C'est exactement la question que nous nous posons. En fait, les écosystèmes sont des ruches dans lesquelles il faut des reines. La reine de la ruche, c'est le grand groupe que l'on cherche à défendre parce que sans elle la ruche tombe. Dans certains secteurs, il y a plein d'abeilles, mais pas de reine ; du coup, les abeilles passent leur temps à s'envoler. C'est le cas par exemple de la medtech française qui est extrêmement riche, mais pas puissante. On engendre des tonnes de jolies start-up qui sont ensuite toutes vendues à des grands groupes américains pour 50 ou 100 millions d'euros – la semaine dernière, Vexim a même été vendu pour 180 millions d'euros. C'est une espèce de Gulf Stream d'intelligence qui part de France pour s'intégrer dans des ruches américaines, autour d'une reine américaine. Cela fait quatre ans que nous allons voir les familles et que nous leur demandons de devenir le consolidateur français. Et nous sommes prêts à leur verser 100 ou 200 millions d'euros s'il le faut. En fait, nous leur demandons si elles veulent bien faire le job de reine. Mais personne ne veut être couronné… Ce n'est pas facile.
En ce qui concerne le secteur du digital, nous n'avons malheureusement toujours pas réussi à engendrer une entreprise française – voire européenne – qui ait un cash-flow positif comme Facebook ou Google qui rachètent les autres et deviennent la reine du secteur. Nous n'avons pas réussi parce qu'on est dans une bataille d'influence mondiale : sitôt qu'une entreprise émerge, ils nous la rachètent !
Comme on ne parvient pas à créer un groupe de medtech, on pourrait très bien prendre la décision stratégique de demander aux chercheurs d'arrêter de chercher dans ce domaine-là et de se tourner vers un autre secteur, de cesser de créer des start-up de medtech et de les financer. Mais plutôt que de faire cela, nous demandons aux Américains de venir investir en France, car il faut que la boucle soit bouclée. On ne peut plus continuer avec ce système selon lequel c'est la puissance publique française qui finance toutes les abeilles qui sont ensuite rachetées par les Américains. Certes, elles les rachètent cher, mais nous leur demandons de faire plus, de créer des laboratoires en France, d'investir dans des fonds de capital-risque en France et de financer des fondations en France. C'est le modèle israélien que nous n'avons pas encore réussi à dupliquer. Les grandes compagnies américaines ouvrent massivement des laboratoires en Israël, ce qu'elles ne font pas suffisamment en France.
Voilà comment nous raisonnons. J'ajoute qu'il est très difficile de demander à des chercheurs d'arrêter de chercher…