Nous allons commencer cette audition sans le rapporteur qui, son train accusant quelque retard, nous rejoindra très rapidement.
Nous recevons Mme Claude Revel, ancienne Déléguée interministérielle à l'intelligence économique (D2IE) du 30 mai 2013 au 25 juin 2015. Vous avez créé dès 2003, madame, votre propre cabinet, « IrisAction », spécialisé dans l'intelligence économique internationale pour les entreprises. Vous avez également effectué de nombreuses missions d'enseignement, en France comme à l'étranger, et deux de vos livres servent de référence en la matière : Nous et le reste du monde – Les vrais atouts de la France dans la mondialisation, publié en 2007, et un autre essai, paru en 2012 : La France, un pays sous influences ?
Vous êtes le premier acteur de ce secteur que nous auditionnons. Nous recevrons, notamment, au cours des prochaines semaines, les responsables du renseignement économique au sein de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et plusieurs spécialistes de l'intelligence économique.
Nous avons de nombreuses questions à vous poser, et d'abord sur ce qu'a été votre mission et ses objectifs et, au-delà, sur votre analyse concernant la place faite par l'État à cette mission qui a été un peu ballottée, avec le temps, depuis le rapport Martre de 1994 qui avait jeté les bases de cette nouvelle donnée de l'action publique. Un décret d'août 2013 semblait conforter la position interministérielle de votre délégation, mais un autre décret du 19 janvier 2016, après votre départ, l'a supprimée pour lui substituer le Service d'information stratégique et de la sécurité économique (SISSE), désormais rattaché à Bercy, et plus spécialement à la direction générale des entreprises (DGE), dont nous avons auditionné le directeur général, Pascal Faure. Je souligne au passage que la direction du SISSE est vacante depuis un mois et demi.
Cette réforme au sein de l'appareil d'État n'est pas sans signification. Vous n'avez pas caché que votre départ avait été un peu rapide, brutal. Dans un entretien au Nouvel Économiste, vous avez en effet déclaré qu'on vous avait reproché d'avoir marché « sans doute un peu trop sur les plates-bandes de Bercy. Les grands corps – des finances et des mines – ont jugé que [votre] intervention sur des sujets qu'ils considéraient comme exclusivement les leurs, était inopportune. » Vous ajoutez que votre action s'est heurtée à des « noeuds de résistance » – vous nous préciserez lesquels.
Au-delà de ce débat franco-français, nous souhaitons évidemment profiter de votre vision générale du sujet et que vous nous dressiez un tableau général, assez rapide à ce stade, de la diversité des risques. Je pense à l'extraterritorialité du droit américain, notamment sa législation anti-corruption, dont l'analyse révèle qu'elle pèse avant tout, en tout cas dans une proportion des deux tiers, sur les entreprises européennes concurrentes d'entreprises américaines. Je pense également aux sanctions pour violation des embargos et en particulier à l'amende record infligée à BNP-Paribas, de près de 9 milliards d'euros, excusez du peu…
Vous nous direz si, de votre point de vue, les pouvoirs publics ont développé de bons outils d'anticipation et d'analyse, mais aussi de réaction face à ces menaces. Madame, vous nous direz, au passage – point qui me laisse encore perplexe –, qui, avant 2016, assurait le respect de la loi dite « de blocage » de 1968. En 2016, cette responsabilité a été confiée à l'Agence française anticorruption (AFA) mais, auparavant, elle relevait du Premier ministre et je n'ai pas le sentiment qu'il s'en occupait personnellement, je ne suis pas sûr que la question passionnait non plus le Secrétariat général du Gouvernement (SGG).
Enfin, vous avez exercé vos fonctions à l'époque où s'est déroulée la vente de la branche « Énergie » d'Alstom. Or vous avez compris que notre commission d'enquête essaie de faire l'autopsie, si je puis dire, de ce dossier pour comprendre comment nous avons pu ne pas voir venir cette vente ; nous vous interrogerons sur les alertes que vous avez pu lancer sur ce dossier.
Auparavant, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.