Intervention de Jacqueline Gourault

Séance en hémicycle du jeudi 15 février 2018 à 15h00
Bonne application du régime d'asile européen — Présentation

Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'état, ministre de l'intérieur :

Cette disposition est essentielle pour comprendre l'équilibre du texte : s'il permet, pour contrer la fuite des personnes concernées, leur placement en rétention dès la phase de détermination de l'État responsable, il n'a pas vocation à concerner le demandeur d'asile de bonne foi. Au contraire, l'application de cette disposition vise uniquement l'étranger interpellé sur la voie publique et qui relève de l'application de la procédure Dublin : un cas fréquent par exemple près de la frontière franco-italienne où de nombreuses personnes relevant de cette procédure sont interpellées lorsqu'elles tentent de traverser illégalement la frontière. Sans qu'elles ne déposent de demande d'asile en France, ces personnes peuvent néanmoins faire l'objet d'un transfert Dublin, raison pour laquelle ces dispositions sont utiles.

Je tiens à souligner que le Sénat n'a nullement remis en cause ces amendements introduits par votre Assemblée, préservant ainsi les grands équilibres du texte que vous aviez adopté. Cependant, la majorité sénatoriale a souhaité introduire plusieurs amendements complémentaires. Sans demander ou encourager l'ajout de ces nouvelles dispositions – je tiens à le préciser – , le Gouvernement, parce qu'il comprend les préoccupations qui les motivent, a fait le choix de ne pas s'y opposer, même si certaines d'entre elles apparaissent soit éloignées de l'objet de la proposition de loi, soit d'une efficacité relative.

Parmi les compléments que le Sénat a apportés, un me paraît très utile, pour ne pas dire nécessaire. Il s'agit de l'article 3, qui vise à tirer les conséquences de la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité, QPC, du 30 novembre 2017, par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution, à compter du 30 juin 2018, les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, CESEDA, en vertu desquelles l'assignation à résidence des étrangers ayant été condamnés à la peine d'interdiction du territoire français, mais dont l'éloignement est impossible, n'était pas limitée dans le temps. Je considère qu'il s'agit là d'un ajout positif : bien que cet article puisse sembler éloigné de l'objet de la proposition de loi, il permet de faire face au risque de vide juridique et opérationnel que la décision du Conseil constitutionnel laissera à partir du 30 juin 2018, et de prendre en considération des cas peu nombreux mais très significatifs en matière d'ordre public. En effet, la date du 30 juin approche à grands pas, et les chances pour que le projet de loi « Asile et immigration » soit définitivement adopté avant cette date sont maigres.

Les autres mesures introduites par le Sénat nous ont semblé ne présenter qu'un impact limité. Les sénateurs, fortement attachés à ce que la proposition de loi aborde ce sujet, ont souhaité préciser à l'article 1er que le refus de se soumettre au relevé des empreintes digitales ou à l'altération volontaire de ces dernières pour empêcher leur enregistrement constitue un autre critère de placement en rétention. Mais ne telle disposition, nous l'avions dit au Sénat, est inopérante : sans enregistrement des empreintes dans la base Eurodac, l'engagement des procédures Dublin sera impossible, et une rétention aux fins d'un transfert Dublin ne pourra pas avoir lieu.

Le Sénat a également souhaité porter de quatre à six jours la durée de validité des ordonnances prises par les juges des libertés et de la détention et autorisant des visites domiciliaires chez les étrangers assignés à résidence, visites qui ont pour objet de s'assurer de la présence de l'étranger à son lieu d'assignation et de le conduire, le cas échéant, à ses rendez-vous administratifs. Une telle disposition a, vous en conviendrez, une portée limitée.

Enfin, les sénateurs ont proposé, par un amendement à l'article 2 du texte, de réduire à sept jours, contre quinze actuellement, le délai dans lequel une décision de transfert Dublin peut être contestée devant le juge administratif. Le Sénat a agi ainsi au motif qu'une telle proposition figure dans le projet de refonte du règlement Dublin, présenté par la Commission européenne et en cours de discussion, et par cohérence avec un précédent vote de la Haute Assemblée, intervenu en 2015 lors du débat sur le projet de loi relatif à la réforme de l'asile. Il faut souligner qu'une telle réduction ne s'appliquerait que pour les personnes ne faisant l'objet ni d'une assignation à résidence ni d'un placement en rétention, puisque pour celles visées par de telles mesures, le délai est de quarante-huit heures.

Or, en 2017, 70 % des personnes faisant l'objet d'un arrêté de transfert Dublin étaient assignées à résidence ou placées en rétention. La proportion de personnes ne faisant l'objet d'aucune mesure – qui sont les seules concernées par cette disposition complémentaire introduite au Sénat – est minoritaire. Elle le sera même de plus en plus à l'avenir, puisque la circulaire du 20 novembre 2017 demande aux préfets de veiller à la bonne mise en oeuvre des mesures contraignantes adéquates. Ainsi cette disposition, bien que sensible, n'aurait en pratique qu'un effet limité.

Dans ces conditions, le Gouvernement souhaite que le texte, dans sa rédaction issue de la première lecture au Sénat, soit adopté conforme par votre assemblée lors de cette deuxième lecture. En effet, en l'absence d'un vote conforme, son entrée en vigueur sera retardée de plusieurs mois supplémentaires, alors que la reprise des transferts Dublin en dépend !

Dans le contexte de forte pression migratoire auquel est soumis notre pays, nous ne nous pouvons pas – je le crois – nous permettre de tels délais. C'est pourquoi le Gouvernement vous invite à voter ce texte, afin de répondre aux urgences auxquelles nous faisons face.

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