Le 26 janvier 2018, M. Christian Hutin, M. Olivier Faure et les membres du groupe Nouvelle Gauche et apparentés ont déposé une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l'affaire Lactalis et d'étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d'information, de la production à la distribution, et l'effectivité des décisions publiques.
L'article 140 du Règlement de l'Assemblée nationale dispose que « les propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sont renvoyées à la commission permanente compétente ». Il appartient donc à notre commission de se prononcer.
M. Olivier Faure, président du groupe Nouvelle Gauche, a choisi d'utiliser le « droit de tirage » dont bénéficient les groupes d'opposition et minoritaires une fois par session ordinaire. La commission compétente doit donc uniquement vérifier si les conditions requises pour la création de la commission d'enquête sont réunies, sans se prononcer sur son opportunité. Si elle estime que les conditions requises pour cette création sont réunies, la conférence des présidents prendra acte de la création de la commission d'enquête, normalement dès la semaine prochaine. Ces conditions sont au nombre de trois.
Tout d'abord, l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dispose que « les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales ». Cette condition apparaît également à l'article 137 de notre Règlement, qui prévoit que les commissions d'enquête « doivent déterminer avec précision les faits qui donnent lieu à enquête ».
En l'espèce, la proposition de résolution vise à créer une commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l'affaire Lactalis et d'étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d'information – de la production à la distribution –, et l'effectivité des décisions publiques. L'exposé des motifs précise les faits que recouvre l'affaire Lactalis : il s'agit des questions soulevées par les cas de salmonelloses de nourrissons contaminés par du lait infantile produit par la société Lactalis, touchant aux obligations faites aux entreprises de l'agroalimentaire en matière de contrôle sanitaire, aux procédures de retrait des lots infectés et à leur gestion par l'État et les distributeurs. Les objectifs que la commission d'enquête entend poursuivre sont donc décrits avec une précision suffisante, s'agissant tant du champ de ses investigations que des propositions qu'elle pourrait être amenée à formuler.
En deuxième lieu, le Règlement de notre assemblée prévoit l'irrecevabilité de toute proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête ayant le même objet qu'une mission d'information investie des pouvoirs d'une commission d'enquête ou qu'une commission d'enquête antérieure avant l'expiration d'un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l'une ou de l'autre. Les faits devant faire l'objet de la commission d'enquête ont été révélés ou se sont déroulés à compter de décembre 2017 ; aucune mission d'information ou commission d'enquête n'a donc été organisée antérieurement.
Enfin, et c'est le point le plus important, l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée dispose qu'« il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours ». Le Règlement de notre assemblée prévoit quant à lui que le dépôt d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête est notifié par le Président de l'Assemblée au garde des Sceaux, ministre de la justice.
Interrogée par le Président de l'Assemblée nationale, Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la justice, lui a fait savoir qu'« une procédure judiciaire relative aux faits de contamination par des salmonelles des produits pour l'alimentation infantile fabriqués par l'usine Lactalis située à Craon (Mayenne) était en cours ». En effet, une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet du pôle de santé publique de Paris pour les chefs de tromperie aggravée par le danger pour la santé humaine, de blessures involontaires avec incapacité temporaire totale de travail inférieure ou égale à trois mois, de mise en danger d'autrui et d'inexécution d'une procédure de retrait ou de rappel d'un produit d'origine animale préjudiciable à la santé.
En conséquence, la commission d'enquête devra veiller à ne pas empiéter sur cette procédure judiciaire, en se gardant de porter son enquête sur les faits concernés par celle-ci. Elle devra en conséquence s'interroger sur le champ de son intervention, et peut-être privilégier les dysfonctionnements de la chaîne de distribution qui ont entraîné le retrait tardif des produits incriminés des rayons – donc les aspects industriels et logistiques de l'affaire plutôt que ses aspects sanitaires –, ainsi que la question de l'effectivité des contrôles réalisés par l'État.
Je vous rappelle par ailleurs que, dans son premier rapport publié le 13 décembre 2017, le groupe de travail mis en place par le Président de l'Assemblée nationale sur les moyens de contrôle et d'évaluation a proposé de supprimer cette dernière condition de recevabilité, afin de ne pas entraver inutilement les travaux de contrôle parlementaires.
En conclusion, la création d'une commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l'affaire Lactalis me paraît juridiquement recevable. Je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter cette proposition de résolution.