Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, votre assemblée procède ce soir à la deuxième lecture du projet de loi de ratification de l'ordonnance réformant le droit des contrats, de la preuve et le régime des obligations.
Ces débats prennent une résonance toute particulière, car on vient de fêter – il y a quelques jours à peine – le deuxième anniversaire de l'ordonnance. Comme tout anniversaire, celui-ci invite à dresser un bilan.
Dressons tout d'abord celui de l'ordonnance. Si son entrée en vigueur est encore trop récente pour qu'on puisse mesurer l'impact qu'elle a eu sur le contentieux, l'abondante littérature que, depuis deux ans, a suscitée sa publication permet de dresser le bilan d'une réforme globalement bien accueillie s'agissant de l'équilibre qu'elle présente entre modernisation du droit des contrats et maintien des principes humanistes.
L'examen de cette ordonnance, dans le cadre du processus de ratification par le Parlement, a confirmé ce premier constat. En effet, aucune des deux assemblées n'a remis en cause le principe de la ratification ni les grands équilibres proposés par le Gouvernement, confirmant ainsi la bonne réception de l'ordonnance par les praticiens.
Dressons ensuite le bilan de la méthode suivie par le Gouvernement pour procéder à une réforme majeure du code civil. Depuis leur lancement en 2004, les travaux ont donné lieu à des publications académiques remarquables, à des échanges nourris avec les professionnels et à une consultation publique – inédite pour le ministère de la justice – ayant réuni plus de 300 contributions. Sur la base de ces travaux et d'un article d'habilitation très détaillé permettant au Parlement d'en connaître les grands axes, le Gouvernement a été autorisé à mener cette réforme d'ampleur par ordonnance.
Enfin, les débats actuels nous invitent à dresser un autre bilan, celui du processus de ratification, dont je tiens, au nom de la garde des sceaux, à saluer la grande richesse. Bien entendu, il n'existe pas de texte parfait. L'ordonnance initialement publiée pouvait être améliorée ; elle l'a été par le biais de travaux parlementaires de grande qualité. Comme la garde des sceaux a eu l'occasion de le souligner, les débats qui se sont tenus, au sein des deux commissions comme dans les deux hémicycles, ont largement contribué à clarifier le sens de certaines dispositions de l'ordonnance.
Je salue ici M. le rapporteur, Sacha Houlié, qui, dans des délais très contraints au regard de l'ampleur de la réforme, a effectué un travail dont la qualité mérite d'être saluée, d'autant plus qu'il s'agit d'un texte dense et d'une technicité particulière. Monsieur le rapporteur, soyez remercié ici d'avoir ainsi contribué à en améliorer la lisibilité. Dans le même esprit de responsabilité que celui du Sénat, le rapporteur de votre commission des lois a eu le souci de préserver la stabilité juridique du nouveau droit des contrats, que les praticiens se sont déjà approprié depuis son entrée en vigueur le 1er octobre 2016.
Ainsi, votre commission s'est concentrée, à chaque étape de la discussion, sur l'évaluation de la pertinence des modifications proposées par le Sénat, première assemblée saisie. Sur de nombreux points, le texte a été amélioré par le Sénat et votre assemblée n'a pas remis en cause ces améliorations. Sur d'autres, votre commission des lois a proposé d'utiles modifications, que le Sénat n'a pas remises en cause.
La garde des sceaux a été particulièrement sensible à votre souci de préserver l'esprit et la cohérence de l'ordonnance, monsieur le rapporteur, notamment en vous attachant à conserver ses dispositions les plus emblématiques et à ne pas sacrifier la justice contractuelle au nom de l'efficacité économique. Votre assemblée, mesdames, messieurs les députés, est notamment revenue sur la subordination de la réticence dolosive à l'existence d'une obligation d'information ainsi que sur la restriction de l'abus de dépendance à la seule dépendance économique.
Sur ces deux points, le dialogue entre les deux chambres a permis de parvenir à un compromis satisfaisant, de sorte qu'ils ne sont plus en discussion. La volonté de compromis qu'a manifestée chaque assemblée permet à cette deuxième lecture de porter sur un texte amélioré, dont l'équilibre et l'esprit restent fidèles à ceux que le Gouvernement a entendu lui conférer, et qui concilient l'efficacité économique du droit et le renforcement de la justice contractuelle.
En définitive, une unique disposition de fond demeure en discussion tandis que s'achève la deuxième lecture du texte : les prérogatives du juge en matière d'imprévision. Le Sénat a maintenu leur limitation. Votre assemblée a bien saisi l'intérêt de cette disposition emblématique de l'ordonnance ; elle a donc réintroduit, en première lecture puis en commission il y a quelques jours, la faculté pour le juge, saisi par une seule des parties, de réviser un contrat.
Le Gouvernement, monsieur le rapporteur, partage la conviction selon laquelle la solution proposée par l'ordonnance, consistant à autoriser la révision judiciaire du contrat à la demande d'une seule des parties, est seule de nature à conférer au texte toute son utilité et son effectivité. C'est précisément sur ce point que l'ordonnance propose un dispositif novateur et efficace. En effet, il est très peu probable que des parties qui ne se seraient pas accordées sur les termes de la renégociation, voire sur la nécessité même de renégocier, décident finalement de s'accorder pour confier ce pouvoir au juge.
C'est pourquoi le Gouvernement a estimé que procéder à une réelle avancée consisterait à donner au juge, en dernier recours, la possibilité de réviser le contrat, y compris à la demande d'une seule des parties. En effet, s'il est évident que l'on doit pouvoir mettre fin à une relation contractuelle dont le maintien à tout prix est contraire à l'intérêt des parties, il est toutefois des cas dans lesquels, au contraire, la résolution du contrat ne présente un intérêt économique pour aucune des parties, notamment si des emplois devaient être menacés en conséquence.
Le Gouvernement forme donc le voeu que l'esprit de compromis qui a présidé aux travaux parlementaires permette de conserver la pleine efficacité du dispositif et ne remette pas en cause l'équilibre auquel l'ordonnance était parvenue. Le bilan de sa ratification, avant même son aboutissement définitif, est donc d'ores et déjà positif.
Les débats auxquels elle a donné lieu dans les enceintes parlementaires ont indéniablement contribué à lui conférer, outre la force de la loi, la place qu'elle méritait dans le débat public et que seule la discussion parlementaire peut lui assurer. À ce titre, et au nom du Gouvernement, je vous remercie, mesdames, messieurs les députés.