolutions cycliques. Il varie entre 5 % et 6 % par an.
Deuxièmement, ce portefeuille a vocation à tourner : à la différence du souverain profond, qui tourne très lentement – il achète peu et vend peu –, le souverain de marché achète beaucoup et vend beaucoup. C'est la raison pour laquelle nous faisons de beaux profits : nous allons chercher les plus-values. Le résultat net de Bpifrance en 2017 sera supérieur à 1 milliard d'euros, du fait notamment des ventes de nos participations au capital de Valeo, de Schneider, d'Eiffage. Par parenthèse, les récents changements qu'a connus Technip – une fusion entre égaux et non une cession à un groupe américain – ont été interprétés d'un point de vue fiscal comme une transaction, donc une vente, ce qui a engendré pour nous une importante plus-value, qui sécrète de l'impôt et du dividende au profit de l'État.
C'est ainsi que nous concevons les lignes de partage. Quand je dis « nous », je fais référence au comité d'investissement de Bpifrance qui comprend, outre des administrateurs indépendants, la CDC et l'APE, dont les représentants sont toujours présents pour les tickets supérieurs à 20 millions d'euros.
Si demain une entreprise française ne relevant pas du souverain profond était attaquée, ce serait Bpifrance qui la défendrait. Et nous nous préparons à cette éventualité. C'est une stratégie claire dans l'esprit de tout le monde, qu'il s'agisse de l'APE, de la Caisse des dépôts ou des administrations et des cabinets ministériels.
Orange constitue un cas particulier, qui est lié à la constitution même du Fonds stratégique d'investissement. Quand ce fonds a été créé, Nicolas Sarkozy aurait aimé le doter de 100 milliards d'euros pour faire un effet de masse face aux grands fonds souverains étrangers. Cela s'est avéré trop compliqué compte tenu du fait que la participation de l'État et celle de la CDC devaient être égales. Or la Caisse ne pouvait pas mettre plus que 10 milliards d'euros. Pour les 10 milliards d'euros de l'État, la solution a été d'apporter une part de son portefeuille souverain : on aurait pu choisir EDF ou bien Thales mais c'est finalement Orange qui a été retenu car c'était probablement l'actif le plus résilient et le plus susceptible d'être vendu pour partie – et Renault était trop cyclique. Le fait est que la cogestion avec l'APE se passe très bien.
J'en viens au niveau des participations.
À la création de Bpifrance, la contrainte principale qui nous a été fixée a été que nous soyons systématiquement minoritaires. Nous n'avons pas le droit d'être majoritaire, sauf accord quasiment unanime au sein du conseil d'administration. C'est d'ailleurs moi-même qui ai veillé à ce que cette clause soit introduite pour permettre à la BPI de racheter la totalité ou la majorité du capital d'une entreprise menacée de passer dans des mains étrangères, quitte à la recéder ensuite. Ce cas ne s'est pas encore présenté et l'État est fortement opposé à ce que nous prenions une participation majoritaire, ce qui évidemment nous limite lorsqu'il s'agit de préserver des entreprises stratégiques.
Mais si nous prenons des participations minoritaires, nous adoptons un comportement d'activiste positif : sans vouloir donner des leçons, nous nous employons à faire entendre notre voix. Il fut un temps où le FSI nommait des administrateurs indépendants qui ne communiquaient pas avec lui au motif, teinté d'idéologie, que l'État n'avait pas à être physiquement présent à la table des conseils d'administration. Nous avons radicalement changé de doctrine, nous demandons des places dans les conseils d'administration. Des salariés de Bpifrance, des investisseurs professionnels, travaillent à temps plein sur telle ou telle participation, ce qui les rend capables d'opposer des faits et de formuler des recommandations. Ils apportent beaucoup aux différents conseils dans lesquels ils sont présents, qu'il s'agisse de celui de Nexans, de Peugeot, de Technip ou encore d'Eutelsat. Nous y passons du reste énormément de temps. Et avec seulement 5 %, il est possible de faire déjà beaucoup de choses en jouant de l'effet de levier. Les effets multiplicateurs sont indéniables. Il n'est pas nécessaire d'avoir une minorité de blocage.