Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, pour reprendre les termes employé par le Défenseur des droits, le texte que nous examinons aujourd'hui en deuxième lecture fait « prendre à l'histoire de la rétention administrative des étrangers un tournant sans précédent ». Il crée une mesure inédite de rétention, indépendante de toute décision d'éloignement, qui est une mesure de privation de liberté pour le confort de l'administration.
Jusqu'à présent, la rétention ne pouvait concerner que des personnes en situation irrégulière. Elle n'intervenait que pour exécuter une décision d'éloignement et ne devait durer que le temps strictement nécessaire à organiser le départ de la personne concernée. Avec cette proposition de loi, l'enfermement serait préventif, le demandeur d'asile placé en procédure Dublin pouvant faire l'objet d'une rétention administrative dès l'introduction de sa requête aux fins de prise en charge, le temps pour l'administration de déterminer l'État responsable de sa demande. La rétention pourrait donc s'appliquer à un très grand nombre de personnes en procédure Dublin, ce qui conduirait à un enfermement massif et disproportionné. L'objectif est clair : augmenter le taux de placement en rétention, donner à l'administration la possibilité d'enfermer un maximum de personnes, y compris en situation régulière, puis accélérer les transferts de personnes sous procédure Dublin.
Nous refusons cette dérive qui consiste à multiplier les obstacles et les contrôles pour entraver l'accès des étrangers à leurs droits fondamentaux. Nous considérons que la France doit se montrer fidèle à sa tradition de terre d'asile en Europe et prendre toute sa part dans l'accueil des réfugiés. C'est une exigence morale au regard de l'histoire et des valeurs de notre République, mais c'est aussi une obligation juridique au regard du droit international.
Or, contrairement aux déclarations d'intention teintées d'humanisme d'Emmanuel Macron, la politique menée à l'égard des demandeurs d'asile est une politique toujours plus répressive, qui conduit à l'affaiblissement de leurs droits et de leurs garanties. Cela est tellement vrai que des députés s'en émeuvent dans les rangs mêmes de la majorité.
Gardons à l'esprit que la situation actuelle, désastreuse, résulte avant tout d'un manque de volonté politique.
Rappelons quelques chiffres : dans le cadre du mécanisme de relocalisation, la France s'est engagée à accueillir 30 750 personnes entre 2015 et 2017. Au 4 septembre 2017, seuls 4 278 personnes avaient été relocalisées en France. Face à un tel bilan, la Commission européenne, dans son quinzième rapport sur la relocalisation et la réinstallation, publié le 6 septembre 2017, a classé la France dans le groupe des pays qui « devraient de toute urgence accélérer les transferts ». Dans ce contexte, instaurer une privation de liberté préventive est indigne, et nous rejetons avec force cette entorse aux droits fondamentaux des demandeurs d'asile.
Ce texte est encore plus inacceptable dans la version qui nous est aujourd'hui présentée, son contenu ayant été aggravé par le Sénat. Les sénateurs ont en effet élargi les critères permettant le placement en rétention. Ils ont également réduit de quinze à sept jours le délai de saisine du juge administratif contre une décision de transfert, ce qui limitera l'application effective des droits de la défense et le respect du principe du contradictoire. Ils ont enfin introduit un nouvel article tendant à sécuriser l'assignation à résidence des étrangers.
Au-delà de ces modifications, nous sommes fondamentalement opposés à l'objectif poursuivi par cette proposition de loi, qui vise à garantir la pleine effectivité du règlement de Dublin. Le système dit de Dublin est en effet injuste et inefficace. Il est critiqué par de multiples acteurs, notamment des universitaires, des organisations non gouvernementales, le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe et le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, pour ne citer que ceux-là.
Ce dispositif est considéré comme injuste, car il écarte par principe la volonté du demandeur et désigne arbitrairement un État membre comme seul responsable de la demande d'asile. En outre, le système de Dublin induit des violations des droits des demandeurs, notamment en permettant leur transfert vers des États membres où les conditions d'accueil sont constitutives de traitements inhumains et dégradants, contraires à l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme et à l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Dans plusieurs affaires, les cours de Strasbourg et de Luxembourg n'ont ainsi eu d'autre choix que de condamner les États responsables de tels transferts, ce qui a eu pour effet de suspendre partiellement l'application du règlement de Dublin, manifestement incompatible avec le caractère en réalité très disparate de l'application du droit d'asile en Europe, et contraire au plein respect des droits des demandeurs.
À l'évidence, la volonté affirmée de contrôler le sort des demandeurs d'asile est un échec. Cet échec était prévisible, tant le système de Dublin fait peser un poids particulier sur les pays frontaliers par lesquels les demandeurs pénètrent en Europe.
Je voudrais terminer mon intervention en insistant sur la nécessité impérieuse de protéger les enfants mineurs étrangers et d'interdire explicitement leur placement en rétention. Avec nos collègues Yaël Braun-Pivet et Naïma Moutchou, nous avons visité lundi le centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot. Une petite fille âgée de treize mois y était enfermée depuis plusieurs jours avec sa mère. Cette situation est à mes yeux totalement inadmissible et attentatoire aux droits de l'enfant !