Intervention de Henri Verdier

Réunion du mardi 13 février 2018 à 17h05
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Henri Verdier, directeur de la direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État (DINSIC) :

Le risque d'une dématérialisation qui se déchargerait du fardeau administratif sur d'autres existe. Du reste, l'État n'est pas le seul concerné. Je m'étonne, par exemple, que le dossier unique des marchés européens, s'il simplifie bien le travail au niveau européen – puisque ce dossier sera interopérable entre pays –, aboutisse à exiger des entreprises encore plus de pièces qu'auparavant, puisqu'on a additionné les différentes procédures au lieu de se situer à leur intersection. Nous essayons d'être attentifs à ce risque. Je ne veux pas en dire trop dans le cadre d'une audition publique mais, l'an dernier, par exemple, nous avons bloqué un projet auquel, estimions-nous, les collectivités locales ne pourraient pas se greffer facilement, faute d'une API bien documentée. C'est presque une question éthique : a-t-on réglé un problème parce qu'on l'a déplacé ? Certaines entreprises sont devenues très prospères en faisant monter par leurs clients les meubles qu'elle leur vendait... La tentation de confier le travail aux utilisateurs ou de l'externaliser peut donc exister. En tout cas, là aussi, la stratégie de « plateformisation » permet d'éviter une partie de ces difficultés.

Quant au catalogue de bonnes pratiques, monsieur Labaronne, c'est une très bonne idée. Mais les collectivités locales pourraient se fédérer d'elles-mêmes, sans attendre une intervention de l'État, et partager leurs bonnes pratiques. Cela dit, nous avons publié, hier, le référentiel des logiciels libres recommandés par l'État – ils sont au nombre de 138, pour l'instant – et nous nous efforçons de publier de véritables bonnes pratiques à suivre pour éviter de rater un grand projet, par exemple, ou pour réaliser un site clair et accessible – elles sont disponibles sur le site références.modernisation.gouv.fr. Un de nos leviers d'action est, du reste, de faire redécouvrir les bonnes règles par les acteurs eux-mêmes, et de les diffuser largement. Toujours est-il que, si vous deviez, aujourd'hui, créer le site que vous avez évoqué, « France Connect » vous dispenserait de vérifier l'identité des parents. J'ajoute que, dans deux ans, un système de paiement imaginé par la DGFiP vous permettra d'encaisser les règlements sans avoir à conclure un accord avec une banque. Nous avançons aussi en libérant de la ressource pour l'action. Si j'étais taquin, j'ajouterais que si l'ensemble des communes nous fournissaient la carte scolaire, ce serait formidable : actuellement, nous ne pouvons pas la diffuser en open data, et c'est bien triste.

Qu'en est-il de la prise de risque des managers publics ? C'est une véritable question. Nous, directeurs d'administration centrale, nous sommes dans une position très inconfortable car nous pouvons être virés tous les mercredis ! Nous ne vivons donc pas dans des bulles, à l'abri de tout risque. À cet égard, j'ai été frappé, moi qui ai travaillé dans les deux mondes, des différences qui existent entre le privé et le public. Dans le privé, lorsqu'on vous confie une business unit, on vous vous demande des comptes un an plus tard et, en cas d'échec, vous dégagez. En attendant, on peut recruter qui l'on veut, choisir de faire de la prestation ou de la masse salariale, décider de faire une campagne de publicité à la télévision... Dans le public, le manager public assume des responsabilités, est capable de prendre des risques, mais il n'a pas le pouvoir adjudicateur sur ses propres marchés et ne peut pas recruter qui il veut à cause du contrôle de gestion. Au début de l'année, on lui dit : « Voilà votre masse salariale, vos prestataires, les autorisations d'engagement et les crédits de paiement ». Il faudrait donc tester, me semble-t-il, un mode de fonctionnement fondé sur un contrôle a posteriori et sur une plus grande transparence, avec des managers qui auraient autant de latitude que ceux qui gèrent une business unit. Là, c'est très difficile. Il y a cinq ans, lorsque j'ai compris que je devais négocier mon effectif salarial, mon budget et mes objectifs avec trois personnes différentes, cela m'a paru un peu curieux...

En ce qui concerne le cloud, il n'est pas nécessaire de détenir ses propres data centers gigantesques pour être souverain. Il suffit, pour cela, qu'il existe une véritable réversibilité, c'est-à-dire que l'on puisse quitter un prestataire pour un autre quand on le décide. Mais la révolution du cloud réside également dans la manière de concevoir les applications numériques. En effet, il existe aujourd'hui de plus en plus de briques intelligentes – reconnaissance faciale, paiement en ligne... – nativement pensées pour le cloud. On peut ainsi utiliser trois fonctionnalités issues de trois fournisseurs distincts, les encapsuler, les remplacer... Penser l'informatique post-cloud est probablement une affaire de souveraineté, mais si, actuellement, on sait faire des clouds – les ministères de l'intérieur et de l'environnement et Bercy y sont parvenus –, on ne sait pas encore concevoir des applications nativement post-révolution du cloud.

Le travail réalisé par Bayes Impact avec Pôle emploi me semble être une très belle illustration de la stratégie de l'État plateforme. Je rappelle qu'il s'agit d'un projet d'aide au retour à l'emploi, nommé « Bob emploi », qui utilise beaucoup de données publiques et d'API de Pôle emploi ainsi qu'un algorithme conçu par mon équipe. Certains de ses utilisateurs sont très satisfaits. Certes, on s'est aperçu que, dans certains cas, ce service ne facilitait pas massivement le retour à l'emploi. Mais j'ai toujours pensé qu'il n'existait pas de martingale en la matière : contrairement à ce qu'en a dit la presse, je ne crois pas que les data sciences permettront de réduire le chômage de 15 % car, en France, celui-ci n'est pas lié uniquement à la difficulté de faire se rencontrer l'offre et la demande ; il est structurel. Mais, pour des milliers d'usagers, ce coach personnel, qui suggère chaque jour à son utilisateur trois actions, a été d'une grande aide. On attend maintenant une évaluation de ce service. Je pense que, lorsqu'ils auront un peu plus de recul, ils évalueront, en double aveugle, l'espérance du retour à l'emploi des personnes qui utilisent le service et celle des personnes qui ne l'utilisent pas. Nous avons réalisé, quant à nous, une telle évaluation avec une start-up d'État, « La bonne boîte », qui permet d'identifier les entreprises qui vont bientôt recruter afin de favoriser les candidatures spontanées : le taux de retour à l'emploi à six mois des personnes à qui Pôle emploi a donné l'adresse de ce site s'améliore de 10 %. C'est donc satisfaisant, même si cela reste faible.

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