Il est donc d'intérêt général de rétablir le droit français sur ce point : c'est urgent, nous sommes à la semaine près !
J'insiste sur le fait qu'il ne s'agit que de rétablir les possibilités offertes par le droit avant l'arrêt de la CJUE de mars 2017. Cette proposition de loi vise tout simplement à rétablir les prérogatives dont l'administration disposait avant mars.
Par ailleurs, en juillet dernier, une partie de notre administration considérait que la mise en rétention pouvait être décidée dès le début de la procédure de réadmission vers l'État où l'étranger en cause devait être réorienté. Le Conseil d'État a estimé que le droit européen nous le permet, à condition de le transposer. Nous sommes, là encore, dans un cas de sous-transposition. C'est assez rare : alors que le droit européen nous autorise à employer certains outils juridiques, le législateur n'a pas décidé de les transposer en droit français !
Voilà les raisons qui motivent cette proposition de loi. Elle ne vise évidemment pas à instaurer un placement en rétention systématique, ni à remettre en cause les garanties prévues par le droit européen : l'assignation à résidence et la protection des personnes vulnérables priment. Elle autorise néanmoins l'administration à placer des étrangers en rétention dans un certain nombre de situations.
Pour cela, la personne en cause doit présenter « un risque non négligeable de fuite », déterminé « sur la base d'une évaluation individuelle ». Il ne s'agit pas de placer des catégories entières de personnes en rétention, mais d'examiner individuellement la situation de chacun. Autre condition cumulative : il faut que le placement en rétention soit proportionné, et que l'assignation à résidence ne puisse être effectivement appliquée. En outre, pour que soit établi le risque non négligeable de fuite, il faut que l'étranger se trouve dans l'une des douze situations évoquées à l'article 1er.
Je l'ai dit en commission, et je le répète : ce texte représente un progrès pour les droits des personnes qui demandent l'asile. Désormais les critères de placement en rétention sont clairs.
Comme l'a fait Mme la ministre, je salue le Sénat pour sa correction – spécialement son rapporteur, qui m'a auditionné. Je me suis permis de lui dire, sauf le respect que je dois à la Haute Assemblée, combien les amendements adoptés par l'Assemblée nationale, notamment à l'initiative de la présidente de notre commission des lois, nous semblaient fondamentaux, car équilibrés. De fait, les sénateurs n'ont pas remis en cause le texte de l'Assemblée nationale. En revanche, il a procédé à quelques ajouts.
Ainsi, parmi les douze critères que j'évoquais tout à l'heure, l'un provient du Sénat. Il s'agit de pouvoir mettre en rétention une personne qui a menti sur son parcours géographique. J'ai appris que cet ajout trouble certains d'entre vous ; je ne suis pas sûr qu'ils aient raison de l'être. L'objet de ce texte n'est pas de porter atteinte au droit à l'asile des personnes ayant menti sur leur parcours ou leur famille, parce qu'on a fait pression sur elles ou parce qu'elles sont prises en charges par des réseaux. Le droit d'asile ne change pas : il est régi par les mêmes textes réglementaires, législatifs et conventionnels qu'auparavant.
Aux termes de l'ajout du Sénat, toutefois, la France pourra s'assurer, en la plaçant en rétention, de la présence d'une personne à qui l'asile aura été refusé – soit par une décision administrative soit, en cas de recours, par une décision de justice – , afin de tirer les conséquences du rejet de sa demande. Nous sommes loin de certaines craintes qui ont été exprimées.
Un deuxième apport du Sénat touche aux visites domiciliaires, une procédure qui ne concerne pas la rétention administrative, mais l'assignation à résidence. Comment, en effet, vérifier qu'une assignation est bien respectée ? Il faut demander au juge des libertés et de la détention s'il autorise la police à vérifier que la personne concernée respecte bien ses obligations. En l'état actuel du droit, cette ordonnance du juge doit être exécutée dans les quatre jours. Or nos collègues sénateurs ont considéré – et j'ai un peu de remords de ne pas avoir identifié moi-même la difficulté – qu'un tel délai était trop court, notamment là où les services de police sont débordés. Voilà pourquoi ils ont adopté une disposition visant à le prolonger. Cela ne porte en rien atteinte à un droit : il s'agit simplement de permettre que ces ordonnances, prises par un juge, soient exécutées dans les six jours, et non plus quatre.
Le Sénat a également réduit le délai de contestation d'une décision de transfert devant le juge administratif, le faisant passer de quinze à sept jours. Sur ce point, je m'exprimerai avec la même liberté que devant la commission : je n'ai moi-même pas proposé cette modification car je ne l'estime pas opportune. Cela étant, une chose doit être claire : si nous n'adoptons pas ce texte par un vote conforme, alors il faudra réunir une commission mixte paritaire, ce qui implique que chaque assemblée fasse un pas vers l'autre. Compte tenu de l'importance, pour l'intérêt général, que ce texte entre en vigueur le plus rapidement possible, il ne me semble pas excessif de l'accepter dans sa version issue du Sénat. Cela permettrait au Gouvernement de faire face à la situation actuelle.
Enfin, le Sénat a ajouté un article – il s'agit de l'article 3 – afin de répondre à une décision prise par le Conseil constitutionnel saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité. Ce dernier a demandé au législateur de supprimer, avant le 30 juin prochain, les dispositions permettant l'assignation à résidence sans limitation de durée. La proposition du Sénat, qui ne me heurte pas, est de limiter à cinq ans – le cas échéant renouvelables sur justification – la validité d'une assignation. Pour être franc, là encore, il ne me semble pas choquant de faire de cette proposition de loi le moyen de répondre à la censure partielle décidée par le Conseil constitutionnel, même si ce n'est pas l'objet initial du texte.
Il ne vous aura pas échappé, mes chers collègues, que sur ce sujet difficile, un certain nombre de groupes font de la démagogie.