Je persiste à penser que le positionnement auprès du Premier ministre est le bon : s'il doit y avoir un service d'intelligence économique interministériel, il doit être auprès du Premier ministre, ou éventuellement auprès du Président de la République, en tout cas à la tête de l'exécutif. Si le service est placé dans un ministère, quel qu'il soit, les autres ne se sentiront pas la même obligation de participer. Sans oublier que les sujets sont extrêmement divers. J'ai eu par exemple à travailler sur des sujets concernant l'agriculture. Il faut donc que chaque administration soit appelée à participer ; or cela n'est possible que si cela part d'un niveau exécutif interministériel. Si cela n'a pas marché, il faut réfléchir aux causes. Vous me direz que l'Advocacy Center, aux États-Unis, dont j'ai parlé, dépend du département du commerce, mais ce n'est pas pareil : ce ministère est mandaté pour travailler avec les autres.
L'objet de mon rapport a été de souligner que nous n'avions en effet pas de système construit pour les stratégies de normalisation. Nous ne sommes pas si mauvais : nous possédons toute l'expertise nécessaire, nous avons quelques réussites, mais il faut que nous travaillions mieux ensemble, avec les expertises dont nous disposons au sein de l'État, par exemple l'ex-Conseil général des mines, l'ex-Conseil général des ponts et chaussées, qui ont changé de nom. Il faut aussi travailler avec les entreprises pour investir avec elles les lieux de standardisation privée, très importants dans le numérique. Les Britanniques ont un système de normalisation financé par l'État, pour être présent sur les normes partout dans le monde ; chez les Allemands, c'est le contraire, tout est financé par les entreprises. C'est un sujet essentiel aussi pour la sécurité en amont.
On ne peut pas dire que la loi de blocage n'est pas appliquée, puisque des entreprises comme Alcatel-Lucent je l'ai dit, y ont fait appel. Dans ce cadre, les rapports fournis par le moniteur au DoJ peuvent être examinés par les autorités publiques françaises, qui le font. La loi fonctionne donc, mais elle pourrait certes fonctionner beaucoup plus. Nous pourrions faire plus de communications, mais de manière tranquille – expliquer sans menacer –, mais également alourdir les pénalités, qui restent un peu ridicules : 18 000 euros d'amende ou six mois d'emprisonnement… Mais il vaut tout de même mieux éviter d'en arriver aux sanctions, en essayant plutôt de sensibiliser les entreprises. Elles ne sont pas complètement insensibles au sujet, mais il faut se mettre à leur place : elles ont parfois peur, en se manifestant, de perdre des marchés aux États-Unis ou ailleurs – d'autres pays se sont mis aux sanctions extraterritoriales, en utilisant des amendes fiscales, par exemple… C'est une affaire de confiance : les entreprises doivent se savoir soutenues par l'État – et de manière tout à fait confidentielle.
Je crois beaucoup aussi au niveau européen, malgré la concurrence. Un terme clé de l'intelligence économique est la « coopétition », à la fois concurrence et coopération. Nous avons des concurrents qui sont des partenaires et des partenaires qui sont des concurrents, cela dépend du moment, il faut travailler avec eux. Cela peut être utile au niveau européen.
Vous avez raison, monsieur Duvergé : il faut afficher clairement ce que nous voulons. Ce n'est pas honteux : les États-Unis affichent qu'ils veulent conquérir les big emerging countries. Chaque année, la National Export Strategy dit exactement ce qu'ils veulent réaliser – pas tout, évidemment, mais ils l'annoncent quand même. Les Chinois le font aussi de manière extrêmement claire. Il n'y a aucune raison que nous n'y parvenions pas en Europe. Cela permet de clarifier les règles du jeu, établi de manière démocratique et légitime, et d'éviter les réputations non fondées.